<h3 class="s2">Atlantico : Selon une étude (<a class="Colorbox" href="http://www.nytimes.com/2016/04/26/business/economy/where-jobs-are-squeezed-by-chinese-trade-voters-seek-extremes.html?smid=tw-share&amp;_r=1" target="_blank">voir ici</a>) menée par David Autor, économiste américain du MIT, et plusieurs de ses confrères, la mondialisation joue un rôle important sur le vote extrême aux Etats-Unis. Dans un article pour le New-York Times, il explique que les chocs liés à la mondialisation poussent les minorités vers l&#39;extrême-gauche tandis que l&#39;électorat &quot;blanc&quot; se tournerait vers une droite de plus en plus conservatrice, provoquant in fine une érosion des partis modérés. Dans quelle mesure peut-on dresser un tel constat en France ?</h3>Jean-Daniel Lévy : Commençons par un élément de base : nous n&#39;avons pas, en France, un regard ethnique des comportements électoraux. Notre rapport à ces comportements est davantage social. Ce que l&#39;on constate sur ces questions, c&#39;est que d&#39;une manière générale, l&#39;extrême-droite profite autrement plus des effets retors de la mondialisation que l&#39;extrême gauche en France, actuellement. La période que nous vivons voit la difficulté des &quot;insoumis&quot; à se structurer en un mouvement politique comme ce fut notamment le cas en Espagne où en Grèce. Les catégories populaires, les jeunes et une majorité des gens qui se retrouvent aujourd&#39;hui sans perspective d&#39;avenir se tournent vers l&#39;extrême-droite. C&#39;est, bien sûr, une des conséquences de la mondialisation mais cela résulte également du sentiment que nos politiques ont de moins en moins de prise sur le cours des choses. A cela s&#39;ajoute la perception d&#39;une perte de nos identités, de ce qui fait la spécifité d&#39;être français aujourd&#39;hui. Tous ces éléments se conjuguent et favorisent un vote Front National. Parmi tous ces aspects, la mondialisation joue un rôle important sur les comportements électoraux.Jean-Luc Mélenchon, plus que l&#39;extrême-gauche à proprement parler, profite légèrement de cette situation : il accueille le vote de catégories diplômées qui estiment que la mondialisation (ainsi que la construction européenne) remettent en cause notre modèle social.Très clairement, la mondialisation souffre d&#39;une mauvaise image auprès des Français, qui la perçoivent comme la perte de nos valeurs, la perte de notre pouvoir politique. Bien évidemment, des éléments de consommation personnelle sont issus de la mondialisation et bouleversent les comportements. Cette situation se traduit par une dissonance nette : d&#39;une part, un regard critique des Français à l&#39;égard du processus de mondialisation et d&#39;autre part, des pratiques qui en découlent, en témoigne la place de la France (première !) en taux de McDonald&#39;s par habitant. Le fait est que ce processus n&#39;est pas vécu positivement : persiste le sentiment de subir la mondialisation, amplifié par le fait qu&#39;à l&#39;international, la France n&#39;a plus l&#39;air de disposer de l&#39;ensemble des moyens et de toute la force qu&#39;elle avait par le passé. Il est difficile de quantifier objectivement l&#39;impact de la mondialisation en matière de radicalisation de l&#39;électorat, mais il est évident que l&#39;approche française est très critique à l&#39;égard de ce qui vient de l&#39;extérieur. Les débats sur le Traité constitutionnel européen l&#39;ont très bien illustré. Au point d&#39;amener la gauche comme l&#39;extrême-droite à critiquer très vertement l&#39;initiative. Les électeurs se sentent menacés par la mondialisation ; c&#39;est vrai. Ce vote radical, cependant, n&#39;est pas uniquement radical : c&#39;est aussi l&#39;occasion de rappeler ce que signifie &quot;être Français&quot;. Du moins selon leur réinterprétation, qui est celle d&#39;une France puissante du temps des 30 glorieuses, qui avait voix au chapitre à l&#39;international, etc.Il y a, comme aux Etats-Unis, une baisse globale de l&#39;ensemble des partis gouvernementaux. Ce n&#39;est pas valable qu&#39;en France : le phénomène est européen et les différentes élections (Serbie, Autriche, etc) le prouvent. Tous les éléments mis bout à bout ; mondialisation, absence de perspective d&#39;avenir, de contrôle des politiques sur ces politiques, perte de nos identités, etc. ont un réel impact. Ils ne permettent pas de se projeter dans l&#39;avenir d&#39;une façon positive. Ils appellent, par conséquent, à une reconstruction du paysage politique, qui se traduit par le vote extrême. La mondialisation donne le sentiment que les responsables politiques n&#39;ont plus prise sur les choses. C&#39;est l&#39;une des causes concrète de la radicalisation politique. Ce mouvement n&#39;est pas uniquement français. La percée de l&#39;extrême-droite participe d&#39;une dynamique plus large. Quant aux difficultés de l&#39;extrême-gauche, elles s&#39;expliquent par d&#39;autres éléments plus conjoncturels : l&#39;Espagne, par exemple, faisait face à des problèmes économiques majeurs. Le chômage des jeunes y étaient bien plus important qu&#39;en France. A noter aussi que l&#39;Etat espagnol est bien moins centralisateur, puisqu&#39;il s&#39;agit d&#39;une configuration fédérale. Enfin, ils sont moins enclin à se tourner vers l&#39;extrême-droite, eu égard à la période Franco qui laisse encore des souvenirs vivaces.En un sens, toutefois, le vote radical en France est plus profond qu&#39;aux Etats-Unis. C&#39;est là le fait que la puissance américaine est moins remise en cause que celle de la France, qui subit un déclassement. Cette dimension-là est moins présente outre-Atlantique.<h3 class="s2">Selon cette même étude, si la mondialisation avait été d&#39;une moindre intensité, cela aurait eu de lourdes conséquences électorales (+16 points pour les démocrates modérés et +6 pour les républicains modérés, contre -18 pour les républicains conservateurs). Quels sont, en France, les parallèles qu&#39;il est possible d&#39;établir avec ce phénomène constaté aux Etats-Unis, notamment concernant les foyers de désindustrialisation, comme la Moselle ?</h3>Indéniablement, les zones de désindustrialisation participent fortement à la montée du Front National. C&#39;est aussi le cas des zones en perte de petits commerces. C&#39;est un phénomène que l&#39;on constate dans le bassin minier, dans le sud de la France&hellip; Le parcours de l&#39;ancienne nationale 7 montre bien l&#39;évolution considérable du FN dans ces régions. La mondialisation, la désindustrialisation, la perte du tissu local, du commerce de proximité sont autant d&#39;éléments qu&#39;on retrouve dans le processus de radicalisation politique. Perte d&#39;emplois et de repères, sans qu&#39;on puisse les reconstruire ensuite, sont également à mettre en cause&hellip; La redistribution des biens acquis grâce à la mondialisation n&#39;est pas forcément équitable et provoque potentiellement ce genre de situation.&nbsp;L&#39;ensemble de ces territoires sont sinistrés, n&#39;offrent plus aucune perspective. D&#39;embauche, certes, mais aussi d&#39;avenir, d&#39;attractivité. Plus la désindustrialisation est forte, plus le vote extrême est majoritaire. Prenez l&#39;exemple du bassin minier, où le tissu industriel s&#39;est envolé, où les industries de sidérurgie sont fermées&hellip; et où le vote FN est plus que considérable. C&#39;est un mécanisme avéré. Et pour cause : personne, mis à part le Front National, ne prétend à un avenir pour ces industries, pour les ouvriers. Tous ces éléments, conjugué au repositionnement social du parti frontiste, contribuent clairement au vote en sa faveur. Le terreau est là. La situation est comparable aux Etats-Unis. Le discours de Donald Trump s&#39;y adapte, puisqu&#39;il utilise régulièrement le terme &quot;again&quot;, &quot;encore&quot; que l&#39;on pourrait traduire par &quot;revenir&quot;. La volonté de revenir, de rendre une certaine forme de fierté. De redonner à l&#39;Amérique des raisons d&#39;être contente d&#39;elle. Le Front National surfe sur les mêmes thématiques : il convient de rendre à la France ses lettres de noblesse, en réinstaurant localement les commerces et les emplois disparus, mais aussi une mairie forte.&nbsp;<h3 class="s2">Quelles sont les zones les plus touchées par ce phénomène, où il serait possible de mettre en évidence une corrélation entre la mondialisation et le vote des électeurs ?</h3>Sans avoir à dresser une liste exhaustive des régions et des localités le plus au cœur de ce phénomène, il est possible de dire qu&#39;on y retrouve toutes les zones dont les catégories populaires ont le sentiment d&#39;avoir perdu la maîtrise de leur avenir. Cela correspond, par exemple, aux régions les plus peuplées en PME et TPE exerçant dans la sous-traitance, les régions où les activités offrent peu de possibilité de renouvellement ; peu d&#39;attrait, un commerce qui périclite&hellip; En bref, les régions qui souffrent du déclassement sans trouver de solutions, de perspectives au risque de me répéter. Concrètement et grossièrement, on pourrait dire que cela touche essentiellement le Nord-Est de la France.

Les conséquences de la mondialisation sur le vote "extrème"

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<h3 class="s2">Atlantico : Suite aux livres de Thomas Piketty et de Branko Milanovic, les élites politiques occidentales semblent découvrir les dégâts causés par la mondialisation, notamment sur les inégalités. Mais d&rsquo;un point de vue théorique, s&rsquo;agit-il véritablement d&rsquo;une surprise ?&nbsp;</h3>Dean Baker : Je ne voudrais pas minimiser le travail de ces économistes, que je respecte profondément, mais je pense que la reconnaissance de l&rsquo;impact de la mondialisation sur les inégalités a plus été le résultat de pressions politiques que des avancées intellectuelles parce que d&rsquo;autres personnes proposaient des arguments similaires au cours des deux dernières décennies. Cette approche a vraiment commencé à attirer l&rsquo;attention suite aux retombées de la crise économique et de la stagnation qui s&rsquo;en est suivie aussi bien aux Etats Unis qu&rsquo;en Europe. Le mouvement &quot;Occupy Wall Street&quot; a été particulièrement important à ce titre, comme symbole de ces revendications.Bien entendu, l&rsquo;émergence des partis populistes de droite en Europe a également joué un rôle décisif. Nous pouvons croire qu&rsquo;un nombre très important de citoyens européens ont soudainement perdu tout respect pour leurs droits démocratiques traditionnels et pour la notion de société ouverte, ou nous pouvons croire que certains événements mondiaux ont conduit à un tel changement. Les personnes sérieuses doivent évidemment croire en ce dernier point.<h3 class="s2">Après plus de 20 ans de mondialisation accrue, et suite à la grande récession, quelles sont les priorités économiques permettant d&rsquo;offrir des solutions aux classes moyennes, qui en ont été les principales victimes ? Plus largement, est-il simplement possible de combiner mondialisation avec une hausse des revenus de ces classes moyennes ?</h3>Nous pouvons évidemment avoir la mondialisation dans un sens qui permet une redistribution vers le bas plutôt que vers le haut. En premier lieu, nous pouvons essayer de faire peser une pression baissière sur les salaires des travailleurs les mieux rémunérés (par exemple les médecins, les dentistes, les avocats etc&hellip;) en permettant un accès plus facile aux personnes des pays émergents pour se former aux standards occidentaux, afin de travailler en compétition directe avec les professionnels des pays occidentaux. La question n&rsquo;est, bien sûr, pas de taper sur ces professions par principe, mais c&rsquo;est une histoire classique de gains commerciaux.&nbsp;Parce que des médecins sont moins rémunérés, cela signifie des coûts de santé moins élevés. Des avocats moins payés, cela signifie des services juridiques moins chers. Ce qui correspond à la même histoire que d&rsquo;avoir des chaussures moins chères en les faisant fabriquer par des travailleurs moins rémunérés en Chine. Tous ceux qui sont favorables à la mondialisation doivent soutenir une telle politique.Et oui, il est également possible de permettre aux pays émergents d&rsquo;en bénéficier. Nous pouvons rapatrier une part des revenus de ces professionnels afin que le pays d&rsquo;origine puisse former 2 ou 3 médecins, avocats etc. pour chaque personne qui émigre. C&rsquo;est une histoire classique de gagnant gagnant. Je dois quand même tempérer ce point en indiquant qu&rsquo;il s&rsquo;agit plus d&rsquo;une question américaine qu&rsquo;européenne. Nos médecins, aux Etats Unis, gagnent en moyenne 250 000$ par an, et les dentistes ne sont pas loin derrière.Nous pouvons aussi chercher à affaiblir les droits de propriété intellectuels et trouver des moyens plus efficaces permettant de financer l&rsquo;innovation et le travail créatif. Il est quand même un peu absurde de constater que nous cherchons à façonner des lois et des accords commerciaux qui ont pour objet de rendre ces protections encore plus fortes et encore plus durables tout en s&rsquo;étonnant de voir tellement de revenus s&rsquo;orienter vers le haut de la pyramide. Ce sont des dispositifs aussi archaïques qu&rsquo;incroyablement inefficaces et qui ont très largement besoin d&rsquo;être remplacés. Il est absurde de constater que les médicaments qui coûtent quelques dollars à produire peuvent se vendre des centaines ou des milliers de dollars en raison de la situation monopolistique des brevets.<h3 class="s2">Quels sont les risques de voir la mondialisation être traitée en bouc émissaire de cette situation ?</h3>Il y a plein de gens qui proposent des solutions nationalistes ou racistes, qui consistent à faire porter à d&rsquo;autres la responsabilité de ce qui est du ressort de la politique des gouvernements. Les mauvais résultats s&rsquo;étendent de l&rsquo;accroissement des discriminations contre les migrants, contre les minorités ethniques ou religieuses, des actes de violence aléatoires, jusqu&rsquo;à des histoires, encore pires, d&rsquo;expulsions de masse, comme celles promises par Donald Trump. Quand les gens commencent à agir de façon irrationnelle, les résultats ne sont pas beaux à voir.<h3 class="s2">Contrairement aux Etats Unis, l&rsquo;Europe semble totalement figée dans un contexte de chômage de masse, de croissance faible et de faible inflation. Considérez-vous que cette stagnation européenne soit le résultat de contraintes économiques ou politiques ?</h3>Les problèmes de la stagnation européenne sont entièrement politiques. Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;obstacle économique à la mise en place de programmes de relance concentrés sur l&rsquo;amélioration des infrastructures, de l&rsquo;éducation, ou même sur l&rsquo;accueil de réfugiés. Les gouvernements n&rsquo;ont littéralement aucune contrainte dans leur capacité à emprunter aujourd&rsquo;hui, comme nous pouvons le voir au travers de taux d&rsquo;intérêts qu&rsquo;ils payent sur des obligations de long terme, ou au travers des taux européens qui sont actuellement proches de 0%. L&rsquo;argument classique pour contrer ce type d&rsquo;actions est de dire que les taux vont alors commencer à augmenter, empêchant l&rsquo;investissement privé et enfin conduire à une hausse de l&rsquo;inflation. Il est clair qu&rsquo;aucun de ces deux problèmes n&rsquo;existe à ce jour pas plus que dans un proche avenir. Les gouvernements européens n&rsquo;ont aucun besoin de saboter le travail de leurs populations, ce qui leur coûte des trillions de dollars en termes de croissance perdue.&nbsp;

Puissance Chine - croissance

Les drames de la mondialisation, une faillite politique

700 millions de Chinois et moi et moi et moi 

Pourquoi les ravages de la mondialisation sur les classes moyennes ne sont pas une fatalité économique mais le fruit d’un fiasco des élites politiques des pays développés

<h3 class="s2">Atlantico : Depuis la création de l&rsquo;OMC en 1995, le monde est entré dans une mondialisation d&rsquo;une ampleur inédite. Toutefois, cette mondialisation connaît des ratés, comme a pu l&rsquo;indiquer l&rsquo;économiste de Harvard, Dani Rodrik , qui semble regretter certains choix effectué : &quot;C&#39;était un choix de ne pas s&#39;en tenir à l&#39;Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC ou GATT) et de mettre sur pied l&#39;OMC, beaucoup plus ambitieuse - et intrusive. (...) &nbsp;Ce fut le choix des gouvernements d&#39;assouplir la réglementation des transactions financières et de se fixer comme objectif la mobilité transfrontalière totale des capitaux, et ce fut encore un choix de ne pas revenir, pour l&#39;essentiel, sur ces politiques, malgré une énorme crise financière mondiale&quot;. Quelles ont été les conséquences de ces choix ?</h3>Jean-Marc Siroën :&nbsp;La mondialisation a commencé au début des années 1970 lorsque le système de Bretton Woods, fondé sur les changes fixes, a été abandonné au profit de changes flottants. En effet, ce changement a permis la libéralisation des mouvements de capitaux quitte à accepter une plus grande volatilité des taux de change. La mobilité du capital a ainsi permis aux pays bénéficiant d&rsquo;un excédent d&rsquo;épargne de financer les pays à déficit qui ont trouvé un moyen facile de financer leur déficit budgétaire. La mobilité des capitaux est ainsi, avant tout, la mobilité des titres de la dette publique comme les bons du Trésor. Mais elle soumet &nbsp;aussi les Etats aux caprices, voire à l&rsquo;irrationalité, des marchés financiers. Qu&rsquo;ils perdent confiance dans la solvabilité d&rsquo;un pays et c&rsquo;est la crise, comme ce fut le cas pour la Grèce. De fait, la confiance ne se rétablit que par des politiques d&rsquo;austérité qui peuvent avoir pour effet paradoxal de perpétuer, voire d&rsquo;aggraver, la crise. Cette mobilité des capitaux a permis d&rsquo;élargir le champ de la spéculation qui, d&rsquo;un côté, élargit les inégalités de patrimoine et, d&rsquo;un autre, fait peser sur l&rsquo;économie mondiale le risque d&rsquo;éclatement des bulles spéculatives comme lors de la crise des subprimes.Ce retour des crises économiques a évidemment pesé davantage sur les plus fragiles, y compris les classes moyennes : déclassement, baisse des salaires, alourdissement de la charge fiscale. Il ne faut pas confondre la transformation en 1995 du GATT en OMC et la libéralisation des échanges qui aurait de toute façon eu lieu. Le choc n&rsquo;est pas venu de l&rsquo;OMC, mais du ralliement des pays émergents, au premier rang desquels, la Chine, à des stratégies de croissance par les exportations qui ont contraint les pays développés à s&rsquo;ajuster, c&rsquo;est-à-dire à abandonner les activités intensives en travail peu qualifié. Certes, cette ouverture donnait la possibilité de conquérir les nouveaux marchés qui s&rsquo;ouvraient dans les pays émergents pour des produits exigeants en main-d&rsquo;œuvre qualifiée et en technologie. Il n&rsquo;en demeure pas moins que les classes défavorisées et une frange de la classe moyenne ont été laissées sur le carreau alors que les plus qualifiés ont plutôt gagné à cette recomposition. En même temps, la remise en cause de l&rsquo; &quot;Etat-providence&quot; empêchait d&rsquo;aller plus loin dans une redistribution en faveur des &quot;perdants&quot; de la mondialisation. D&rsquo;où une croissance du chômage dans les pays développés qui n&rsquo;a pu être atténuée que par une croissance plus forte des inégalités. &nbsp;Nicolas Goetzmann :&nbsp;Le premier point à souligner est le paradoxe de la mondialisation. Les 20 dernières années ont été une période de croissance mondiale soutenue, qui a permis la sortie de l&rsquo;extrême-pauvreté de près d&rsquo;un milliard de personnes, ce qui est une avancée phénoménale. La mondialisation, en elle-même, ne peut donc être mise en cause en tant que méthode d&rsquo;élévation générale des niveaux de vie. Le paradoxe est que cette mondialisation s&rsquo;est diffusée de façon inégale, laissant les classes moyennes et populaires des pays développés sur le bas-côté. Or, ce sont ces mêmes classes moyennes, qui, par leur vote, sont en capacité de mettre fin à ce processus. La question n&rsquo;est donc pas d&rsquo;en finir avec la mondialisation, mais de trouver le remède à ce mal qui menace l&rsquo;édifice, en permettant à ces populations de profiter des bienfaits de la mondialisation.Concernant la remarque de Dani Rodrik, Il est effectivement possible de scinder la mondialisation en deux sous-parties, entre la libération des flux de biens et services, et celle des capitaux, c&rsquo;est-à-dire la mondialisation financière. Si la première est, sans équivoque, positive, la libéralisation des flux financiers pose plus de questions. Ce que Rodrik dénonçait d&rsquo;ailleurs déjà il y a près de 10 ans, en mettant en avant la source de risques qu&rsquo;elle représentait. Parce qu&rsquo;une finance mondialisée équivaut à transformer l&rsquo;économie mondiale en une cordée d&rsquo;alpinistes. Mais ce risque découle principalement du comportement de certains Etats qui jouent avec le feu, en faisant tout leur possible pour obtenir une balance courante toujours plus élevée, ce qui a pour effet de provoquer, par un effet de cascade, un déversement de capitaux permettant de &quot;sur&quot; financer d&rsquo;autres pays, ce qui conduit à une situation instable. C&rsquo;est le cas de l&rsquo;Allemagne, par exemple, au cours des années 2000, et toujours aujourd&rsquo;hui, qui abreuvait les pays du Sud de l&rsquo;Europe de capitaux, comme l&rsquo;Espagne, le Portugal et la Grèce. Le résultat est connu. L&rsquo;ouverture aux flux de capitaux n&rsquo;est pas une mauvaise chose en soit, mais le manque de régulation au niveau international a fait de cette période une sorte de far west financier, où tous les excès ont été possibles. Le problème, sans doute, est que ces excès n&rsquo;ont pas été payés par ceux qui en étaient à l&rsquo;origine. En Europe notamment, où les classes moyennes, les classes ouvrières en ont payé le prix, ou, plus géographiquement, par les pays du Sud de l&rsquo;Europe.<h3 class="s2">Avec 20 ans de recul, quels enseignements de notre expérience de la mondialisation pourrait-on tirer pour &quot;repartir à zéro&quot; ? Sur quelles bases serait-il imaginable de fonder une nouvelle mondialisation qui profiterait à tous, y compris à ses grands oubliés ?</h3>Jean-Marc Siroën :&nbsp;Je dirais plutôt depuis 40 ans. La crise de 2008 n&rsquo;a pas conduit à la même révolution idéologique que la crise de 1930 qui avait confié aux Etats la responsabilité de combler les &quot;défaillances&quot; du marché et d&rsquo;établir un ordre international qui éviterait les politiques d&rsquo; &quot;égoïsme sacré&quot;. Cet ordre serait fondé sur de grandes organisations multilatérales comme le FMI, la Banque Mondiale et le GATT (devenu l&rsquo;OMC). Néanmoins, sans &quot;révolution&quot;, le G20 a été renforcé avec quelques décisions structurantes sur la supervision financière ou sur l&rsquo;évasion fiscale. Il faudra sans doute aller plus loin et sortir d&rsquo;un flou où, par exemple, le FMI peut à la fois imposer des politiques de discipline budgétaire et préconiser des politiques de relance&hellip; En ce qui concerne le commerce international, il ne faut pas attendre de nouvelles vagues de libéralisation. Les négociations multilatérales de Doha n&rsquo;aboutiront pas, faute de consensus &ndash;et du désintérêt des Etats-Unis- et même les accords régionaux, transpacifiques ou transatlantiques, ont un avenir très incertain.Cette pause doit être utilisée pour apaiser les inquiétudes qui font parfois du commerce le bouc émissaire des difficultés, mais elle doit aussi permettre aux pays avancés de repenser leur spécialisation et de consolider leurs secteurs d&rsquo;excellence. Mais l&rsquo;affirmation nécessaire d&rsquo;activités à fort contenu technologique et en travail qualifié ne suffira pas à intégrer les classes délaissées.Nicolas Goetzmann :&nbsp;Ce que nous avons appris, pour les pays occidentaux, c&rsquo;est que la mondialisation a conduit à une destruction rapide et conséquente des emplois moyennement qualifiés, et à une stagnation des salaires pour ces mêmes emplois. Le problème est donc évident, et il n&rsquo;est pas si compliqué que ça à résoudre. Les Etats doivent mener des politiques de plein emploi en donnant les moyens à leurs Banques centrales de soutenir très largement la demande. Si une telle solution conduit à se défaire de l&rsquo;idée d&rsquo;une compétition internationale par les coûts, elle aurait pour intérêt de transformer la mondialisation en une compétition sur la qualité et sur l&rsquo;innovation, ce qui est autrement plus enthousiasmant.Une telle solution pourrait être mise en place par le G20, en demandant à chaque pays de s&rsquo;assurer de ce que la croissance de sa demande intérieure soit conforme à son potentiel et que celle-ci soit stabilisée. Cela permettrait à chacun de balayer devant sa porte, et de voir qui joue vraiment le jeu collectif. Car à ce jour, deux pays sont en cause : l&rsquo;Allemagne et la Chine, qui ont des politiques publiques ayant pour objectif de produire bien plus que ce qu&rsquo;ils ne consomment. C&rsquo;est ce déséquilibre qui est une menace. Et pourtant, c&rsquo;est aussi ce déséquilibre qui est en train de transformer l&rsquo;Europe toute entière. L&rsquo;Europe d&rsquo;aujourd&rsquo;hui a le même comportement vis-à-vis du reste du monde que celui de l&rsquo;Allemagne des années 2000. L&rsquo;Europe, par le biais de l&rsquo;Allemagne, exporte ses capitaux à l&rsquo;étranger. A l&rsquo;inverse, si chaque pays se concentrait sur sa demande intérieure, le risque d&rsquo;instabilité financière serait alors amoindri, et les classes moyennes commenceront à profiter, en trouvant un emploi, ou en bénéficiant de hausses de salaires.<h3 class="s2">Toujours selon Dani Rodrik, &quot;Les populistes séduisent parce qu&#39;ils expriment le ressentiment des exclus. Ils proposent non seulement un récit général, mais aussi des solutions qui, pour être fausses et souvent dangereuses, n&#39;en sont pas moins concrètes. Les responsables politiques classiques ne pourront regagner le terrain perdu qu&#39;à condition d&#39;offrir, eux aussi, des solutions &ndash; sérieuses&quot;. D&rsquo;un point de vue politique, en France, les différents candidats semblent encore s&rsquo;opposer sur un discours pro ou anti-mondialisation sous sa forme actuelle. Quels sont les éléments manquants à de tels discours ? Comment réorienter une re-mondialisation pour que celle-ci soit inclusive des classes moyennes ?</h3>Jean-Marc Siroën :&nbsp;Le discours populiste, de droite comme de gauche, a fait de l&rsquo;anti-mondialisation un des axes principaux de son argumentaire. Le discours s&rsquo;est même rétréci car il est passé d&rsquo;un repli sur l&rsquo;Europe, à un repli sur la nation voire, dans certains pays, sur la région. Mais, à l&rsquo;opposé, les partis traditionnels évitent de rentrer dans le débat. On paye ainsi l&rsquo;échec de l&rsquo;idéologie d&rsquo;une &quot;mondialisation heureuse&quot; qui ne retenait que les effets bénéfiques de cette évolution en ignorant les laissés pour compte. Puisque, pour une nation, les gains de la mondialisation &nbsp;l&rsquo;emportent sur les pertes, &nbsp;il n&rsquo;y a pas problème. Ce déni se révèle aujourd&rsquo;hui catastrophique. Mais il ne faut pas attendre de la mondialisation qu&rsquo;elle devienne spontanément inclusive. On doit par contre exiger des politiques qu&rsquo;elles en corrigent les effets indésirables. Le portefeuille d&rsquo;activités d&rsquo;un pays doit permettre un certain équilibre entre les secteurs exposés à la concurrence internationale avec des emplois délocalisables et des secteurs &quot;abrités&quot; (ce qui ne signifie pas improductifs) avec des emplois non-délocalisables.La mondialisation n&rsquo;explique pas que la France soit régulièrement déclassée par l&rsquo;OCDE pour le caractère insuffisamment inclusif de son système d&rsquo;information. Les réformes fiscales successives ont souvent conduit à concentrer la charge des impôts sur les classes moyennes. L&rsquo;absence de politiques du logement et l&rsquo;insuffisance du transport urbain ont isolé les classes moyennes, même à revenus relativement élevés. Les exemples pourraient être multipliés&hellip;Nicolas Goetzmann :&nbsp;La mondialisation, sous sa forme actuelle, n&rsquo;est pas tenable politiquement. Comment croire que les classes moyennes et les classes populaires, en Europe ou aux Etats-Unis, vont continuer à se laisser faire de la sorte ? L&rsquo;émergence de Donald Trump, de Bernie Sanders, ou des partis populistes en Europe, montrent bien que la fin est proche. De l&rsquo;autre côté, les partis de gouvernement, notamment en France, refusent de voir tout défaut au système actuel. Et ce, malgré les masses de rapports de recherche économique publiés, se basant sur des périodes suffisamment longues pour être pertinents. Il est ahurissant de ne pas prendre la réalité en compte et de ne pas proposer les ajustements nécessaires pour rendre la situation tenable. Les Européens sont véritablement un cas d&rsquo;école dans cette histoire, avec cette obsession de se battre sur des niveaux de salaires, de coût du travail, ou la réduction des dépenses publiques. Avec une telle attitude, la croissance est toujours plus faible au fil des années, avec des entreprises qui n&rsquo;investissent plus, faute de clients, et donc qui n&rsquo;innovent plus, qui n&rsquo;investissent plus. A l&rsquo;inverse, si chaque pays était &quot;fort&quot; chez lui, si chaque pays soutien sa demande intérieure de façon optimale, alors la compétition ne se fera plus sur les coûts, mais sur la qualité et l&rsquo;innovation. C&rsquo;est un cercle vertueux. Les responsables politiques n&rsquo;en sont pas encore là, ils continuent de débattre avec les anti- mondialisation alors que cela n&#39;a plus de sens. On est passé à autre chose.

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Re-mondialisation : comment repenser les règles du monde construit depuis 25 ans

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L'heure de la RE-mondialisation ? Et s'il était temps d'appuyer sur pause et de réinitialiser les règles du monde construit depuis 25 ans...

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Comment la mondialisation a conduit à la radicalisation du vote des électeurs au sein des sociétés occidentales (tout en affaiblissant les modérés)