Atlantico Business
Le chômage est revenu à son niveau d’avant crise, mais les entreprises sont en risque de pénurie de main-d’œuvre
La crise pandémique n’a pas provoqué de catastrophe économique ou sociale mais a ramené le système français face à une réalité paradoxale de pénurie de main-d’œuvre liée à la faillite structurelle du système éducatif.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
Les chiffres de l’emploi publiés vendredi nous ramènent à une réalité têtue et assez peu glorieuse dans notre incapacité à l’analyser et à l’accepter.
1er point : Globalement, les chiffres de l’emploi sont bons. Ils sont revenus au niveau de 2019. 8% de taux de chômage. Ils correspondent d’ailleurs et très logiquement à la reprise de l’économie en phase de sortie des confinements.
2e point : Contrairement à ce que la majorité des analystes prédisaient en 2020, il n’y a pas eu cette avalanche de faillites et de dépôts de bilan et surtout cette vague de chômage quasi apocalyptique. On peut donc toujours reprocher au gouvernement et au président des erreurs dans la gestion de la crise sanitaire et son manque d’anticipation de l’évolution du virus, mais il faudra bien reconnaître les faits et les chiffres de la situation économique.
3e point : les plans d’aide, de soutien et de relance ont permis d’amortir le choc, le « quoi qu’il en coute » mis en musique par le ministre de l’Economie a fonctionné. Alors il faudra, bien sûr, en payer le prix mais normalement, la croissance endogène et les plans de solidarité européenne doivent le permettre, sans pression fiscale supplémentaire. C’est le pari de Bercy.
4e point : Cette réalité-là, incontournable, nous rappelle aussi un certain nombre de faiblesses, de déficits et de failles structurelles. Les entreprises malades avant la crise, le sont encore en sortie de crise. On les avait oubliées sous l’effet des anesthésiants. Il va donc falloir les gérer.
Sur l’emploi, la résurgence des problèmes structurels va paraître encore plus paradoxale. Parce que si le chômage est retombé à son niveau de 2019, il ne faudra pas s’en contenter. Le taux d’actifs au chômage est de 8 % de la population active. C’est beaucoup mieux que "les plus de 12%" qui avaient été annoncés par tous les prophètes de la peur, y compris la Banque de France, dont on peut se demander à quoi elle a joué pendant cette période tant ses analyses étaient convenues et banales, mais passons. L’air du temps, sans doute !
Alors, cette situation de l’emploi laisse quand même une masse de chômeurs difficiles à caser, des « Neet » jeunes de moins de 30 ans au nombre de 2,5 millions et qui n’ont ni emploi, ni éducation, ni formation, ni très souvent de famille. Et ne parlons pas des populations immigrées en situation irrégulière qui n’apparaissent pas dans les statistiques de Pôle emploi.
Le paradoxe, c’est qu’avec cette armée de main-d’oeuvre potentielle (sous l’angle quantitatif), beaucoup d’entreprises se retrouvent aujourd’hui en situation de pénurie de main-d’œuvre. Soyons précis, au cours du deuxième trimestre, le secteur privé a créé 239.500 emplois, il aurait pu en créer un tiers de plus...
« Nous sommes en pénurie » prévient François Asselin, le président de la CPME (petites et moyennes entreprises).
Alors pourquoi ? comment ? Curieusement, les analyses critiques émanant des courants politiques ou des syndicats ne le clament pas haut et fort et pourtant :
D’abord, il faut le reconnaître, une partie des salariés mis au chômage partiel rechignent à revenir au bureau, ou à l’atelier.
Ensuite, une partie de ces allocataires ont décidé d’abandonner leur job. Le confinement ou le télétravail ont fait murir chez eux des désirs de changement. D’où leur recherche et l’utilisation de leur compte de formation, mais ça demandera du temps avant que ça n’accouche d’une nouvelle activité.
Enfin, la reprise spectaculaire de beaucoup de secteurs a mis sous tension le marché de l’emploi : le bâtiment, le second-œuvre, le digital et le e-commerce, les transports, les services de la restauration ou de l’hôtellerie, tous les métiers de l’entretien, de la santé et de l’éducation. On s’attend à une tension forte dans les années qui viennent, sur tous les métiers liés à la transition énergétique, (équipement électrique, isolation, agriculture) et à la réindustrialisation de certaines régions (nord de France, Rhône Alpes).
Selon la note de conjoncture pour le mois d’aout, de la Banque de France, les difficultés de recrutement concernent désormais entre le tiers (31%) et la moitié (54%) des entreprises, selon leur secteur d’activité et leur région.
Et encore, la plupart des entreprises reconnaissent que toutes les formules d’apprentissage, formations en alternance qui ont été mises en place par les entreprises avec des aides de l’Etat (sous forme d’allègements de charges) ont permis de satisfaire beaucoup de besoins.
Mais on est loin du compte, surtout si le gouvernement se fixe comme objectif de réindustrialiser en partie le pays, de le mettre à niveau de la digitalisation et de répondre aux contraintes climat.
Les entreprises sont prêtes à prendre leur part pour faciliter les embauches : l’amélioration de salaires a contribué à protéger, et même augmenter, le pouvoir d’achat pendant toute cette période de crise, la priorité donnée au CDI a également participé à l’attractivité du travail.
Mais ça ne suffira pas. L’entreprise n’est pas capable de résoudre la question de ceux qui n’ont ni job, ni formation, ni envie de travailler. L’entreprise n’est pas capable de procéder à l’intégration et à l’assimilation des vagues migratoires. L’entreprise ne peut pas concurrencer l’attrait des revenus sociaux et moins encore, l’attrait des revenus issus de différents commerces illégaux.
La crise du Covid n’a pas guéri, comme par miracle, ceux qui était déjà malades de croissance, du progrès technologique et des mutations ... Quant aux activités parallèles, (drogues, fraudes fiscales et cyberattaque), disons qu'elles en ont plutôt profité.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !