La grande crise, année 5 : quel impact sur les habitudes des Français en vacances?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Cela fait 15 ans qu’un Français sur deux ne part pas en été
Cela fait 15 ans qu’un Français sur deux ne part pas en été
©Reuters

Feu les Grandes vacances ?

Avec la crise, les comportements s'adaptent, et les vacances n'y échappent pas. Cependant, malgré leurs contraintes budgétaires, les Français envisagent de moins en moins de les sacrifier. Les vacances d'été sont plus que jamais le moment annuel du repli en famille.

Jean-Didier Urbain

Jean-Didier Urbain

Jean-Didier Urbain est sociologue, spécialiste du temps libre, des vacances et des voyages.

Il est l'auteur de Le voyage était presque parfait (Payot, 2008) et L'envie du monde (Breal, 2011)

 

Voir la bio »

Atlantico : A cause de la crise, les Français se serrent-il davantage la ceinture pour partir en vacances ? Revoient-ils l’ordre de leurs priorités ?

Jean-Didier Urbain : Ils ne font pas nécessairement passer les vacances au deuxième plan. On constate une érosion du taux de départs sur l’année, qui est liée à la crise : on est revenu aux chiffres de 1985. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils "secondarisent" les vacances. Ils résistent et s’organisent comme ils peuvent pour pouvoir continuer à partir. D’un point de vue sociologique et anthropologique, la crise est intéressante dans la mesure où elle accélère les processus de défense des loisirs.

Mais ne nous braquons pas sur la diminution du taux de départs en été, car il s’agit d’un faux scoop. Cela fait 15 ans qu’un Français sur deux ne part pas en été. Les "Grandes vacances" n’existent plus. On s’interroge toujours sur les départs en vacances en juin et en mai, mais jamais en septembre ou en novembre, alors que les Français partent autant à ces moments-là. Nous restons bloqués sur un vieux schéma qui n’est pas celui de la réalité. Même la réforme scolaire s’y met, les périodes de vacances sont de moins en moins étalées. Ces gros départs font beaucoup parler, alors que les retours de parents qui ont déposé leurs enfants quelque part (colonie, amis, grands-parents…), beaucoup moins. On ne part plus comme dans les années 60 pour un mois ou deux, et il faut en prendre acte. La crise ne provoque pas le phénomène, elle ne fait que l’accélérer.

Peut-on dire que la crise incite les Français à privilégier des vacances hors saison, par souci d’économie ?

Compte tenu de la surchauffe des tarifs en été, c’est indéniablement une stratégie. En toute logique, tout consommateur "intelligent" se délocalise dans l’espace ou dans le temps, l’enfant et les calendriers scolaires restant une grande contrainte pour la société. Les parents sont "ficelés" par eux dans leur mobilité.

Comment les familles s’adaptent-elles pour partir en vacances avec moins d’argent ? Y réfléchissent-elles plus qu’avant ?

Globalement, elles pratiquent la mutualisation des frais de transport, de location et autres. On voit apparaitre des locations de plus en plus nombreuses, car il est plus économique de louer un appartement à dix qu’à deux. Pour le transport, le covoiturage de loisir se développe. On voit aussi les retraités intégrer de plus en plus des produits de vacances, où eux ont encore un pouvoir d’achat que leurs enfants ou petits-enfants n’ont plus. L’esprit à l’origine de tout cela est celui de la défense de ses loisirs. Le sondage Ipsos de mai 2013 indique que seulement 7% des Français envisagent de sacrifier le "poste vacances" dans leur budget. Il y a 30 ans, ils étaient 90%, car à l’inverse, c’était les vacances qui passaient d’abord à la trappe. Plus qu’une norme, le désir de partir en vacances est devenu un besoin social. Car il faut bien comprendre que ce qui se joue au travers des vacances, c’est l’ordre social.

En incitant à la mutualisation des moyens, la crise renforce-t-elle la cohésion sociale et familiale ?

La crise fragilisant tout le monde, elle facilite forcément les liens de solidarité et de partage. Sans être paradisiaque, c’est l’un des effets de la crise, qui fait se rendre compte à quel point on a besoin des autres. D’un point de vue politique, c’est inquiétant pour les dirigeants, car se créent des réseaux parallèles en marge de l’institutionnel et du légal : le marché noir du temps vacant, de la location et du troc locatif se développe dans l’invisibilité la plus totale. Il ne s’agit pas là d’un phénomène anodin, et la crise ne peut qu’accélérer ce processus.

Dans quelle mesure les activités des vacanciers sont-elles affectées par la crise ?

Les vacances d’été sont traditionnellement des vacances de retrouvailles, si ce n’est de repli sur soi et les siens. La crise ne fait que le renforcer, ce qui rend d’autant moins pertinents les discours sur le tourisme culturel et la curiosité de l’autre. Les pratiques touristiques ne sont que des symptômes de société : il suffit de les regarder à chaque époque pour comprendre ses envies et ses peurs. Le sondage Ipsos-Europe assistance montre que plus de 62% des Européens ont pour projet vacancier le "repli sur soi" : le repos, la tranquillité entre amis et en famille. Seuls 38% comptent "découvrir le monde". En vacances, les gens se moquent royalement des discours sur le tourisme culturel et la richesse patrimoniale des régions. Ils retissent des liens qu’ils n’arrivent pas à maintenir le reste de l’année, car les relations conjugales, parentales, amicales et familiales ont du mal à survivre au milieu urbain. Ils n’auront un intérêt pour les attraits culturels d’une région qu’à partir du moment où ils auront eux-mêmes fait la paix dans leur propre milieu social.

Les vacances d’été marquent traditionnellement la course à la mer. La crise peut-elle dissuader certains Français d’aller aussi loin ?

Cette tradition est issue des années 60, quand on s’est rué sur la Côte d’Azur, le Languedoc-Roussillon et la Costa Brava. Les gens y ont massivement adhéré, jusqu’à aller au Maroc ou en Tunisie, car là-bas tout est moins cher. Les Printemps arabes ont changé la donne, les Français boudent la Tunisie, vont un peu moins au Maroc même si ce dernier est à l’abri des turbulences.

L’été est le reliquat des Grandes vacances, qui n’existent plus, si ce n’est pour les enfants. Mais l’esprit est resté, car c’est le moment où le Français sort le moins de ses frontières, et se consacre à sa famille. Et contrairement à ce qu’on pense, il part plus souvent, mais à d’autres moments de l’année. En moyenne, les habitants de la région parisienne font 5 à 6 voyages personnels par an, ce qui vient contredire la conception monolithique des vacances d’été. Une question intéressante serait de savoir où ils partent en dehors des vacances "officielles".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !