Agriculture : petits éléments concrets pour prendre la mesure de l’inflation des normes<!-- --> | Atlantico.fr
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Les agriculteurs sont essentiellement confrontés à des normes et aux effets néfastes de la bureaucratie.
Les agriculteurs sont essentiellement confrontés à des normes et aux effets néfastes de la bureaucratie.
©Ed JONES / AFP

Inutile et bureaucratique

Beaucoup d'agriculteurs se plaignent du coût des mises aux normes en France.

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau est professeur d'économie à AgroParisTech et travaille sur les questions de commerce international dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement. Il est chercheur associé au CEPII.

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Atlantico : Beaucoup d'agriculteurs se plaignent du coût des mises aux normes en France. Selon les données de Légifrance, le code de l’environnement (qui ne vaut pas que pour l'agriculture) a augmenté de + 946% en mots entre 2002 et 2023. Le code rural en 1965 faisait 755 pages, en 2022, il fait 3.063 pages (+ 306%). Comment expliquer cette inflation des normes ? Cette hausse spectaculaire a-t-elle contribué à complexifier l’application des normes ?

Jean-Christophe Bureau : Il s’agit véritablement d’une inflation réglementaire inutile et bureaucratique. Ce phénomène est généralisé. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème pour le monde agricole. Tous les domaines concernés par ces codes ou ce type de normes connaissent une véritable inflation, une hausse spectaculaire du nombre de réglementations. La situation s’apparente donc à une maladie générale de la France et cela ne touche pas uniquement les agriculteurs. Je peux témoigner combien cela s’est propagé également au sein des universités avec d'incessantes évaluations chronophages. Pour l'agriculture, ce n’est pas tellement le contenu de la norme qui est central, car on voit bien que ces normes ne sont plus du tout efficaces. C'est l'obligation de justifier, renseigner, certifier… Or on a le pire des deux mondes car on a le coût en temps et en argent pour les agriculteur mais l’environnement continue à se dégrader malgré la multiplication des normes. Les rapports annuels de l'Autorité environnementale démontrent par exemple l’inefficacité des normes pour la protection de la biodiversité. Ce système ne satisfait personne, ni les agriculteurs, ni les citoyens qui se préoccupent de l’environnement. Il s’agit du vrai problème de la France.

Les revendications des agriculteurs se focalisent beaucoup sur l'aspect environnemental. Si celles ci apparaissent comme des contraintes aux agriculteurs, il faut voir que l'Etat prend des mesures sous la pression et la demande de la société civile. Qui voudrait des produits sans engrais et sans pesticides, du "bien être animal", pas d'OGM, mais… en pratique achète des produits bon marchés importés.

Pour répondre à la pression de ces groupes, par exemple sur le bien-être animal, l'Etat passe des règlementations (qui ne viennent pas toutes de Bruxelles) qui sont en pratique à peu près inapplicables. D'ailleurs souvent des dérogations sont obtenues. On a donc seulement créé de la bureaucratie.

Les normes ont-elles un poids réel trop important dans le quotidien des agriculteurs ? Quels sont les exemples concrets les plus marquants de normes qui nuisent aux agriculteurs ?

Les agriculteurs consacrent de plus en plus de temps à des tâches administratives. Concrètement ceci est très chronophages. Cela les conduit même à cesser certaines productions, ou à ne pas entrer dans certains programmes volontaires (des programmes de protection de l'environnement en particulier) car il y a un risque à devoir rembourser des financements pour ne pas avoir appliqué un cahier des charges… parfois inapplicable.

Concrètement, ces règlementations se traduisent aussi par un décalage avec d'autres pays. On demande aux agriculteurs de produire à bas coût, mais leurs concurrents américains, brésiliens ou asiatiques peuvent utiliser des OGM pour leur maïs, des animaux clonés pour leurs veaux, des hormones qui accroissent le rendement laitier (somatotropine) ou des hormones qui accroissent la production de viande bovine…. Auxquelles ils n'ont pas accès. Ceci se traduit par des importations qui concurrence de manière assez peu loyale les productions européennes.

Cet état de fait est-il directement lié à la politique européenne ou la France applique-t-elle trop de normes créant des distorsions de concurrence ?

La Commission européenne était lasse d'être accusée d’être responsable des normes et de l’inertie de la bureaucratie qu'elle a très largement délégué la nouvelle PAC aux Etats membres. Ce sont depuis le 1er janvier 2023 les Etats qui définissent leur politique agricole par un "plan stratégique national"…. Il est significatif que celui de la France dépasse les 1000 pages !!! Depuis un an, le poids de la bureaucratie est davantage lié aux règlementations sur lesquelles la France a un grande marge de manœuvre. Il devient donc difficile de blâmer Bruxelles pour les normes et le poids de la bureaucratie.

Est-ce que la France surtranspose les normes européennes ? Cet argument est beaucoup repris par la FNSEA, mais en fait il n'y a pas une surtransposition généralisée et sur certains points, la France est moins exigeante que d'autres pays (bien-être animal par exemple). Des produits phytosanitaires, des pesticides, sont interdits en France alors qu’ils sont autorisés en Espagne et en Pologne. Il y a également des disparités concernant les installations classées pour les élevages (seuils au dessus desquels on est classé comme polluant et soumis à des normes plus strictes). Les seuils ne sont pas les mêmes entre les différents pays européens, mais le ministre Le Foll a déjà corrigé une partie des disparités. En fait, si les règlementations sont vraiment très différentes dans les pays extra-européens, au sein de l'UE les écarts de compétitivité doivent bien moins aux normes qu'aux écarts dans le coût de la main d'œuvre. Les Allemands ont diminué beaucoup les charges sociales en agriculture, et ils ont une main d'œuvre immigrée d'Europe de l'Est qui est assez exploitée; on a aussi cette question en Espagne où les salaires sont plus bas. Les charges sociales qui doublent le coût du travail les feuilles de paie qu'un comptable facture 100 euros pièces, tout ceci handicape les secteurs à forte main d'œuvre comme les fruits et légumes. Mais ce problème est français, plus qu'agricole, il est le même pour les entrepreneurs et les petits commerçants.

La crise actuelle et la mobilisation des agriculteurs vont-elles permettre de changer de regard, de réduire l’impact et le poids des normes de la bureaucratie sur l’agriculture ?

Les gouvernements et les ministres successifs ont tous promis un choc de simplification. Or, peu de solutions et de réformes ont été menées. Cela correspond souvent à des promesses de campagne.

En milieu rural, il n'y a plus de service public. Plus de médecins, plus de trains, plus de ramassage des ordures... De ce fait, les contraintes de normes et de règlementations, parfois kafkaënnes sont d'autant plus mal perçues que l'Etat n'est plus vu que comme une entité qui taxe et qui ennuie les gens. C'est aussi une crise d'exaspération du monde rural, qui se voit abandonné, taxé et …. Enquiquiné. Avec des règlementations aussi lourdes qu'inefficaces sur l'eau, les véhicules, les aspects sanitaires… l’exécutif et l’administration apparaissent comme source d'un harcèlement législatif, juridique contre tout le milieu rural, sans que celui-ci ne voie les bénéfices.

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