49.3 ou pas, avec ou sans amendements débattus : voilà pourquoi le budget 2023 est l’un des moins adaptés aux défis auxquels est confrontée la France<!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale lors de l'annonce du recours au 49.3 pour l'adoption du budget.
La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale lors de l'annonce du recours au 49.3 pour l'adoption du budget.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Réalité du contexte économique

117 amendements ont été retenus par le gouvernement pour la première partie du projet de loi de finances adopté ce mercredi sans vote, via l'article 49.3 de la Constitution.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Que pensez-vous du budget actuel présenté par le gouvernement ?

Pierre Bentata : Ce budget est très ambitieux sur les dépenses mais irréaliste sur les recettes. Il continue un bouclier énergétique, augmente la plupart des ministères, finance l’apprentissage et la transition énergétique mais conclut pour autant que le déficit ne va pas se creuser. Il prévoit soit une augmentation des recettes, sans savoir comment, soit par une maîtrise du budget qui n’est pas cohérente avec les chiffres avancés. Ma seule hypothèse, mais rien n’est explicité, c’est que le gouvernement parie en même temps sur une croissance plus forte qu’annoncée ou alors un effet Laffer, selon lequel une baisse des impôts augmente l’activité, donc les recettes fiscales, malgré la baisse de l’impôt. Mais rien ne permet de penser que c’est une perspective crédible. Donc il y a un déséquilibre qui est clairement passé sous silence.

Philippe Crevel : Établir un budget, c'est toujours quelque chose de complexe pour un gouvernement. Il faut satisfaire les administrations et les différents secteurs d’activité du pays tout en respectant les règles de gestion financière. Quand les incertitudes sont multiples comme maintenant, et qu’il n’y a pas de majorité absolue -ce qui est une 1ère depuis le gouvernement de Michel Rocard- l’exercice devient quasiment impossible.

 D’un autre côté, le pays est fragmenté, il y a peu de consensus. Une grosse majorité veut des dépenses et davantage de soutien et une petite minorité qui serait plus encline à accepter un certain rétablissement des règles comptables orthodoxes.

Le budget traduit une inclinaison de la population française au maintien de forts dispositifs de soutien comme pour le secteur de la santé, pour lutter contre les crises ou pour la défense. On voit bien que le gouvernement a fait l’impasse sur le rétablissement d’un équilibre à moyen terme.

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À quel point ce budget prend ou pas la réalité du contexte économique et énergétique actuel et futur ?

Pierre Bentata : C’est un budget très optimiste. Mais il est honnête dans la mesure où il précise tabler sur un scénario particulier. La question est de savoir si c’est un scénario crédible. Moins de 5% d’inflation me paraît très optimiste puisque nous sommes déjà au-dessus ; un taux de croissance revu à la hausse est aussi optimiste. En revanche, la vraie incertitude, c’est que tous les coûts et notamment l’énergie et les matières premières sont vus de manières très optimistes. Cela part du principe que rien n’empire en Ukraine et que les choses s’améliorent en Allemagne et au Royaume-Uni. Dans l’hypothèse où tout va bien, ou rien n’empire et tout s’améliore, le budget est crédible. Mais cela fait beaucoup d’hypothèses.

Mais dans un contexte de public choice, si vous dites à la population que vous augmentez les impôts car vous êtes surendettés, alors même qu’on se rend compte de l’état de l’hôpital et de l’éducation, ça ne passera pas. Donc peut-être y-a-t-il peu de marge de manœuvre pour le gouvernement. Mais les choses auraient été plus claires si la France avait annoncé un déficit pour la fin.

Philippe Crevel :Le projet de loi finance qui est basé sur des hypothèses économiques plutôt optimistes ne doit pas mener à une condamnation du gouvernement -s’il utilisaient des hypothèses négatives on dirait qu’ils sont pessimistes-. La prise en compte du contexte est complexe puisque nous sommes face à de nombreuses incertitudes sur l’évolution des prix, sur la capacité à assurer un approvisionnement régulier des énergies, etc. Là-dessus le gouvernement a prévu un certain nombre de dispositifs. Mais l’essentiel est surtout sur ce que l’on va faire dans les 10 prochaines années en termes de construction d’infrastructures pour le nucléaire ou le renouvelable.

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S’inscrit-il dans une logique cohérente avec la politique monétaire ?

Pierre Bentata : Non. Mais il y a globalement en Europe une incohérence entre la politique budgétaire des Etats et la politique monétaire de la BCE. La BCE qui recommence à vouloir lutter contre l’inflation et la masse monétaire est contrainte d’aller à l’encontre de ce que font les Etats. Ces derniers essaient de protéger les populations et utilisent des politiques budgétaires plutôt expansionnistes. Cela met à jour une incohérence : l’existence de budgets nationaux face à une banque centrale censée être indépendante. Les budgets sont faits sans prendre en compte le fait que la BCE puisse se retrouver contrainte de rendre les dettes des Etats bien plus importantes. Et la BCE qui se trouve empêchée dans sa mission car les Etats décident de politiques monétaires.

Est-ce que les modèles fondamentaux de notre croissance ne sont-ils pas en train de partir et le gouvernement n’est-il pas trop optimiste face à l’ampleur des dégâts possibles ?

Pierre Bentata : Oui. Il y a une forme de menace de délitement structurel du fonctionnement de notre économie et le gouvernement s’en rend compte mais il y a un problème stratégique. Le budget montre une volonté de couvrir tous les problèmes. Il est conçu pour avancer sur tous les sujets. Or je ne suis pas sûr que c’est la manière de protéger notre souveraineté et de promouvoir la croissance. Il aurait sans doute mieux valu se concentrer sur une priorité et faire une chose, quitte à se dédire (comme on le voit avec l’électrique actuellement). En tentant de tirer partout, il y a de fortes chances que les énergies se diluent. Mais cela témoigne plus largement d’une absence de vision claire sur la manière de rendre le pays souverain et compétitif. Et d’une incapacité de trancher entre libéralisme et état stratège. Mais cet entre-deux n’est pas efficace. Il nous faudrait des gens mieux éduqués et des entreprises qui aient plus de marge de manœuvre et le budget ne permet pas cela. C’est pourtant ce qui permet de rendre prêt le pays face aux menaces. Le budget saupoudre par petites touches, mais c’est insuffisant.

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Philippe Crevel :La croissance est composée du travail, du capital et du progrès technique sur fond d’énergie abondante. Aujourd’hui nous manquons parfois de travail, nous avons un rapport de plus en plus compliqué avec le progrès technique et l’énergie se fait rare.

Il est difficile d’apprécier l’évolution du prix dans les prochaines années. Et dans le cadre de la décarbonation de nos activités, l’idée de gérer une rareté d’énergie à un prix élevé s’impose. La question est comment tirer profit de ce changement d’énergie imposé par le changement climatique et comment on en fait bénéficier la France.

Dire que c’est la fin de la croissance serait une contre-vérité même s’il faudrait fournir des efforts dans l’innovation ou la recherche pour remettre le pays sur les rails de l’innovation.

Y a-t-il des angles morts dans ce plan 2023 ?

Pierre Bentata : C’est véritablement l’optimisme sur le déficit. Quand dans de nombreux pays on repart à la hausse sur les bons du trésors, que l’on constate des swap importants entre les pays sûrs et les autres, cela ressemble à l’attaque spéculative vécue par l’Europe quand la Grèce menaçait de s’effondrer. C’est normalement un moment qui n’est pas du tout propice à laisser filer la dette. Il faut plutôt envoyer le signal inverse. Mais il n’y a rien là-dessus : on finance le bouclier tarifaire, la transition énergétique, on baisse dans le même temps les impôts de production, etc. Cela peut donner aux investisseurs une impression de surendettement.

Philippe Crevel :Il y en a évidemment comme dans tous les projets. Depuis des années il y a une absence d’actions vis-à-vis de l’accès au logement -il manque des logements et ce n’est pas nouveau-. La politique de logement coûte 40 milliards d’euros chaque année environ. Il n’y a pas de renouvellement des politiques à ce sujet et on perpétue des dispositifs de décennies en décennies ce qui ne règle pas le problème. Cela crée des frustrations au sein des populations qui expliquent une grande partie des colères. Le pouvoir d’achat commence avec le logement et le régionalisme y est aussi lié par exemple. Mais il faut se réjouir que l’on mette fin à ces passoires énergétiques car ce sont les gens les plus pauvres qui sont les premières victimes de cela.

Peut-être aussi sur la recherche et l’innovation sur lesquels il y a des intentions mais sans actions fortes derrière.

Quelles sont les principaux points notables de ce budget ?

Pierre Bentata : Il y a un volet énergétique, même si ce n’est selon moi pas le bon sens pour aborder la transition énergétique. Il y a un pilier pro-entreprise et aussi une vision cohérente sur l’éducation. Les derniers résultats internationaux ont dû inciter l’Etat à bouger. Mais tous les boucliers et protections des ménages sont dangereux car on ne peut pas protéger les gens indéfiniment, sauf à créer des crises. Il y a des grands axes, mais il y en a trop. Et cela pose des questions sur leur efficacité à terme.

Philippe Crevel :C’est un budget de poursuite d’accompagnement au niveau du soutien aux consommateurs -boucliers, etc-. Il y a aussi l’effort fait pour réduire la facture énergétique des ménages donc c’est plutôt un budget pro-consommateurs, favorable à la demande mais qui néglige un peu l’offre. Ce qui est paradoxal c’est que ce budget favorise la consommation lorsqu’il faudrait être plus dur pour limiter l’inflation et diminuer la demande.

Le sale boulot va être fait par la Banque Centrale Européenne et les états continueront à dépenser.

Sur la sécurité et la défense c’est aussi une poursuite de ce qui a déjà été fait.

Pensez-vous que le gouvernement est lucide sur ces enjeux ?

Philippe Crevel : Le constat est relativement partagé. Le problème ce sont premièrement les divisions. On paye par exemple très cher des politiques qui ont été mise en œuvre pour résoudre le problème nucléaire, il aurait fallu rester dans une vision du nucléaire de Jacques Chirac. Ce sont des mauvaises décisions qui ont été prises sur plusieurs gouvernement mais aujourd’hui le constat est la donc il faut trouver le consensus et des forces dans le pays.

Il y a beaucoup de défis compliqués à relever avec un pouvoir politique qui est affaibli par l’absence de majorité et par une peur de cristallisation des oppositions et des revendications.

Par rapport à d’autres budgets, celui-ci est-il particulièrement mauvais ?

Pierre Bentata : Non, il n’est pas catastrophique. Ou plutôt, les précédents n’étaient pas moins farfelus. Sauf qu’aujourd’hui il y a une vraie incertitude. Le budget est posé avec des contraintes extérieures non maîtrisées. Donc il est très ambitieux de mener un budget de la sorte. Mais il s’inscrit dans la lignée d’autres, tout aussi problématiques. Sauf que le niveau d’incertitude est beaucoup plus grave que les autres années.

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