Roger Fauroux, ministre de gauche sous Mitterrand, défendait tout ce que la gauche (ou ce qu’il en reste) déteste aujourd’hui<!-- --> | Atlantico.fr
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Portrait pris le 06 juin 1988 à Paris de Roger Fauroux, ministre de l'Industrie.
Portrait pris le 06 juin 1988 à Paris de Roger Fauroux, ministre de l'Industrie.
©JOEL ROBINE / AFP

Atlantico Business

Roger Fauroux est mort ce week-end. L’ancien président de Saint-Gobain avait été ministre de François Mitterrand et l’un des architectes du tournant libéral et européen des socialistes. Pour la gauche d’aujourd’hui, il était tellement transgressif qu’elle ne se précipitera pas à lui rendre hommage.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Toutes les bonnes manières se perdent. Les responsables de la gauche aujourd‘hui sont si peu nombreux ou si peu courageux, qu’ils ne sont guère à lui avoir rendu hommage et saluer sa mémoire. Ou alors ils ont été très discrets.

En fait, Roger Fauroux, avec sa carrière, son parcours et ses convictions, représentait tout ce que cette gauche française qui essaie d’exister abhorre. C’est peut-être une des raisons de ses difficultés à exister, en se faisant prendre la lumière par les groupes extrémistes. Roger Fauroux aimait le business, les belles lettres, la solidarité sociale, et en plus, il croyait en Dieu. Il avait tout pour déplaire à gauche.

Il était un pur produit et acteur de la France d’avant, celle des Trente glorieuses, des ingénieurs, cette France que regrette Éric Zemmour et sur ce point, il a raison sauf que cette France était aussi celle qui s’ouvrait à la productivité, l’Union européenne et la mondialisation...

Roger Fauroux a compris très vite que la puissance française ne se mesurait pas à la force de son armée ou de ses armes nucléaires, mais à son dynamisme économique sur les marchés internationaux.

Il n’était pas ingénieur, mais son passage à l’Ecole normale, lui avait fait aimer l’économie et l’humanisme. Ce qui l’avait entrainé dans l’étude des langues (il avait passé une agrégation d’allemand) et plus étonnant vers l’histoire des religions. Il était profondément chrétien. Il avait même passé une licence en théologie.

Mais ce qui l’intéressait par-dessus tout, c’était les affaires et les entreprises. Là où se créait la richesse. Comment et pourquoi ? Il avait donc intégré le groupe Pont à Mousson, fleuron de l’industrie (la vraie) puis St Gobain, sa maison mère.

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Ces entreprises-là seront nationalisées par François Mitterrand, qui expliquera à ses militants qu’il fallait le faire parce qu‘il s’agissait de gagner une bataille idéologique et politique.

Roger Fauroux n’était pas contre, sauf que pour lui, il s’agissait de sauver ces entreprises mal en point. Roger Fauroux restera Président du groupe qu’il redressera. Les socialistes pur sucre ne comprendront pas.

Et pourtant, pour François Mitterrand, c’était une évidence, St Gobain avait un potentiel considérable.  La plus vieille entreprise de France était un pur produit du colbertisme. Elle a été créée par Colbert pour construire le château de Versailles et la Galerie des Glaces. Trois siècles et demi plus tard, St Gobain, 350 ans, est devenu aujourd’hui un peu le Google de la transition énergétique, favorisant des bâtiments verts, isolants et de plus en plus connectés.

François Mitterrand nommera d’ailleurs Roger Fauroux directeur de l’ENA pour ouvrir cette école à l’entreprise, puis en 1986, François Mitterrand le fait rentrer dans le gouvernement Rocard comme ministre de l‘industrie. C’est là qu’il pressent l’importance du marché européen qu’il faut initier, qu’il faut créer une monnaie commune, qu’il faut se préparer à la concurrence internationale qui va déferler sur le monde occidental avec l'ouverture prochaine de la Chine. C’est aussi à cette époque qu’il préparera la privatisation des entreprises qui avaient été nationalisées et renforcées par l’Etat. Édouard Balladur fera le travail lors d’une cohabitation qui fut un peu rock’n roll.

Sa ligne de force, c’était la recherche de la performance dans un monde de plus en plus ouvert. Si pour lui, l’Etat devait surtout se consacrer à ses taches régaliennes, il lui fallait en même temps créer un écosystème qui favorise la performance des entreprises. D’où les travaux qui furent les siens, d’une éducation pour la sélection des meilleurs et l’expertise, mais qui défende aussi les formes d’intégration des populations immigrées qui commençaient à être nombreuses. Quand Rocard affirmait que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde, Roger Fauroux plaidait pour une immigration choisie en fonction de nos besoins et par conséquent, plus assimilable.

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Avec un tel parcours, un tel pragmatisme, il ne faut donc pas s‘attendre à une pluie d’hommages de la part des hommes de gauche aujourd’hui. La gauche de la France insoumise n’aime pas l’entreprise qu’elle considère comme un outil d’exploitation, et pas de création de richesse, elle n’aime pas l’Europe et l’euro.

En revanche, beaucoup de responsables politiques qui réclament une politique industrielle, une stratégie d’Etat, une Europe plus forte et plus cohérente, des outils concurrentiels plus performants, peuvent se souvenir de ce ministre discret qui aimait le business et qui croyait en Dieu.

Pour en savoir plus sur Roger Fauroux, l’économie et l’entreprise, la Saga St Gobain raconte 350 ans d’histoire de l’entreprise la plus vieille de France, de Colbert à aujourd’hui. Roger Fauroux tient une place importante dans cette histoire. Parce qu’il servira de bras de liaison entre l’Etat et l’entreprise. Ce que la gauche traditionnelle n’a jamais voulu admettre et accepter. 

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