Atlantico Business
Quand les patrons du Cac 40 gagnent en moyenne 7,9 millions d’euros par an (+ 52%), ça risque de grogner, forcément, alors que…
Bonne nouvelle pour les patrons français : leurs salaires sont énormes. Mauvaise nouvelle, ils ne savent pas expliquer pourquoi. Alors si les chefs d’entreprises n’assument pas, le débat social ne va pas être très simple.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
Cette situation des patrons français est incroyable. Comment se fait-il que les chefs de grandes entreprises françaises qui sont parmi les gens les plus intelligents du pays, soient incapables d’expliquer de façon convaincante pourquoi ils gagnent autant d’argent? Ça ne devrait pourtant pas être très compliqué, parce qu’a priori et sauf exception, ils ne l’ont pas volé, cet argent. Il faut croire qu’ils considèrent l’opinion publique absolument incapable de comprendre la réalité pour la leur expliquer et ensuite se retrouver coincés quand on les interroge.
La bonne nouvelle d’aujourd’hui, c’est que Patrick Pouyanné va pouvoir sortir en ville sans risquer de se faire insulter parce qu’il n’est pas vraiment le plus riche, si on le compare à ses collègues du CAC 40. Avec 6 millions d’euros par an en moyenne, il va même faire pauvre.
L’information est tombée, comme chaque année à cette époque, des ordinateurs de Proxinvest. Proxinvest est un cabinet de conseil aux actionnaires. Plus vulgairement, c’est l’empêcheur de tourner en rond dans les conseils d’administration, le poil à gratter des présidents d’entreprise. Proxinvest analyse les faits et les chiffres, les décrypte pour les livrer ensuite aux actionnaires et même aux salariés.
Bref, les présidents d’entreprise n’aiment pas trop les expertises de Proxinvest parce que pour eux, elles sont sources d’ennuis.
Selon Proxinvest, le salaire des grands patrons français a donc atteint des sommets vertigineux en 2021. La moyenne des salaires des 40 plus grands patrons du CaC40 a atteint un sommet à 7,9 millions d'euros l'an dernier, soit plus de 100 fois celle de leurs salariés, à l’étage des 120 patrons des entreprises du SBF 120, la moyenne tombe à 4,5 millions d’ euros. Une misère !
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Plus précisément, l’augmentation moyenne des rémunérations du Cac 40 a été de 52 % sur l’année et de 22% pour le SBF 120. Soit « un record historique depuis quinze ans … » dit le rapport.
Pour arriver à de telles performances , Proxinvest valorise « l’ensemble des rémunérations des dirigeants » : salaire fixe, bonus, jetons, avantages en nature, stock-options et actions gratuites de performance valorisées à leur date d’attribution, intéressement en numéraire et autres formes indirectes de rémunérations etc..
Proxinvest relève « des records historiques pour chaque composante » de la rémunération : la partie fixe (4,2 % d’augmentation seulement en moyenne dans le cac40) mais la valeur moyenne des attributions d’options et d’actions est beaucoup plus élevée (+ 39,6 %). Ajoutons à cela que le bonus annuel moyen gagne respectivement 19,9 % (au niveau du SB 120) et 33,6 % (au CAC 40 ). Proxinvest indique que dans 80 % des cas, le bonus « ne dépasse pas la limite de la politique de vote de Proxinvest », soit 150 % du fixe.
Maintenant, ces chiffres qui indiquent que le salaire des patrons de grandes entreprises représente 100 fois la rémunération moyenne de leurs salariés tombe au plus mauvais moment. En pleine crise inflationniste et en pleine négociation de salaires pour l’année prochaine. Le débat n’est pas facile à trancher. Comment proposer aux salariés une politique de rigueur quand eux même s’en exonèrent ?
Le débat est d’autant plus compliqué à gérer que les patrons eux-mêmes ne débordent pas d’imagination pour justifier leurs rémunérations. Le vrai problème est là.
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L’argument principal avancé est de dire que les rémunérations versées aux directions générales ont bondi parce que les résultats des entreprises ont eux mêmes bondi à la sortie du Covid. Ça n’est pas faux. Ce à quoi beaucoup de salariés font remarquer qu’ils n’ont pas eux-mêmes touché leur part du gâteau. C’est du pain béni pour les syndicats.
Ce débat empoisonne les relations sociales. Patrick Pouyanné, le président de TotalEnergies, en sait quelque chose, lui qui a défrayé la chronique pendant plus d’un mois pour un salaire qui est pourtant très inférieur à la moyenne des patrons du Cac 40.
A la limite, ceux qui arrivent en tête du classement ont donc intérêt à affuter leurs arguments.
Numéro 1 du classement, Carlos Tavares. Le président de Stellantis, arrive en tête des patrons les mieux rémunérés avec 66,7 millions pour l’année 2021, c’est le chiffre repris par Proxinvest, qui rappelle les explications données par l’entourage, à savoir que ce chiffre exceptionnel comprenait des éléments hypothétiques de long terme jusqu’en 2021, la rémunération elle-même étant de 19 ,15 millions dont 9 millions de bonus. Bref, l’explication manquait singulièrement de clarté. Les actionnaires avaient d’ailleurs rué dans les brancards lors de la dernière assemblée générale.
-Numéro 2 derrière Tavares, on découvre Bernard Charlès , le Dirigeant de Dassault systèmes qui a touché 44,1 millions d’euros, en hausse de 114% selon Proxinvest.
-Numéro 3, Daniel Julien le PDG de Téléperformance. Avec 19,6 Millions dont 2, 2 millions de fixe.
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Au total, ce ne sont pas les rémunérations elles-mêmes qui font débat, c’est le manque d’explications ou de pédagogie de ces chiffres. Pourquoi et comment? Après tout, aux États-Unis ou en Allemagne, ces question-là sont discutées dans la sérénité.
Après tout, des stars du football ou des vedettes du rock ou de l’opéra qui ont des revenus, à peu près du même ordre et parfois supérieurs, ne font pas débat.
Alors pourquoi la question des rémunérations des dirigeants d’entreprises sent-elle le souffre ? Que font les services de communication pour essayer d’apporter une justification crédible à de telles situation ? La rareté, le génie industriel, le marché international, la promesse souvent tenue pour la majorité de développer des innovations et la prospérité pour le plus grand nombre. tous ces arguments existent, chiffres à l’appui.
En fait les chefs d’entreprise assument toutes les responsabilités qui sont les leurs mais beaucoup d’entre eux ont du mal à assumer l’argent qu’il gagnent. Ils ont peur . De quoi ? C’est qu’il y a un problème sociétal.
Curieusement, l’argent d’un dirigeant d’entreprise manager et salarié suscite plus de questions que l’argent d’un président propriétaire, ou héritier de son entreprise. Le revenu soulève plus d’interrogation que le patrimoine. La raison est sans doute très compliquée, elle renvoie à l’histoire, à la culture, à l’éducation, à la religion et il faut tenir compte de tous ces facteurs. Mais il y existe un autre phénomène qu’on ne réalise pas en France, c’est qu’une grande entreprise fut-elle privée est en réalité une entreprise publique. Elle appartient au public, c’est à dire à ses actionnaires (qui sont des millions) à ses clients, à ses salariés. Elle doit donc tout dire. Comme aux Etats-Unis, où il n’y a pas « d’entreprises privées ». En droit, les entreprises privées sont des entreprises publiques parce qu’elles sont au service du public et elles sont ouvertes puisque cotées en bourse. Elles sont donc par définition transparentes.
En France, le problème n’est pas nouveau, les dirigeants eux-mêmes ont toujours été embarrassés pour s’expliquer. Les organisations patronales également. Y compris l’AFEP, l’association des grandes entreprises privées, qui se dit parfois que « des rémunérations peuvent paraitre choquantes ». L’AFEP est allée jusqu’à publier une liste de recommandations de mode de vie des dirigeants en leur conseillant par exemple, de ne pas trop utiliser leur jet privé et d’avoir un comportement exemplaire. De la sobriété et peu d’ostentations. Le vrai problème n'est pas là. L’entreprise a plus d’obligations de résultats que d’obligations de moyens.
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