Pourquoi les Américains se trompent quand ils agitent le spectre des années 1930 concernant la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Un article d’opinion du New York Times établit un parallèle entre la conjoncture politico-économique française sous la Troisième République et celle d'aujourd’hui.
Un article d’opinion du New York Times établit un parallèle entre la conjoncture politico-économique française sous la Troisième République et celle d'aujourd’hui.
©Reuters

Fausse route

L'ancien correspondant du New York Times en France, Alan Riding, a récemment établi dans un article d'opinion un parallèle entre la France en crise des années 1930 et celle d'aujourd'hui. "Les parallèles historiques sont toujours risqués", écrit-il en préambule. Certainement l'un des seuls points sur lesquels il ait entièrement raison.

Frédéric  Monier

Frédéric Monier

Frédéric Monier est historien et professeur à l'université d'Avignon.

Spécialiste de l'histoire politique contemporaine française et européenne et de l'histoire du secret, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le complot dans la République. Stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule (La Découverte, 1998) ou Corruption et politique : rien de nouveau ? (A. Colin, 2011).

Il participe par ailleurs à un site web consacré à l'histoire de la corruption politique en France et en Allemagne à l'époque contemporaine.

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Atlantico : Un article d’opinion du New York Timesétablit un parallèle entre la conjoncture politico-économique française sous la Troisième République et celle d'aujourd’hui. Au regard des événements passés, la comparaison est-elle pertinente sur le plan politique ?

Frédéric Monier : Sur le plan politique, un certain nombre de parallèles sont possibles si l’on s’en tient à des événements relativement récents. Les choses sont très différentes dès que l’on se penche sur les logiques profondes d’aujourd’hui, qui ne sont pas les mêmes que dans les années 1930. Du point de vue des événements récents, on assiste à une montée en force d’un monde catholique de droite qui défile dans la rue, à l’impopularité très forte du président de la République et du gouvernement, et à un malaise politique profond. Même si on constate des phénomènes de recours à la violence politique, le meurtre récent de Clément Méric par des militants activistes d’extrême droite n’est pas assimilable aux violences des ligues de la France des années 1930. L’exemple le plus net est celui de la participation électorale qui, sauf exception, est de nos jours en baisse. Dans la France des années 1930, elle ne cesse d’augmenter, car la politisation est extrêmement forte.

Quant au système politique, celui-ci est très différent de nos jours. Dans les années 1930 nous avions une République parlementaire en voie de modernisation, mais touchée par une crise qui concernait l’ensemble du continent européen. Songez qu’au début de cette période, même en Grande-Bretagne s’est créé une "British Union of Fascists", dirigée par Oswald Mosley. La crise n’était pas spécifiquement française, et la démocratie résistait mieux dans l’Hexagone que chez beaucoup de nos voisins.

Depuis la réforme du quinquennat nous avons aujourd’hui un système à l’exécutif renforcé, beaucoup plus stable, avec les risques que cela peut comporter, et aussi des problèmes qui touchent l’Europe dans son ensemble. Le gouvernement belge a mis un an à se former, le mouvement des Indignés est très fort en Espagne, au Portugal ou en Slovénie. Les forces de mécontentement dépassent donc très largement le cadre français.

A 80 ans d’écart, la comparaison sur le plan économique est-elle également tenable, ou bien les réalités et les enjeux sont-ils trop différents ?

Là encore, il ne faut pas confondre un certain nombre d’événements ou de signaux ponctuels et les logiques qui les sous-tendent. A l’heure actuelle, on constate une récession. Si l’on recherche une période où il y a eu absence de croissance pendant plusieurs années de suite, on se tourne naturellement vers les années 1930, qui constituent le grand précédent en la matière. Cependant la situation actuelle de l’économie française n’est pas la même que dans les années 1930, puisqu’elle ne lui ressemble en rien. A l’époque, les groupes sociaux les plus importants étaient les mondes paysan et ouvrier. Les premiers sont aujourd’hui de moins en moins nombreux, et les deuxièmes se plaignent – à juste titre – de la désindustrialisation. Ce qui prouve bien qu’aujourd’hui l’économie française ne fonctionne pas selon les mêmes logiques qu’en 1930.

L’article fait état d’une montée des extrémismes aux deux époques, en se référant aux ligues d’extrême droite qui trouveraient leur continuité dans les bandes de skinheads qui ont récemment fait parler d’elles avec la mort de Clément Méric. Encore une fois, est-ce pertinent ?

Quelques événements attestent d’une montée de la violence, de l’intolérance, des crimes et des délits racistes en France. On constate aussi en Europe la montée d’une extrême droite autoritaire et raciste. Si l’on peut effectivement se permettre une comparaison, c’est sur le retour ces temps-ci d’idéologies et de discours qui dans les années 1930 sont déjà présents et forgés.

L’article du New York Times se réfère-t-il aux années 1930 parce qu’il s’agit là d’une période historique connue des Américains et propice au French bashing ? Pourquoi ?

Pour des Américains, la référence aux années 1930 en Europe est très commode, car dans la vision qu’ils ont de leur histoire, elle fait partie de la toile de fond, à savoir une période particulièrement noire de dépressions et de renouvellements politiques très forts, mais dont ils se sont sortis par eux-mêmes. Par contraste, leur vision de la France dans cette période est très finaliste : le pays va droit vers la défaite et la collaboration avec l’Allemagne nazie. Parce que cela leur parle, il est plus simple pour les Américains de comparer la France avec cette période-là. Alors que des points de comparaison beaucoup plus pertinents existent : les mouvements catholiques dans les années 1920, les problèmes économiques de la fin du XIXe siècle, etc.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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