La productivité des salariés français aurait drastiquement augmenté avec le télétravail imposé par les confinements. Vraiment...?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le télétravail, face à la pandémie de Covid-19, aurait fait grimper la productivité des salariés de 22 %. Selon les calculs de l’institut Sapiens, cette efficacité a notamment contribué à préserver plus de 200 milliards d’euros de PIB en 2020.
Le télétravail, face à la pandémie de Covid-19, aurait fait grimper la productivité des salariés de 22 %. Selon les calculs de l’institut Sapiens, cette efficacité a notamment contribué à préserver plus de 200 milliards d’euros de PIB en 2020.
©LOIC VENANCE / AFP

Atout face à la pandémie

Alors que le gouvernement tente de répondre à l'impact économique de la crise sanitaire, le télétravail aurait permis de faire progresser la productivité des salariés de 22% en 2020, selon une étude de l’Institut Sapiens. Le travail à distance aurait également permis de préserver neuf points de PIB.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Selon un rapport de l’Institut Sapiens, le travail à domicile a fait bondir la productivité des salariés l’année dernière durant les confinements. Selon leur calcul, elle aurait augmenté de 22%, permettant ainsi de sauver plus de 200 milliards d’euros de PIB en 2020. Peut-on réellement établir un lien entre télétravail et sauvetage de PIB ? Sur quoi se basent les auteurs de l’étude?

Rémi Bourgeot : Cette étude est intéressante, ne serait-ce que par son sujet, important, et l’effort de réflexion autour de recommandations pour accompagner l’essor du télétravail. Mais ses résultats et son objet ont été généralement pour le moins extrapolés. L’augmentation de 22% de la productivité liée au télétravail semble être une hypothèse de travail sur la base d’observations de nature diverse et de conjectures. Il serait tout simplement impossible ou en tout cas farfelu de prétendre calculer la contribution du télétravail à la productivité sur quelques mois et dans un seul pays dans un contexte aussi chaotique pour l’emploi et l’activité que celui de la pandémie. Comme on l’a vu autour de 2008, la mesure de la productivité est totalement chamboulée par les crises, avec des variations parfois violentes et de très court terme dans un sens puis dans l’autre, d’une façon qui dépend considérablement des politiques d’emploi adoptées en plus du modèle de spécialisation industrielle des pays. Les tendances sur la productivité au cours d’une année de crise n’ont pas de portée générale. Les auteurs s’interrogent même au passage, et à juste titre, sur la pérennité des gains de productivité associés au télétravail. L’idée de départ de cette étude semble davantage consister à souligner à quel point, dans le contexte de la crise sanitaire, le recours au télétravail, plutôt qu’à la réduction pure d’activité, a permis de limiter les dégâts, déjà catastrophiques, de la pandémie sur le PIB.

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Le gain de productivité avéré pour le télétravail n’est-il valable que pour une catégorie de salarié ? Si oui, laquelle ?  

On peut, pour la part (de plus en plus restreinte) de travailleurs intégrés sur le marché de l’emploi de façon stable, envisager des gains répartis sur des catégories assez larges. On pense naturellement à la limitation de la réunionite et de la panoplie de pratiques managériales infantilisantes qui paralysent souvent nos entreprises. La réduction des déplacements entre le domicile et le travail joue par ailleurs un rôle important dans les grandes agglomérations, permettant une meilleure concentration sur le temps de travail en tant que tel. Naturellement, les conditions de vie jouent un rôle important, qu’il s’agisse du logement ou des charges familiales, sur la possibilité d’une organisation efficace du télétravail. Les télétravailleurs sont donc très inégaux, à divers égards.

Par ailleurs il ne faudrait pas que la vision du télétravail repose sur une vision bureaucratique figée qui ferait l’impasse sur la crise existentielle que traverse notre organisation économique. La principale impasse à laquelle est confrontée l’économie française concerne l’inclusion défaillante des compétences et le recul brutal du contenu scientifique sur lequel repose l’activité économique du pays. Le télétravail peut quelque peu aider à remettre en cause cette inertie, mais cela ne va pas en tant que tel et comme par magie remettre nos bureaucraties de plus en plus légères en termes de connaissance scientifique sur la voie de l’innovation. Surtout on peut craindre que la jeune génération justement à même d’aider la France à endiguer l’affaissement industriel et technologique en cours ne soit utilisée encore davantage comme une invisible variable d’ajustement dans les matrices administratives.

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Y-a-t-il une différence fondamentale entre télétravail en temps de pandémie et télétravail "classique" ?

Le télétravail de pandémie a été largement improvisée. Pour de nombreuses organisations il s’agissait encore d’une forme de tabou qui touchait à la définition même du travail comme présence à un poste de travail, même (ou d’autant plus) lorsque l’objet réel du travail en question est évanescent. On peut espérer que le télétravail soit pleinement intégré dans l’organisation de la vie en entreprise. Mais il faut à nouveau insister sur la question de la finalité du travail, où qu’il soit exercé. Au-delà de la réflexion bureaucratique sur les emplois du temps en télétravail, l’enjeu aujourd’hui est de redonner du contenu, technologique en particulier, à l’activité économique française menacée d’affaissement de long terme face aux pays qui ont défini des stratégies scientifiques liées à la révolution industrielle en cours. Le télétravail peut aider à desserrer notre étau bureaucratique à condition qu’il entre dans une approche plus générale consistant à faire remonter le niveau. Autrement il s’agira plutôt du digne successeur des conversations sur l’emplacement de la machine à café.

Ces avantages économiques du télétravail sont-ils sans contreparties ? Va-t-il s’avérer moins efficace à l’avenir ?  

On peut effectivement envisager le scénario d’un télétravail qui, à terme, ne remédie guère à nos travers bureaucratiques. L’adaptation d’une innovation technologique à l’organisation du travail est un chemin tortueux qui s’étend chaque fois sur des décennies. Le télétravail doit s’inscrire dans un projet politique et économique de remise à niveau de l’organisation productive française. Ce projet passe évidemment par l’inclusion des compétences scientifiques et une révision des mécanismes de décision sur les développements technologiques. Le télétravail, qui repose avant tout sur l’innovation informatique, doit justement aider la France à se repositionner sur les fronts technologiques les plus urgents.

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