L’autre effet Ukraine / Taïwan : l’économie chinoise souffre et ça commence à se voir vraiment <!-- --> | Atlantico.fr
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Les sorties de capitaux en Chine sont maintenant aussi importantes que lors de la peur de la dévaluation du renminbi en 2015-2016.
Les sorties de capitaux en Chine sont maintenant aussi importantes que lors de la peur de la dévaluation du renminbi en 2015-2016.
©STR / AFP

Sortie des capitaux

Les sorties de capitaux en Chine sont désormais aussi importantes que lors de la peur de la dévaluation du renminbi en 2015 et 2016. Les investisseurs étrangers regardent la Chine sous un nouveau jour après l'invasion de l'Ukraine par la Russie et avec la crise de Taïwan.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : La situation économique chinoise semble se complexifier. Comme le souligne, par exemple, l’économiste Robin Brooks, les sorties de capitaux sont maintenant aussi importantes que lors de la peur de la dévaluation du renminbi en 2015/6. Quelle est la gravité de la situation ?

Jean-Marc Siroën : Depuis le début de l’année, la Chine connaît effectivement une sortie nette de capitaux (différence entre les entrées et les sorties de capitaux financiers) qui devrait frôler les 200 milliards de dollars ce qui assez considérable. Mais on aurait tort de porter son regard sur la seule Chine. Certes, les difficultés actuelles du pays et, notamment, son ralentissement économique, son engluement dans une stratégie zéro covid et la situation très critique de son secteur bancaire, pèsent sur l’attractivité de la Chine. Mais ce ne sont pas les seules causes. La hausse des taux d’intérêt américains rend les placements aux Etats-Unis d’autant plus attractifs qu’ils accompagnent aussi la hausse du dollar. Depuis avril, la monnaie chinoise a ainsi perdu plus de 6 % par rapport à la monnaie américaine. De fait, ces sorties de capitaux chinois vont contribuer à financer les déficits publics américains ce qui, en passant, devrait aussi susciter quelques interrogations aux Etats-Unis sur cette forme de dépendance.

À quoi est due cette situation économique, et notamment les sorties de capitaux ?

Restons prudents sur l’interprétation des sorties nettes de capitaux. Il s’agit d’un solde qui, contrairement à la balance commerciale, n’a rien de « structurel » et qui ne nous dit pas grand-chose sur l’économie réelle. Il peut néanmoins avoir des causes plus conjoncturelles liées au spectaculaire ralentissement de l’économie chinoise qui reflète aussi celle de l’économie mondiale — après le boom de 2021 qui beaucoup profité aux exportations chinoises — et à l’obstination des dirigeants chinois dans leur stratégie « zéro covid » qui, du fait des confinements, pèse sur la production et les échanges.

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Dans quelle mesure la position ambiguë de la Chine vis-à-vis de la guerre en Ukraine et de sa posture sur Taiwan influent-elles sur le regard que peuvent porter les investisseurs étrangers sur la Chine ?

Les sorties nettes de capitaux dont nous avons parlé ne sont pas le fait des entreprises mais des institutions financières publiques ou privées qui placent leurs fonds, souvent à court terme, avec des objectifs financiers. Bien sûr, ils évaluent le risque politique mais ce n’est pas le critère principal tant, du moins, que la possibilité de rapatrier rapidement ses capitaux n’est pas mise en cause. Là où le risque politique est plus important c’est avec les investissements directs qui permettent de contrôler les firmes implantées à l’étranger. Le cas des filiales de firmes occidentales implantées en Russie a révélé que ce risque pouvait se concrétiser très vite… Pour l’instant les entrées d’investissements directs étrangers en Chine restent plus importantes que les sorties mais qu’en sera-t-il dans les prochains mois, les prochaines années ? La réévaluation du risque politique entretenue par le durcissement de la Chine (notamment sur Taiwan) associée à la volonté des entreprises (et des gouvernements) de revenir sur la dispersion des chaînes mondiales de valeur pèsera inévitablement sur l’attractivité de la Chine.

L’économiste Michael Pettis a récemment déclaré "Nous vivons la dernière année du modèle de croissance chinois". Assistons-nous en effet à une situation durablement nouvelle et problématique pour la Chine ?

Il faut certainement plus d’une année pour détricoter un modèle de croissance et d’ailleurs, ce qui a caractérisé la Chine depuis 40 ans ce n’est pas d’avoir appliqué un modèle de croissance mais d’en avoir fait cohabiter deux : d’une part, un modèle « stalinien » historique reposant sur la planification, les entreprises d’état, l’industrie lourde et, d’autre part, un modèle « mondialiste » fondé sur le marché, la propriété privée, la concurrence et les investissements directs étrangers. Logiquement on pourrait s’attendre aujourd’hui à l’extinction du premier et à l’adaptation du second mais la politique de Xi Jinping semble plutôt privilégier le chemin inverse — peut-être parce que le modèle stalinien se révèle davantage compatible avec le système politique qui reste intouchable — alors qu’on avait plutôt cru qu’il allait stimuler le modèle mondialiste en favorisant une montée en gamme (Made in China 2025) avec toujours une vocation exportatrice (via notamment les « nouvelles routes de la soie »). Pourtant, les difficultés actuelles de la Chine viennent davantage du modèle stalinien qui a conduit à des surinvestissements dans les infrastructures et l’immobilier, et qui ont fragilisé le système financier. Par ailleurs, les « nouvelles routes de la soie » apparaissent aujourd’hui comme un gouffre financier dû lui aussi à la folie des grandeurs du pouvoir tenté par la mise en œuvre d’un modèle chinois d’impérialisme. Le gouvernement chinois n’a pas non plus réussi à convaincre les familles d’aller au-delà de l’ « enfant unique » qui, à terme, contraindra la croissance. De fait, les deux modèles qui devaient cohabiter se trouvent aujourd’hui en très grande difficulté. Avec un bon alignement des planètes (comme en 2021 !) la Chine pourrait encore connaître quelques taux de croissance enviables, mais sans remise en cause plus profonde, ils deviendront de plus en plus rares.

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