« Intraitables contre la violence » : radioscopie de la réponse pénale effective en France face aux délinquants et criminels violents<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, et Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, lors d'une conférence de presse.
Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, et Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, lors d'une conférence de presse.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

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Lors du Conseil des ministres, Emmanuel Macron est revenu sur les violences au sein de la société. Pour le chef de l'Etat, "il faut être intraitable sur le fond". Comment expliquer les différences entre les peines encourues et la peine appliquée ?

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : Emmanuel Macron a appelé à être "intraitables contre la violence", mais à l’heure actuelle, quelle est la réponse pénale effective en France face aux délinquants et criminels violents ? Quel hiatus y a-t-il entre la peine encourue, la peine prononcée et la peine in fine appliquée ?   

Gérald Pandelon : Contrairement à une idée communément admise, il est erroné de considérer que la justice pénale en France serait laxiste s'agissant des auteurs majeurs d'infractions. Aujourd'hui, tout pénaliste vous confirmera que bien souvent les peines sont lourdes et qu'il existe de moins en moins d'écart entre les peines encourues et celles prononcées. En effet, les présidents de juridictions pénales sont sévères, voire de plus en plus, car ils entendent ainsi calmer les ardeurs des délinquants récidivistes. Je plaidais récemment devant une cour d'assises d'appel où l'auteur principal des faits reprochés, pourtant défendu par un bon pénaliste, s'est vu confirmer une peine de 14 années d'emprisonnement pour des faits de cambriolage, pourtant sans violence ni butin. C'est objectivement très lourd. En fait, les magistrats durcissent leur réponse pénale car la société elle-même devient de plus en plus violente. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner les derniers chiffres officiels concernant l'évolution de la délinquance. Quels sont-ils ? En France, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée sont en hausse en 2022 par rapport à l’année précédente. Ces hausses poursuivent celles observées avant la crise sanitaire pour les homicides, les coups et blessures volontaires, les violences sexuelles et les escroqueries enregistrés par la police et la gendarmerie. Ainsi, le nombre de victimes de coups et blessures volontaires (sur personnes de 15 ans ou plus) enregistrées augmente fortement en 2022 (+15 %, après +12 % en 2021). La hausse est légèrement plus forte pour les victimes de violences intrafamiliales enregistrées (+17 %) que pour les victimes d’autres coups et blessures volontaires (+14 %). La hausse est également très nette pour le nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées (+11 % en 2022, après +33 % en 2021). Le nombre de victimes d’escroqueries enregistrées augmente nettement (+8 % en 2022). Les indicateurs de la délinquance enregistrée relatifs aux vols sans violence contre des personnes, aux cambriolages, aux vols de véhicules, aux vols dans les véhicules et aux vols d’accessoires sur véhicules, qui avaient fortement reculé pendant la crise sanitaire, s’accroissent nettement en 2022. Tous ces indicateurs restent en-dessous de leur niveau d’avant-crise à l’exception des vols d’accessoires sur véhicules. Ainsi, après une stabilité en 2021 et une très forte baisse en 2020 (respectivement -20 % et -13 %) dans le contexte de crise sanitaire liée au Covid-19, les cambriolages de logements (+11 %) et les vols de véhicules (+9 %) augmentent nettement en 2022. Les vols sans violence contre des personnes, les vols dans les véhicules et les vols d’accessoires sur véhicules, qui s’étaient déjà accrus en 2021, augmentent fortement en 2022 (respectivement +14 %, +9 % et +30 %).

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Les évolutions des indicateurs relatifs aux vols avec armes, aux vols violents et aux destructions et dégradations volontaires enregistrés sont plus modérées. Les vols avec armes augmentent légèrement en 2022 (+2 %) après une légère baisse en 2021 (-2 %). Les destructions et dégradations volontaires s’accroissent très légèrement en 2022 (+1 %), comme en 2021. Le nombre de vols violents sans arme enregistrés est en baisse en 2022 (-4 %) poursuivant sa diminution régulière entamée en 2013. Enfin, en matière de lutte contre les stupéfiants, après avoir fortement augmenté en 2021 dans un contexte de mise en place des amendes forfaitaires délictuelles, le nombre de mis en cause pour usage de stupéfiants augmente de nouveau très nettement en 2022 (+13 %, après +38 % en 2021). Le nombre de mis en cause enregistrés pour trafic de stupéfiants en 2022 est également en hausse (+4 %, après +13 % en 2021). Les fortes hausses observées au niveau national pour les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus, dans ou hors du cadre familial, pour les violences sexuelles et pour les vols d’accessoires sur véhicules enregistrés se retrouvent dans la quasi-totalité des régions ou des départements. Néanmoins, quelques départements contribuent fortement aux évolutions nationales de certains indicateurs, notamment Paris et la Seine-Saint-Denis pour la baisse des vols violents sans armes, les Bouches-du-Rhône pour la hausse des vols dans les véhicules et le Nord pour la hausse des vols d’accessoires sur les véhicules. Dès lors, une honnêteté minimale devrait conduire notre personnel politique à admettre que s'agissant du régalien, ce qui confère de la verticalité au pouvoir, leur action est objectivement catastrophique. 

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Pierre-Marie Sève : Il y a un entonnoir sans fond entre la commission des crimes et leur sanction. 

Prenant les chiffres de 2019, 4,5 millions d'infractions ont été portées à la connaissance de la police. 

Sur celles-ci, seuls 1,3 millions ont été élucidées et suffisamment caractérisées. Sur ce 1,3 million, 173 000 ont été classées sans suite, 463 000 ont fait l'objet d'une alternative aux poursuites (notamment les rappels à la loi), et donc seuls 600 000 ont été effectivement poursuivies devant un juge. Parmi celles-ci, 550 000 peines ont été prononcées. dont seulement 280 000 peines de prison. Puis, sur ces 280 000 peines de prison, il n'y a eu que 131 000 peines de prison ferme. Et enfin, grâce à la dernière enquête de l'Institut pour la Justice, nous savons que 41% des personnes condamnées à de la prison ferme n'y mettent pas les pieds, ce qui veut dire que l'on doit avoir environ 70 000 peines de prison effectives, sur une masse initiale de 4,5 millions d'infractions. 

Et encore, cela ne concerne même pas les infractions non-déclarées (beaucoup de vols ou de viols sont dans ce cas). Bref, la réponse pénale réelle, qui ne peut être autre chose qu'une privation de liberté, est minime du fait de la multiplication des échappatoires depuis 30 ans.

Avant même la question de la condamnation, à quel point y a-t-il une différence entre les plaintes déposées et les réelles  poursuites ? Dans quel cas y-a-t-il aujourd’hui des poursuites en France ?  

Gérald Pandelon : De plus en plus de policiers ou gendarmes rechignent à prendre des plaintes dont ils estiment qu'elles n'ont aucune chance d'aboutir à une condamnation. C'est une appréciation pourtant subjective car le plus fréquemment lorsque des personnes ont le courage de se présenter au sein d'un commissariat pour déposer une plainte c'est assez rarement pour des motifs fantaisistes, outre le fait que cela risque de mettre encore davantage en péril la victime qui ne pourra ainsi pas obtenir réparation. Corrélativement, les poursuites sont systématiquement engagées lorsque les faits rapportés témoignent d'une particulière gravité et sont, de surcroît, bien souvent étayés par des précédents (des mains courantes ou des dépôts de plantes ayant abouti à des classements sans suite). J'ai conservé en mémoire le souvenir d'une de mes clientes, violentée pendant plusieurs années par son ex-concubin, qui m'avait indiqué face à l'inertie du procureur : " Maître, en France, il faut être déjà à demi-morte pour qu'on puisse vous prendre au sérieux".

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Dans quelles conditions la réponse pénale est-elle la plus ferme ? (Pour quels types de crimes et délits ? type de personnalité? Récidive ou non ? etc.) Que risque, aujourd’hui, concrètement, un prévenu ?

Gérald Pandelon : La réponse pénale relève d'un paradoxe. Elle est très ferme lorsque les mis en cause ne sont pas des délinquants chevronnés et disposent d'un statut social enviable (homme d'affaires, professionnels du droit ou du chiffre, acteurs politiques) et, toutes choses egales par ailleurs, assez clémente concernant des personnes en état de récidive, même si, comme indiqué supra, un changement est entrain de s'opérer dans le sens d'une plus forte répression. Il n'est pas rare, en effet, que des délits relevant de la gestion d'affaires (abus de bien social, par exemple) conduisent des juges des libertés et de la détention à décerner immédiatement un mandat de dépôt, alors même que dans le même dossier, plusieurs années plus tard, le procureur proposera une CRPC comme réponse pénale ! Autrement dit, la personne précédemment incarcérée fera l'objet d'un simple mode de poursuite de plaider coupable, procédure habituellement réservée aux contentieux de faible gravité, comme ceux des haleines chargées, comme la conduite par exemple sous l'empire d'un état alcoolique... Autrement dit, si les peines ont pu être considérées comme plutôt laxistes, aujourd'hui je puis affirmer qu'elles ne le sont plus. En effet, la recrudescence de violence est un fait brut qu'aucun esprit honnête ne saurait nier. L’insécurité n’est pas imaginaire ou utopique mais bien actuelle ; elle a trait à une peur bien réelle et identifiée, fondée sur des éléments matériels objectifs (la montée continue de la délinquance) ; c’est dire une menace physique au quotidien auto-entretenue par l’impunité  dont semblent bénéficier parfois les délinquants pourtant multirécidivistes. Or, c’est dans ce contexte qu’à rebours des évolutions de cette criminalité, les réformes pénales successives depuis 20 ans témoignent d'une particulière méconnaissance du phénomène criminel, une ignorance qui confine à l’indécence par rapport aux drames vécus par les victimes. Pourtant, c’est sur le fondement de cette insécurité que repose la légitimité de l’État de droit, lequel a pour but et essence d’assurer une réelle sécurité intérieure des citoyens tout comme la concorde politique. Le sujet politique devra ainsi être protégé de la mort, des agressions et des traumatismes ; motifs pour lesquels la restauration du lien social devra reposer sur un impératif kantien, celui d’un sentiment de sécurité retrouvé. Or, comment accorder une crédibilité d’ordre rationnelle à une sphère politique qui fonctionne comme une instance sourde et muette aux cris de désespoir d’une population à bout de souffle ? Lorsqu’en dépit des discours et de louables intentions, aucune modification substantielle ne peut être observée ? En effet,  la perception que peuvent avoir les habitants de ces cités ne correspond curieusement jamais avec les chiffres édulcorés qui sont présentés par des autorités censées être légitimes. D’ailleurs, leur simple légalité (ils ont été élus), leur confère-t-elle une réelle légitimité si, de façon inconditionnelle, ils tiennent leur électorat dans l’ignorance et donc la méconnaissance ? Mais pourquoi, fondamentalement, et au nom de quel principe supérieur ou métaphysique devrait-on, au nom d’une élection, toujours prendre l’électorat pour ce qu’il n’est pas, c’est dire un sujet infrapolitique non éclairé ? Car il est de plus en plus évident qu’entre la communication institutionnelle et officielle de nos gouvernants et la réalité vécue au quotidien par des personnes victimes de situations infractionnelles à répétition, il semblerait que nous assistions à une forme de communication inversée ou, pire encore, à un mensonge d’Etat généralisé et réitéré ; à croire qu’il n’y a pas que les délinquants qui sont en état de récidive légale mais également les thuriféraires de cette tromperie généralisée.  Il s’agit donc pour les promoteurs de cette idéologie mortifère du sentiment d’insécurité de constamment et inconditionnellement relativiser les situations ; de les travestir ; voire de les nier, au nom d’un aveuglement dont les soubassements sont idéologiques car dictés par le seul souci d’une réélection ; selon les tenants de cette idéologie, l’insécurité culturelle, et non réelle, viendrait surexciter l’hétérophobie voire l’altérophobie, néologisme pour désigner la peur de l’autre, comprenons l’allogène et non l’autochtone. D’un côté, par conséquent, une vérité officielle euphémisée, celle qui consiste, après le énième règlement de comptes mortel, encore aujourd'hui à Paris, à considérer que la tendance serait plutôt à la baisse par rapport aux années précédentes.  

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De l’autre côté, ceux qui souffrent et qui constatent qu’au-delà des chiffres officiels, la réalité vécue tranche avec l’idéologie officielle anesthésiante. Quand osera-t-on ouvertement avoir le courage d’affirmer que l’intégration de populations d’origine extracommunautaire est majoritairement un échec sans avoir à craindre les foudres de la justice pénale sur le terrain de la discrimination ? Que le réalisme, en d’autres termes, n’a rien à voir avec le racisme. Que ce n’est pas la révélation de faits évidents qui conduit au racisme mais le silence et le tabou sur des situations que, par démagogie, on ne veut plus sérieusement évoquer. Serait-ce cela en définitive le grand mensonge d’État ? Au fond, et contrairement à ce que pensaient les marxistes, ce n’est plus aujourd’hui la bourgeoisie qui a de beaux jours devant elle, mais la dissimulation et la tromperie.

Pierre-Marie Sève : Le système judiciaire français a intégré, depuis les années 1960 un principe de foi appelé l'individualisation des peines. Ce principe ne coule pas de source, au contraire, puisque c'est même un grand reproche fait à la justice d'ancien régime par les révolutionnaires que d'être trop imprévisible, et de favoriser les puissants. Montesquieu demandait même aux juges d'être "la bouche de la loi" pour éviter cette imprévisibilité et illisibilité du droit pénal.

Malheureusement, cette imprévisibilité est revenue en force avec l'extrême gauche judiciaire, qui a obtenu une grande victoire avec le code pénal de 1994. Depuis ce code pénal, les seuil minimums de peines ont été purement et simplement supprimés, une situation unique dans nos droits romano-germaniques. Il est donc extrêmement difficile de faire des généralités concernant le prononcé des peines. Le critère fondamental désormais est la personnalité du coupable.Quel est son casier judiciaire ? Bénéficie-t-il d'un de ces nouveaux privilèges de classe (l'inverse des privilèges d'Ancien Régime) ? Naturellement, plus le crime est grave, plus le casier est lourd, plus la peine prononcée sera lourde, mais il y a régulièrement des exceptions.

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À l'inverse, dans quelles situations est-ce que les peines sont-elles les plus faibles/laxistes ?

Pierre-Marie Sève : La France semble s'être légèrement améliorée dans le traitement judiciaire des cas les plus graves. Les affaires type Tony Meilhon ou Pierrot le Fou ont, à elles seules, fait trop de mal à l'image de la Justice et des gouvernements en place. On peut donc imaginer qu'il y a des instructions pour une sévérité accrue par rapport au début des années 2000.

En revanche, nous avons clairement un problème pour gérer la délinquance de masse. Celle-ci a littéralement explosé : ne serait-ce que le nombre de coups et blessures volontaires et autres agressions qui a été multiplié par 7 depuis les années 1990.

Que risque, aujourd’hui, concrètement, un prévenu, selon le type de crimes et délits commis ? 

Pierre-Marie Sève : Il risque peu selon les crimes ou délits. Un cambrioleur par exemple n'est attrapé par la police qu'une fois sur 10 en moyenne. Puis encore faut-il que le procureur refuse de lui appliquer une mesure alternative, puis encore faut-il que le juge prononcé une peine de prison, que cette peine soit ferme et enfin que cette peine soit exécutée !

Théoriquement, les peines maximales peuvent être relativement élevées, mais elles ne sont pratiquement jamais prononcées. Ce risque, jamais suivi d'effet, contribue à décrédibiliser la Justice dans son ensemble. Les délinquants et criminels savent que leur crime ou leur délit a toutes les chances de leur rapporter plus qu'il ne leur coûte.

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