Et s’il fallait s’inspirer des méthodes médiévales de sommeil pour faire face à la grande insomnie post-Covid<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme se repose, plongée en plein sommeil.
Une femme se repose, plongée en plein sommeil.
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Secrets pour mieux dormir

Les troubles du sommeil sont très répandus dans nos sociétés modernes. Selon l'historien Roger Ekirch, le sommeil biphasique et polyphasique (le recours aux siestes) à l'époque médiévale avaient de nombreux bienfaits.

Bruno Comby

Bruno Comby

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Comby.

Il est l'auteur de l'Eloge de la sieste (TNR, 2005)

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Atlantico : ​Dans le monde occidental post révolution industrielle, les troubles du sommeil sont devenus un véritable calvaire pour de nombreuses personnes. La modernité a-t-elle modifié considérablement nos habitudes de sommeil ?

Bruno Comby : Effectivement, la révolution industrielle, avec la nécessité pour les ouvriers de se rendre pour leur journée de travail à l’usine, et plus récemment pour les salariés devant se rendre au bureau, les a éloignés de leur maison et donc de leur lit.

Cette situation est en train d’évoluer maintenant (en sens inverse) avec le développement du télétravail qui va de nouveau changer la donne, dans l’autre sens.

Dans les usines, à partir du XIX ème siècle, et encore aujourd’hui dans les entreprises, tout est organisé pour travailler, pour faire tourner l’usine et pour produire, que la production soit des produits fabriqués lors de la révolution industrielle ou aujourd’hui souvent une production intellectuelle. La notion de sommeil a été en quelque sorte exclue de la sphère professionnelle, honteusement reléguée à la nuit uniquement et à la sphère privée. Grave erreur !

De ce fait, il en a résulté de profonds changements dans les habitudes de sommeil et une dégradation à la fois de la qualité et de la quantité du sommeil pour la plus grande partie de la population. Nous dormons une heure de moins par jour qu’il y a un siècle et ce sommeil est de beaucoup moins bonne qualité.

Seuls les enfants trop jeunes pour être scolarisés (avant la maternelle) et les retraités peuvent encore choisir leurs horaires de repos et dormir « à la demande », se reposer quand ils le veulent et lorsqu’ils en ont besoin, en cours de journée.

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A la place du matelas ou du canapé pour dormir, sont apparues la pause-cigarettes et la machine à café qui ont envahi les entreprises et le monde du travail.

La composition accrue d’excitants, notamment de nicotine et de caféine, a ainsi été grandement favorisée par les entreprises et par l’organisation de notre monde moderne, ce qui n’a fait évidemment qu’aggraver les troubles du sommeil en détraquant toujours plus notre système nerveux.

Il en résulte une véritable épidémie de dépressions nerveuses, fatigues chroniques, burn-out. Cela coûte très cher à la sécurité sociale et aux caisses d’assurance maladie et ce n’est même pas bon pour la productivité des entreprises.

Lorsqu’on travaillait chez soi, ou autrefois au Moyen-Âge, dans les champs à proximité de son domicile, on pouvait au moins s’allonger dans les champs pour se reposer, ou revenir dormir chez soi en cours de journée.

La sieste faisait naturellement partie de la vie quotidienne. Tout cela a basculé avec la révolution industrielle, puis cela s’est aggravé encore récemment avec la société productiviste, l’égalité hommes-femmes (puisque les femmes travaillent aussi, elles découvrent en même temps les conséquences nocives du stress, la difficulté à se reposer en cours de journée, l’augmentation de la consommation d’excitants nocifs pour la santé et le manque de sommeil) sans parler de l’usage souvent immodéré, à la maison comme au travail, des écrans.

Alors que les femmes étaient autrefois relativement épargnées par les troubles du sommeil, elles sont maintenant de plus en plus concernées, au même titre que les hommes, par la privation de repos, la consommation d’excitants, ainsi que les troubles du sommeil et du système nervex (fatigue chronique, dépression, insomnies…) qui en résultent.

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Les cycles de sommeil étaient-ils différents à d’autres époques comme au Moyen-Age ? 

Les cycles du sommeil sont régulés par des hormones, secrétées par notre métabolisme, lequel est codé génétiquement. Or la génétique humaine a fort peu changé au fil des millénaires.

Malgré 7 millions d’années d’évolution séparée des deux espèces, il n’y a que 0,7% de différence génétique entre l’homme et le chimpanzé. La vitesse d’évolution de chaque espèce est ainsi seulement de 0,5 pour mille, par million d’année.

Autrement dit, la physiologie humaine, y compris nos hormones du sommeil, n’ont que fort peu évolué depuis l’époque où nos ancêtres les grands singes vivaient dans la nature. A fortiori nos cycles de sommeil sont toujours aujourd’hui quasi-identiques à ce qu’ils étaient au Moyen-Âge.

Alors que notre sommeil est fortement perturbé par les conditions de vie et de travail actuelles, il est instructif de se retourner vers le passé pour redécouvrir ce qu’est un sommeil naturel plus équilibré et plus réparateur, correspondant mieux à nos besoins fondamentaux.

L’observation du sommeil de nos ancêtres au Moyen-Âge, avant les contraintes industrielles, ou encore plus loin de nous, l’observation du sommeil des autres mammifères, nous apporte ainsi de précieux enseignements.

On redécouvre alors le sommeil biphasique (avec un petit épisode de repos en cours de journée et un épisode de réveil au milieu de la nuit) voire même multiphasique (avec plusieurs alternances de repos et de sommeil en cours de journée ou la nuit).

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La simple observation de nos animaux domestiques, chiens, chats, et des autres mammifères,  nous enseigne qu’ils se reposent tous une ou plusieurs fois par jour, en plus du sommeil nocturne.

L'historien Roger Ekirch évoque dans The Atlantic l'existence de sommeil biphasique ou polyphasique à l'époque médiévale. Ce type de repos pourrait-il être intéressant dans nos sociétés, plutôt que de faire une seule nuit ? Quels sont les avantages et les inconvénients ?

Oui, tout à fait. Le sommeil biphasique, autrement dit la pratique d’une sieste en cours de journée, ou le sommeil polyphasique (plusieurs petites siestes de courte durée) joue un rôle très utile de régulateur du sommeil. Et se réveiller pour vaquer à quelques activités tranquilles (évitez les écrans !) en milieu de nuit avant de se recoucher n’est pas très grave, c’est même tout à fait normal et naturel. Il s’agit avant tout de dormir mieux en répartissant le sommeil en plusieurs fois. La nuit, mais aussi en cours de journée. Au XVI ème siècle, la norme était de s’endormir peu après le coucher du soleil (il n’y avait pas encore d’ampoules électriques pour s’éclairer) donc nettement plus tôt qu’aujourd’hui, et de dormir quatre à cinq heures. Ensuite une période d’éveil nocturne pouvait avoir lieu avec quelques activités, faire ses besoins naturels, sa toilette, marcher un peu, prière, etc, durant une à deux heures. Puis finir sa nuit et se lever avec les poules et le soleil... Le sommeil de la nuit se faisait ainsi en deux fois plutôt qu’une seule. Aujourd’hui certaines personnes se réveillent ou ont un sommeil plus superficiel en milieu de nuit et s’en inquiètent. Nous pouvons les rassurer : à condition de bien dormir avant et après cette petite pause, cette situation est tout à fait normale, notamment à partir d’un certain âge, et il est alors possible de vaquer à quelques occupations, relativement calmes (en évitant les écrans lumineux et d’allumer la lumière), pour se recoucher et finir sa nuit un peu plus tard.

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Dans la journée également, il est recommandé de fractionner l’activité en se reposant au moins une fois en cours de journée.

Le monde moderne dans lequel nous vivons a voulu nous imposer une vision binaire du sommeil qui ne correspond absolument pas à notre physiologie, laquelle comporte au contraire un fractionnement du sommeil, avec une succession de plusieurs phases de sommeil la nuit et de plusieurs périodes d’éveil durant la journée, entrecoupées de moments de repos (sieste).

En respectant mieux notre besoin de repos, ceux qui sont fatigués parce qu’ils dorment mal retrouveront davantage de vitalité, tandis qu’à l’inverse on voit souvent que les insomniaques trouveront plus vite un sommeil meilleur et plus réparateur la nuit suivante.

Une nuit complète de sommeil de 8h à l’âge adulte, alternant avec une journée complète de travail et d’activités de 16h n’est clairement pas le système idéal.

Une alternance veille sommeil plusieurs fois par jour produit d’excellents résultats pour rééquilibrer son sommeil.

Face à une histoire du sommeil peu claire sur les pratiques et des sociétés modernes qui polluent nos heures de sommeil, l'important est-il de privilégier une routine de sommeil et s'y tenir plutôt qu'une méthode en particulier ?

L’usage quotidien du réveil-matin est un véritable traumatisme qui « casse » notre sommeil en l’interrompant prématurément. Beaucoup de nos concitoyens ne dorment pas assez, en plus de dormir mal. La consommation de caféine elle aussi « casse » notre sommeil, l’empêchant de jouer son rôle réparateur.

Notre sommeil « naturel » incluant la pratique de la sieste et le fait de se reposer et de se réveiller « sur demande » est l’idéal, mais les contraintes sociales et professionnelles ne le permettent pas toujours. Nos anciennes bonnes habitudes ont évidemment été très malmenée par les impératifs de la vie moderne, le réveil à heures fixes (ou variables) imposé par les horaires d’école ou de travail, la vie moderne trépidante, la lumière artificielle et les écrans lumineux (très nocifs la nuit), l‘augmentation du stress et la consommation accrue d’excitants.

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Peu d’hommes et de femmes modernes sont encore, comme nous l’étions presque tous autrefois, des « champions du sommeil » capables d’être à l’écoute de leur besoin de sommeil et de s’endormir n’importe où en quelques secondes, à volonté. Il s’agit d’une grande force que d’avoir ainsi un sommeil souple et un parfait contrôle de soi pour dormir quand et où on le souhaite, en quelques instants. Tout le monde n’est évidemment pas de nos jours un « champion du sommeil ».

Ceux ayant un sommeil plus fragile, c’est à dire la plus grande partie de la population, ont effectivement intérêt à avoir un « rituel du sommeil » en respectant une routine et des heures de sommeil, qui favorisera l’endormissement lorsque le sommeil est fragilisé. Il faut ensuite viser à améliorer cette « routine » et notamment réintroduire un épisode de repos (sieste) en cours de journée.

Avec la révolution numérique, nos phases de sommeil pourraient-elles changer comme elles l’ont été avec la révolution industrielle ?

La révolution numérique, avec les écrans lumineux tard le soir, voire la nuit, vient « casser » encore davantage notre sommeil. Notre cerveau a besoin de calme pour bien se reposer. Trop de stimulations visuelles et sonores et la lumière persistante, cela stimule nos hormones d’éveil et bloque la venue du sommeil.

Mon conseil : méfiez-vous des écrans tard le soir et la nuit ! Surtout pour les enfants. Fixez une limite : pas d’écran (rangez les tablettes, ordinateurs et smartphones) après 20h, par exemple… Bill Gates et Steve Jobs interdisaient les écrans à leurs enfants avant 14 ans et le soir avant de dormir. Ce n’est pas par hasard.

Notre besoin naturel de sommeil n’a pas changé depuis la nuit des temps. Mais les conditions de la vie moderne ont de plus en plus malmené notre sommeil.

A tel point qu’il nous faut de plus en plus réapprendre à bien dormir.

Nous passons un tiers de notre vie à dormir. La qualité de notre sommeil et une bonne répartition de notre sommeil en plusieurs phases, le jour comme la nuit sont essentiels pour vivre heureux et en bonne santé.

Comme le dit la chanson d’Henri Salvador, pendant la journée « le travail c’est la santé ! », surtout si on y intercale un peu de repos à intervalles réguliers, et on peut tout aussi bien dire pour la nuit « le sommeil, c’est la santé » !

Comme Napoléon, capable de se reposer en un quart d’heure n’importe où, même sur un champ de bataille au son du canon, réapprenons à faire la sieste pour être en meilleure forme, plus créatifs et plus heureux et redevenir tous des « champions du sommeil ».

Pour conclure, une bonne nouvelle : l’insomnie et les troubles du sommeil ne sont pas une fatalité ou une malédiction pour la vie !

Il faut juste mieux s’écouter et faire évoluer quelques habitudes simples, redécouvrir en particulier les mille bienfaits de la sieste et se méfier des excitants et particulièrement du plus consommé et du plus encouragé socialement (à tort) parmi tous : le café. C’est le principal casse-sommeil, et pour beaucoup la caféine est comme la nicotine une addiction, dont il convient alors de se libérer pour retrouver une meilleure santé, une meilleure qualité de vie et un meilleur sommeil !

Vivre heureux et en bonne santé, bien manger et bien dormir, grâce à la sieste notamment, cela s’apprend ! C’est tout le sens du travail d’éducation à la santé préventive de l’institut Bruno Comby (IBC – www.comby.org).

Quelques petits épisodes de repos (sieste flash, d’une durée inférieure à 10 minutes) ou une sieste standard d’une vingtaine de minutes (de 15 à 30 minutes) en milieu de journée est idéale. Au delà de 30 minutes (sieste royale) le réveil sera plus difficile et il convient donc de réserver la pratique de la sieste royale au rattrapage occasionnel d’un gros déficit de sommeil.

L’observation du sommeil de nos ancêtres au Moyen-Âge, avant la modification des rythmes de travail imposés par la révolution industrielle, avant l’habitude de boire du café pour se tenir éveillé chimiquement, avant la découverte de la lumière artificielle, nous aide ainsi à retrouver les clés méconnues, les secrets, les petits détails qui font toute la différence pour un sommeil optimal, sain et réparateur.

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Combyhttp://www.comby.org

Il est l'auteur des livres (aux éditions TNR) l'Eloge de la sieste, Stress-Control et Mangez mieux vivez mieux.

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