Ce que le capitalisme a perdu en âme avec la chute du mur de Berlin et la déchristianisation du monde occidental<!-- --> | Atlantico.fr
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La chute du Mur de Berlin en novembre 1989 a signé l'arrêt de mort du communisme.
La chute du Mur de Berlin en novembre 1989 a signé l'arrêt de mort du communisme.
©Reuters

Le capitalisme plombé par ses vices ?

La fin de la Guerre froide et le mouvement de déchristianisation ont permis au modèle capitaliste de s'exprimer de manière totalement décomplexée, au risque de jouer en sa propre défaveur. Cinquième épisode de notre série "Le capitalisme plombé par ses vices ?".

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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La chute du Mur de Berlin en novembre 1989 a signé l'arrêt de mort du communisme, reposant sur la doctrine marxiste-léniniste-trotskiste. Ce système aberrant, inique et contre-nature (donc criminel) a pris en otage, voire « kidnappé » (selon l’expression de Milan Kundera), la moitié de la planète dans la seconde moitié du XX siècle, en figeant l’Humanité toute entière dans une confrontation, aveuglante et souvent irrationnelle, de deux systèmes antagoniques, de deux perceptions de la condition humaine, diamétralement opposées.

Comme dans un jeu du miroir surréaliste qui se déroulait à l’échelle planétaire, les deux protagonistes aux antipodes – capitalisme vs. communisme, l’Ouest vs. l’Est, US vs. URSS - se posaient en s’opposant l’un à l’autre, se jaugeait, se détestaient, s’invectivaient en se regardant à distance en chiens de faïence, en ignorant tout du mode de fonctionnement réel de son alter ego et, finalement, en puisant sa raison d’être dans cette altérité identitaire poussée à l’absurde. Ce fut la « guerre froide ». Ce fut la bipolarité idéologique qui a brutalement coupé le monde en deux, telle une tasse brisée, et congelé le siècle précédent, dans lequel chaque pays et chaque individu était étiqueté en fonction de son appartenance à l’un ou à l’autre camp retranché. Une sorte de fatalisme historique dual censé être gravé dans l’éternité.

Or avec l’effondrement du communisme sous le poids de ses contradictions internes – un séisme qui a pris de court à peu près tout le monde, y compris ses principaux apôtres, à commencer par Mikhaïl Gorbatchev, et ses principaux détracteurs outre-atlantiques (alors qu’ une anomalie chromosomique était déjà, à mon avis, dans l’ADN de ce système et, par conséquent, son « C.V. » n’a pas été logiquement validé par l’Histoire), le nirvana de la mondialisation heureuse, conceptualisé par l’essai de Francis Fukuyama « La Fin de l’Histoire », s’est révélé une courte parenthèse enchantée. Comme si la défaite du communisme était un cadeau empoisonné. Une bombe à retardement placée sous les fondements du capitalisme qui a désappris de vivre tout seul, sans comparaison permanente avec son opposant.

Du coup, le capitalisme est devenu orphelin du communisme défait. Victime de sa victoire. Ainsi, la saillie de l’académicien soviétique Georgi Arbatov, lancée par lui au début de la perestroïka dans les années 1980, devant un parterre de géopoliticiens américains médusés : « la chute inéluctable du communisme va vous priver d’ennemi, et c’est la pire chose qui puisse arriver à l’Occident », a été, d’une certaine façon, prémonitoire.

Ce capitalisme-là, sorti des tréfonds de la « guerre froide », a perdu sa boussole. Il n’a pas compris le « monde d’après » où que le plus dur restait à faire. A savoir - gagner la paix. Construire son avenir qui n’était, en aucun cas, une simple extrapolation du passé. Devenu amnésique dans l’euphorie généralisée qui a suivi sa victoire à la Pyrrhus face à un adversaire ayant déclaré forfait, le capitalisme en ce début du XXI siècle a oublié ses propres valeurs initiales qui lui avaient assuré son ascension et sa prospérité au fil de l’Histoire, aux premières loges du progrès. Et cela, bien avant la rédaction du « Capital » par Karl Marx, qui a conceptualisé une dangereuse utopie communiste. Bien avant l’arrivée au pouvoir en Russie d’une poignée de fidèles de Vladimir Lénine qui, tout en étant toujours minoritaires (« mencheviks »), ont réussi la supercherie de rentrer dans les manuels sous le nom des « bolcheviks » (« majoritaires »). Bien avant aussi son clash avec son antipode communiste qui ne fut, en réalité, qu’un épiphénomène, tragique, d’un demi-siècle révolu.

Aujourd’hui, le manque de mémoire nous étouffe, et le court-termisme cadenasse notre vision. En effet, qui se souvient de la genèse du capitalisme qui se repose sur un socle des valeurs qui lui sont intrinsèquement propres : noble vision de l’Etre Humain, apothéose de la liberté et de la dignité individuelles (ces dernières étant érigées en norme de l’existence quotidienne), société civile comme contrepoids nécessaire au pouvoir élu ; l’éthique, la transparence et les implacables impératifs moraux qui se trouvaient à l’origine de l’économie de marché, dans l’esprit génial de Baruch Spinoza, Max Weber et Emmanuel Kant ?

Qui intègre, en 2013, dans son « logiciel mental », perturbé par de trop nombreux dysfonctionnements et d’innombrables crises du capitalisme actuel, que le marché et la morale étaient indissociablement liés dans le berceau de ce système, le seul capable, comme le démontre l’Histoire, de créer de la richesse, de sortir les peuples de la pauvreté et d’ouvrir un nouvel horizon aux individus les plus audacieux et les plus talentueux sur le chemin de leur bonheur qui s’avère in fine bénéfique pour les autres, car il tire l’ensemble de la société vers le haut ?

Qui est persuadé, en son âme et conscience, aujourd’hui (après l’affaire Cahuzac et beaucoup d’autres de ce genre, sous la loupe grossissante des médias) que le capitalisme originel, tel qu’il était conçu, imaginé, rêvé au sortir du Moyen Age dans sa version occidentale, était tout sauf une ruse qui permet aux uns de faire de l’argent sur le dos des autres ? Tout sauf la spéculation, l’avidité et la recherche du profit immédiat, honteux et moralement condamnable ?

Et enfin, qui, en cette époque de la déchristianisation galopante, garde une claire vision des valeurs chrétiennes – amour du prochain, miséricorde, bonté, solidarité – ayant pavé la voie de la civilisation occidentale, depuis la construction des cathédrales gothiques au XII siècle, en anticipant ainsi l’émergence du capitalisme moderne et efficace ? Et que, par conséquent, les profondes valeurs occidentales puisent leurs racines, entre autres, dans un terreau religieux et sont bien antérieures aux révolutions laïques en France et en Grande Bretagne, avec leur cortège des droits de l’homme vite appropriés par la gauche au service de sa vision idéologique du monde ?

Qui a conscience, à l’heure où nous sommes, face à l’instantanéité des défis du monde global du XXI siècle, de ces repères conceptuels du capitalisme dans son évolution historique, à travers ses douloureuses mutations ?

Je laisse les lecteurs en juger, en précisant seulement que ce n’est pas, hélas, le cas de l’absolue majorité de mes étudiants, appelés à devenir les Global Decisions Makers grâce à leur formation dans les grandes business schools.

Bien entendu, la chute du modèle communiste à la fin du XX siècle ne sonne pas le glas du capitalisme, pris dans l’ensemble de ses composantes : démocratie, économie de marché, société civile, valeurs morales - aussi bien religieuses que laïques. Aucune alternative crédible par rapport à ce mode de fonctionnement de la société moderne, qui associe démocratie et marché, ne me semble crédible dans un avenir proche, à l’époque de l’économie globale portée par l’innovation et la créativité des individus libres. Oui, la vraie innovation est toujours le corollaire de la liberté individuelle ! Mais pour sortir du malheureux interlude du XX siècle, qui lui a fait perdre la mémoire de ses propres fondamentaux, le capitalisme de demain a besoin de se réinventer, à l’instar de l’Occident pendant la Renaissance du XV – XVI siècles. Il doit oser le courage de s’assumer, de s’adapter au monde nouveau, en renouant avec ses repères initiaux et en remettant l’Homme au centre de ses priorités. En d’autres termes, réactualiser ses propres recettes, gagnantes, ancrées dans son histoire.

Il s’agit d’un immense challenge civilisationnel, qui passe, avant tout, par une réinjection dans l’économie de la politique de valeurs et de convictions, à mille lieues des calculs électoralistes mesquins, exempts de toute vision stratégique, dont nous abreuve, malheureusement, l’actualité. Ce challenge est-il réalisable ? Je crois que l’espoir est permis via une radicale relève générationnelle dans les démocraties occidentales. Une relève qui propulserait au sommet du pouvoir politique une nouvelle pléiade de décideurs pragmatiques, enfants de la révolution numérique, capables d’intégrer le glorieux passé du modèle capitaliste dans leur vision panoramique du monde (notamment, grâce à la qualité du travail éducatif, d’où l’intérêt des débats de ce type lancés par Atlantico), de réajuster ce modèle par rapport aux réalités de la globalisation en cours, la quintessence du XXI siècle, et, surtout, de projeter résolument le capitalisme dans l’avenir.

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