Airbus et ses sous-traitants : chronique d’une catastrophe annoncée mais assez incompréhensible <!-- --> | Atlantico.fr
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Airbus aviation
Airbus aviation
©MANDEL NGAN / AFP

Atlantico Business

Avec un carnet de commandes proche de zéro, la construction aéronautique fonce tout droit dans le mur pour une catastrophe économique et sociale qui sera la plus grave du siècle. Elle est pour beaucoup incompréhensible.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Des entreprises se battant contre la crise, Airbus devrait être le plus gros utilisateur du dispositif de chômage partiel longue durée, l’APLD. 1500 postes sont ainsi préservés, et éviter tout licenciement sec dans le plan social annoncé il y a quelques semaines et qui prévoient de se séparer de près de 5000 personnes en France.

La construction aéronautique va enregistrer la plus grave catastrophe industrielle du siècle. Une perspective qui paraît inéluctable mais aussi pour beaucoup inexplicable.

Que cette industrie se retrouve complètement à l’arrêt paraît logique dans la mesure où le transport aérien mondial s’est quasiment arrêté depuis le mois de janvier. Si les avions sont vides et restent collés au sol, on comprend que les compagnies aient annulé la plupart des commandes d’avions neufs et cela sur l’ensemble de la planète. Du coup, les usines d’Airbus en Europe se sont arrêtées et leurs sous-traitants avec.

Depuis le mois de mars, les commandes et les livraisons ont largement été perturbées et l’ensemble du secteur a produit près de 2 suppressions d’empois sur 3 dans l’ensemble de l’industrie française. Une vague de charrettes sociales qui a laminé des bassins d’emplois entiers comme à Toulouse ou dans la région nantaise. Les carnets de commandes sont totalement dévastés au fur et à mesure que les productions diminuent. La kyrielle de sous-traitants et de fournisseurs, qui produisent pour Airbus des composants, sont désormais au chômage technique.

Airbus a réussi à livrer 57 avions en septembre dernier, ce qui a donné un peu d’oxygène à sa trésorerie, puisque les transporteurs payent le plus gros de leur facture à ce moment-là. Mais les livraisons sont de plus en plus retardées par les compagnies aériennes, quand elles ne sont pas purement et simplement annulées. Au niveau des commandes, Airbus n’a absolument rien signé en septembre. Après un mois d’aout désastreux où l’avionneur européen a royalement engrangé une seule commande d’avion. L’ensemble de la filière industrielle qui, avec ses 28 usines en France et près de 200 000 emplois restait une des plus puissantes de France, se retrouve donc menacée de disparaître purement et simplement. Jean Tirole, professeur d’économie à Toulouse et prix Nobel d’économie, qui fut appelé en éclaireur il y a quelques jours par Airbus pour essayer de dégager des pistes afin de faire rebondir la région toulousaine, a reconnu son impuissance.

La filière aéronautique s’avère complètement désorganisée, avec des acteurs perdus et un marché mondial sans aucune visibilité, compte tenu de la pandémie à laquelle s’ajoutent des réactions protectionnistes des principaux clients et notamment des Américains.

La surtaxe de 15% frappant tous les Airbus vendus à des compagnies américaines depuis octobre 2019, en représailles aux subventions européennes mises en place pour financer le programme Airbus représente aujourd'hui un coup de grâce. Et les taxes touchent autant Airbus que les petites entreprises fournisseurs.

Sans parler de l’aéronautique militaire, où les exportations sont au point mort. Il y a plusieurs appels d’offre en cours où les constructeurs français participent, mais les prises de décision sont retardées du fait de la crise. Seul facteur de soutien, les commandes d’Etat. Le gouvernement français a commandé 10 hélicoptères et 12 avions de chasse Rafale, mais la France ne pourra pas être encore longtemps, le seul client de nos entreprises.

Ce scénario catastrophe que rien ne paraît pouvoir arrêter paraît logique à partir du moment où le transport aérien s’est complètement arrêté depuis presque six mois. Cela dit, vue la précipitation avec laquelle une industrie aussi brillante que l’aéronautique a été balayée, un effondrement inéluctable et définitif reste assez incompréhensible.

Pourquoi ? tout simplement parce que la pandémie a beau être extrêmement grave et imprévisible, elle finira bien par disparaitre même si personne ne sait à quelle date et surtout au bout de combien de temps.

Quoi qu’on dise, les flottes d’avions n’ont pas été détruites, les aéroports n’ont pas été démolis, les usines peuvent très bien repartir. Alors l‘arrêt total peut abimer les mécanismes certes, et peut faire vieillir prématurément le matériel... mais quoi qu‘il arrive, les besoins de transports aériens dans le monde ne vont pas disparaître. Un jour viendra où les 3 ou 4 milliards d’hommes et de femmes qui, sur la planète, rêvent de mobilité, essaieront de réaliser leurs rêves. C’est ce besoin de mobilité qui avait boosté l‘industrie aéronautique mondiale au cours des vingt dernières années...

Le réveil ou la reprise des besoins de mobilite génèreront sans doute des nouvelles formes de transports avec des nouvelles énergies, mais jamais la bicyclette ne remplacera l’avion. Le problème de l’industrie aéronautique est donc d’attendre ce réveil de la confiance et de préparer la mutation qui va sans doute d’accélérer.

Que les dirigeants politiques et industriels retournent dans tous les sens des scénarios catastrophes plutôt que sur le logiciel de redémarrage et de mutation paraît assez incompréhensible. Parce qu’en dépit de tous les discours de désolation, on pourrait être sûr d’au moins deux choses :

Un, le secteur aérien repartira, c’est une évidence. Il repartira d’autant plus vite que les actifs ne sont pas morts.

Deux, le secteur va muter, compte tenu de la nécessité de décarboner les systèmes de propulsion. Cette nécessité-là était présente avant le Covid 19. Le secteur a dix ou vingt ans pour s’adapter et muter. La pandémie n’a en rien rayé cette perspective d’évolution. Et pendant cette mutation, il faudra bien voyager.

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