Voilà pourquoi le modèle de croissance économique chinois va droit dans le mur (et vous feriez bien d’attacher vos ceintures…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Pouvons-nous nous prémunir des effets de la santé déclinante de l’économie chinoise ?
Pouvons-nous nous prémunir des effets de la santé déclinante de l’économie chinoise ?
©STR / AFP

Effet domino

Les difficultés s’accumulent en Chine sur le plan économique. La santé déclinante de l’économie chinoise peut-elle avoir des conséquences en Occident ?

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche est professeur associé d'économie à NEOMA Business School. Il enseigne la macroéconomie, la théorie des cycles et les processus entrepreneuriaux dans des programmes de premier cycle et des cycles supérieurs. Il porte un vif intérêt aux sujets macroéconomiques qu'il commente dans la presse française et internationale. Ses recherches portent sur la théorie du malinvestissement, la zombification économique et les routines entrepreneuriales. Les recherches de Gabriel ont été publiées dans le Quarterly Review of Economics and Finance, Small Business Economics, The World Economy, Journal of Economic Issues, entre autres. Il est membre de l'American Economic Association et de la Royal Economic Society.

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Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Atlantico : Alors que Xi Jinping vient d’être renouvelé à son poste, les nuages semblent s’amonceler sur l’économie chinoise. Dans quelle mesure le modèle de croissance, construit sur l’investissement, va-t-il dans le mur ?

Gabriel Giménez Roche : Le problème du modèle chinois de croissance est son orientation étatique. La Chine avait ouvert son économie en 1970 en se basant sur le modèle de développement par les exportations. Ce modèle, sur lequel l’Allemagne et le Japon ont bâti leur reconstruction et développement pendant l'après-guerre, a également servi au développement de la Corée du Sud. Le modèle compte avec un soutien étatique plus ou moins important du secteur privé qui se développe pour exporter massivement sa production industrielle. Dans lesdits pays, le rôle de l’État est celui d’un soutien plus ou moins présent au secteur privé. Essentiellement, l’État peut fournir des moyens économiques et politiques, mais le secteur privé décide de l’investissement selon des critères économiques. La particularité de la Chine est que l’investissement a été massivement géré par des entreprises publiques ou alors des entreprises privées créées par des anciens du PCC. Des entreprises privées protégées par l’État chinois. Autrement dit, l’investissement en Chine était et reste significativement défini par des critères politiques plutôt que par des critères économiques.

En fait, l’État central impose des cibles macroéconomiques (croissance du PIB, chômage) sans faire attention aux critères microéconomiques d’efficacité de la compétitivité des entreprises. C’est aux gouvernements provinciaux d’atteindre les cibles définies par le pouvoir central. Pour ce faire, les provinces chinoises disposent des banques et entreprises publiques qui investissent massivement pour atteindre les cibles tout en négligeant la soutenabilité économique des projets entamés. Ce n’est pas étonnant que la Chine affiche un taux de zombification de ces entreprises autour de 25 à 30% (voire plus). Des entreprises en faillite technique, surendettées, dont l’actif est considérablement inférieur au passif, mais qui restent opérationnelles, car elles « investissent » et « emploient » grâce au crédit facile du secteur bancaire public et les subventions provinciales.

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Sébastien Laye : La lecture des premières déclarations de Xi lors du XXème Congrès du PC chinois (ces jours-ci) est édifiante. Les dirigeants chinois ne parlent plus de devenir la première puissance économique mondiale (ce qui paraissait inéluctable) mais simplement d'une élévation du niveau de PIB par habitant à l'horizon 2035; la plupart des desseins ambitieux auxquels la Chine nous avait habitué ont disparu, du moins en ce qui concerne l'économie. Alors, que s'est il passé ? En effet (et le PC retarde la publication des derniers chiffres trimestriels économiques parce qu'ils ne sont pas bons), le modèle chinois arrive à bout de souffle: il repose sur trois piliers très simples: la démographie, le crédit, et les exportations. Le changement le plus surprenant vient du premier pilier. Comme le Japon dans les années 80, après trente ans de transition démographique, la Chine devient un pays de gens âgés beaucoup plus tot que prévu: les classes populaires ne souhaitant pas revenir au modèle familial d'antan, ce levier important de croissance n'existe plus. Le second pilier, le crédit, qui a alimenté l'ascension industrielle chinoise mais aussi ses bulles spéculatives, est une arme à double tranchant comme nous le savons en Occident: le modèle de malinvestissement surendetté est similaire à celui qu'a connu les US au début de son expansion: il a mené à des crises financières dans les années 1800 et en 1929; La Chine va vers sa propre crise de 1929, alors qu'elle n'a pas opéré sa mue en société de consommation. Enfin, le levier des exportations vers l'Occident, le role d'atelier du monde, est de moins en moins efficace car en affichant des ambitions géopolitiques démesurées, la Chine a suscité des mesures protectionnistes de l'Occident et notamment des USA. Elle s'est lancée trop tot dans une course au leadership mondial, au risque de perdre le rythme de son ascension économique (condition sine qua non pour devenir une grande puissance géopolitique mondiale). 

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Gabriel Giménez Roche : La Chine avait initialement financé sa croissance par le biais de l’investissement direct étranger venu du Japon, des États-Unis et de l’Europe. Néanmoins, depuis les années 1990, le gouvernement chinois, désireux d’accélérer la croissance, incite le secteur bancaire public à assumer le rôle de principale source de financement de l’investissement en Chine. Malheureusement, l’expansion du crédit bancaire public en Chine n’obéit pas toujours à des critères purement économiques. Des crises se succèdent en Chine quand le secteur bancaire doit prendre de l’air pour nettoyer leurs comptes. Or, afin d'éviter la gronde populaire, le crédit bancaire est relancé immédiatement à chaque crise. Par conséquent, les déséquilibres non résolus s’accumulent et chaque nouvelle crise est plus grande et difficile à gérer. La situation actuelle est la conséquence naturelle de ces cycles.

Il est donc naturel que les entreprises et banques américaines et européennes habituées à la Chine souhaitent diminuer leur exposition aux risques de l’économie chinoise. Cependant, n’oublions pas que le retrait plus ou moins marqué des entreprises américaines en particulier suit tout de même la politique américaine de contention géopolitique de la Chine.

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Un autre facteur à prendre en considération est le protectionnisme chinois qui laisse peu de place à la concurrence étrangère dans le secteur clé des télécommunications. L’État chinois a favorisé ses propres fournisseurs de téléphonie (Huawei), de commerce électronique (Alibaba) et des réseaux sociaux (WeChat et Weibo) en détriment des fournisseurs occidentaux. Or, on a pu voir une certaine défiance des patrons de ces entreprises chinoises vis-à-vis du gouvernement, comme le montre le cas de Jack Ma. La décision du gouvernement chinois de ne plus prioriser Alipay et autres entreprises privées chinoises n’est donc pas anodyne.

Sébastien Laye : En quelques semaines de temps, la société générale a réduit son exposition aux contreparties sur les transactions en Chine d'environ 80 millions de dollars. Google a mis fin à l'application Translate pour la Chine dans le cadre d'une retraite progressive. Le gouvernement de Shanghai a retiré Alipay d'une liste d'entreprises de haute technologie prioritaires, et la liste est longue. Une tempête économique est-elle en train de s’amonceler ?
Il ne faut pas surinterpréter ces retraits en termes de risques macro éoconomiques de court terme. Le sujet est plus politique; Les sociétés occidentales ont compris que la mondialisation heureuse avait pris fin, que la Chine était devenu un adversaire géopolitique voire militaire, un régime autocratique ne respectant pas les règles, menaçant ses voisins. Elles ne peuvent plus conduire une activité commerciale normale en et avec la Chine, et même si elles le voulaient, elles subiraient les foudres de leurs gouvernements occidentaux. Ce n'est pas que notre monde devient plus fragmenté et local, mais un bloc eurasien (iran, russie, chine) en est exclu et fonctionnera en circuit fermé.

Pourquoi la Chine n’arrive-t-elle pas à faire sa transition vers un modèle de croissance s’appuyant sur la consommation privée ?

Gabriel Giménez Roche : Cela a un rapport avec son modèle de développement basé sur les exportations. C’est un modèle qui permet effectivement une croissance assez rapide du secteur productif du pays, mais soumet le pays à une dépendance considérable de la demande externe. Autrement dit, le secteur productif du pays est construit pour satisfaire une demande globale. La demande domestique ne saurait donc pas se substituer à cette demande globale pour soutenir le secteur productif. C’est le cas aussi de l’Allemagne, du Japon et de la Corée du Sud.

La spécificité chinoise est son état de développement. En effet, la Chine ne peut pas encore être considérée comme un pays développé malgré la taille de son économie. Le PIB par tête chinois (US$ 10 000 à US$ 14 000, selon les sources) se trouve inférieur à celui des pays les plus pauvres de l’Union Européenne, ou même à celui de l’Uruguay ou du Chili. Si des pays aussi riches que l’Allemagne ou le Japon sont incapables de fournir une consommation interne aussi grande que leurs secteurs productifs, ce sera trop demander à la Chine de tenter de le faire. Étant donné que le modèle exportateur a fait ses preuves dans différents pays, il est difficile de l’abandonner surtout quand le pays reste largement à développer.

Sébastien Laye :  Parce que ses dirigeants, en tout cas depuis 2012 et l'accès au pouvoir de Xi, ne mènent pas de politique économique. Dans cette économie pharaonique de commande, de type "command and control", toute activité commerciale est subordonnée à des desseins politiques; les esprits animaux des entrepreneurs n'ont pas d'espace pour s'exercer et servir cette classe moyenne de consommateurs qui auraient dû devenir le pilier d'une Chine moderne et en paix.  L'Etat monopolise les capitaux pour ses propres projets ambitieux et afin de financer sa corruption endémique, asséchant le capital privé. Ce modèle se lézarde aujourd'hui mais selon moi, il n'a jamais vraiment marché, les quelques succès chinois sont plus dus à la qualité de ses chercheurs, aux esprits brillants que possèdent ce pays, qui doivent faire avec un régime autocratique et corrompu.

Les conséquences politiques de ce changement sont-elles difficiles à appréhender pour le régime ? Cela va-t-il contraindre le pays à abandonner ses  ambitions de première économie mondiale ?

Gabriel Giménez Roche : Le grand souci pour le gouvernement chinois est de tenir la promesse d’enrichir sa population, promesse faite au moment de l’ouverture, forte graduelle, de l’économie chinoise en 1970. Le succès de développement rapide a peut-être convaincu une large partie de la population chinoise de faire moins attention au politique qu’à l’économique en Chine. Néanmoins, à chaque défaillance économique, la population devient de plus en plus inquiète et réfléchit au politique.

Les ambitions chinoises de première économie mondiale sont loin d’être une réalité. La Chine ne réunit pas les conditions institutionnelles qui favoriseraient ces ambitions. En outre, technologiquement la Chine est encore bien derrière l’Occident. Il ne faut pas confondre quelques avancées majeures dans quelques secteurs comme la 5G avec une maîtrise de l’avant-gardisme technologique.

Pragmatiquement, le principal souci du gouvernement chinois actuellement est de continuer à offrir un enrichissement généralisé à sa population pour éviter la gronde populaire et des demandes d’ouverture politique.

Sébastien Laye :  Il faut plutôt voir les choses inversement: obsédés par leurs ambitions géopolitiques, mais incapables de comprendre le succès du monde occidental (Xi en reste à la rhétorique simpliste du siècle "d'humiliation"), Xi a sacrifié ses chances de devenir la première puissance économique mondiale, avec le leadership géopolitique qui aurait pu en découler. Il a obéré ultimement ses chances de réussite, en entrant en conflit avec l'Occident et notamment les USA prématurément. Le monde occidental est en train de mettre en place une politique de containment (endiguement) du bloc eurasien. Nous dominons les mers, l'espace aérien et l'espace tout court, économiquement, militairement, culturellement, en hard comme en soft power. Quelle est l'influence de la Chine en Europe par exemple, si ce n'est via l'espionnage ? Par ailleurs, sur son continent même, la Chine va etre rapidement (d'ici cinq-dix ans) concurrencée par une puissance plus jeune démographiquement, démocratique, à l'intersection des valeurs asiatiques et occidentales, à savoir l'Inde. Je me demande parfois si Xi ne va pas tenter de jouer son va-tout au cours des trois prochaines années, à l'instar de Poutine, car il sait que potentiellement par la suite, toute voie vers le leadership est bloquée, et sa position interne plus complexe. Il ne lancera peut-être pas sa première confrontation vers Taiwan, évitant le choc frontal avec les USA, mais plutôt dans le Cashmire, pour briser les reins de l'ascension du futur géant indien.

A quel point la déroute de l’économie chinoise nous met-elle, nous Occidentaux, dans une situation de risque économique ?

Gabriel Giménez Roche : Notre problème est notre dépendance encore considérable du secteur productif chinois. Même si on voit un mouvement de relocalisation et une délocalisation de la production vers d’autres pays asiatiques, comme le Vietnam ou la Thaïlande, la Chine reste de loin la principale usine du monde. Le risque est que toute relocalisation ou délocalisation depuis la Chine soit trop lente pour contrecarrer la stagnation de l’industrie chinoise. Nous avons vu le souci qui a posé la rupture des chaînes de valeur depuis la Chine à la suite de l’épidémie de Covid-19. Même aujourd’hui, la logistique du commerce mondial depuis la Chine reste affectée. Si l’économie chinoise s’engouffrait encore plus, alors le problème serait la transition vers d’autres pays. Or, la Chine a dû attendre au moins 30 ans pour atteindre son statut d’usine du monde. Par conséquent, la transition pourrait être longuement douloureuse.

Sébastien Laye : La récession mondiale qui s'installe et devrait etre notre sort en 2023 est d'abord dûe à l'inflation et à nos propres erreurs monétaires. Mais le ralentissement chinois, avec leur politique de zéro covid (un échec total), ne nous aide pas car lors des précédentes récessions occidentales, souvent la Chine a sauvé la mise en rééquilibrant les comptes au niveau mondial. L'actuelle crise ne vient pas de la Chine, mais par ricochets la Chine peut aggraver la récession.

Pouvons-nous nous prémunir de certains des effets de la santé déclinante de l’économie chinoise ?

Gabriel Giménez Roche : Le mouvement est déjà en place. Le pourtour asiatique du Pacifique prend la relève graduellement, car les salaires y sont plus bas qu’en Chine maintenant. L’Inde ambitionne aussi à recevoir des investissements massifs depuis l’étranger, mais elle reste trop protectionniste pour vraiment attirer ces investissements. En Europe, nous devons d’abord procéder à des réformes structurelles dans certains pays, dont la France, pour nous rendre plus attirants et accélérer toute relocalisation.

Le grand avantage pour l’Occident vis-à-vis de tout déclin économique chinois est le fait que la Chine reste plutôt isolée financièrement. Son marché financier est peu développé et peu intégré au reste du monde. Toute crise financière majeure en Chine aurait peu d’impact direct.

L’idéal serait donc de fournir les conditions structurelles pour rendre toute relocalisation plus intéressante en Europe si jamais la croissance chinoise se stagne définitivement.   

Sébastien Laye :  Oui en poursuivant le découplage actuel en cours mais qui est plus avancé aux USA qu'en Europe. L'industrie francaise doit rapatrier sur notre territoire nos productions stratégiques et cesser de les déléguer aux chinois. Nos entreprises de technologie doivent éviter les collaborations avec ce que j'appelle les sociétés chinoises écran, proches du PC chinois. La démondialisation (qui est en fait une ré-occidentalisation, car nous avons des flux importants aux niveaux intra-européens et  transatlantiques) en cours fait que nous serons moins sensibles à l'avenir au rythme de la croissance chinoise.

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