Valérie Boyer : "Nous avons besoin de faire reconnaître le syndrome de la femme battue"<!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Bacot arrive avec sa famille au palais de justice de Chalon-sur-Saône, le 21 juin 2021, avant l'audience d'ouverture de son procès pour le meurtre de son beau-père devenu mari, qui l'a maltraitée depuis l'âge de 12 ans.
Valérie Bacot arrive avec sa famille au palais de justice de Chalon-sur-Saône, le 21 juin 2021, avant l'audience d'ouverture de son procès pour le meurtre de son beau-père devenu mari, qui l'a maltraitée depuis l'âge de 12 ans.
©JEFF PACHOUD / AFP

Légitime défense

Alors que le procès de Valérie Bacot pour le meurtre de son mari violent révèle l’horreur subie par elle et ses enfants pendant 25 ans, la sénatrice LR Valérie Boyer a fait voter au Sénat un dispositif juridique qui pourrait changer la donne pour les personnes victimes de violences conjugales.

Valérie Boyer

Valérie Boyer

Valérie Boyer est sénatrice LR des Bouches-du-Rhône et conseillère municipale de Marseille.

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Atlantico : Il y a cinq ans, Valérie Bacot tuait son beau-père et mari Daniel Polette qui l'avait violée pendant toute son adolescence. Représentatif des violences faites aux femmes et du phénomène d'emprise, le procès se tient cette semaine à Chalon-sur-Saône. Que vous inspire l’histoire de cette femme ?

Valérie Boyer : Son histoire est édifiante à plus d'un titre. Le défaut de prise en charge est flagrant et c’est une réalité dans beaucoup d'affaires de ce type. Nous ne sommes pas à la hauteur des espérances qu'on peut avoir dans ce pays pour protéger l'enfance et les plus fragiles. Il est important que cette prise de conscience puisse avoir lieu et ce procès peut y aider. Il faut savoir que des Valérie Bacot, il y en a des centaines. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé une loi pour que les auteurs de violences conjugales aient des peines planchers. On a tous beaucoup de mal à entendre que les peines ne sont pas exécutées. En l'occurrence, le beau-père de Valérie Bacot, condamné pour viol sur sa belle-fille en 1995, est sorti de prison à la moitié de sa peine en 1997 pour bonne conduite et est retourné dans le foyer familial où vivait Valérie Bacot. Je m'interroge aussi sur le fait que cette jeune fille ait pu aller au parloir de la prison voir son beau-père sans qu'aucun assistant social ne s'en émeuve alors qu'il était en prison justement parce qu'il l'avait violée. Les faits de viols sur mineurs avaient été requalifiés en agression sexuelle. C'est ce que nous avons dénoncé au Sénat dans un texte qui a été voté au mois de janvier pour dire que toute relation sexuelle de moins de 15 ans est un viol.

Les enfants de Valérie Bacot ont aussi fait des signalements à la gendarmerie qui n'ont pas été entendus. C'est aussi représentatif d’une certaine époque où l’on ne prenait pas assez en compte ce type de témoignage, faute de formation. Aujourd'hui, je pense que c'est davantage pris au sérieux. Des progrès ont été faits dans la formation à l'accueil et à la prise en charge des victimes. Il y aura toujours des trous dans la raquette mais il faut espérer qu'il y en ait moins aujourd'hui.

L'avocate de Valérie Bacot plaide que sa cliente était atteinte du syndrome de la femme battue au moment où elle a tué son mari et bourreau. Pourquoi réclamez-vous que ce syndrome soit reconnu par la justice ?

C'est quelque chose de très nouveau. Pour la première fois dans une affaire judiciaire française, l'expertise psychiatrique requise par un parquet reconnaît que l'accusée était atteinte du syndrome de la femme battue au moment des faits. Ce syndrome définit l'état d'une personne qui voit son jugement altéré de par les violences continues qu’elle subit. C'est un concept déjà connu en droit canadien. L’expert judiciaire indique que Valérie Bacot « était atteinte du syndrome de femme battue : de nombreux indices mettant en évidence une soumission résultant d’une emprise d’une toute puissance incarnée par le personnage de son mari vécu comme un tyran domestique ayant droit de vie et de mort sur chaque personne du foyer ».

La question posée au tribunal est : est-ce que Valérie Bacot doit passer le restant de ses jours derrière les barreaux parce qu'elle a tué son mari ou doit-elle être considérée avant tout comme une victime ?

Vous avez d’ailleurs déposé un amendement dans ce sens.

Le 25 mai, j'ai fait voter une modification du Code pénal de façon à ce qu'on reconnaisse le syndrome de la femme battue. J'ai considéré que l'altération du jugement pouvait s'appliquer aux personnes victimes de violences conjugales et le Sénat m'a suivi. Cela doit maintenant être confirmé par l'Assemblée nationale.

J’avais proposé cet amendement à l'occasion de l’examen d’un texte lié à l'affaire Sarah Halimi. Dans cette affaire, le tribunal avait conclu à l'altération du jugement de l'accusé suite à la consommation de substances et l'avait jugé irresponsable pénalement. Dans le cas de Valérie Bacot, l'altération est presque pire qu'en cas de consommation de psychotrope puisque c'est un tiers qui provoque cet état en la mettant dans un danger de mort permanent.

J'avais déjà travaillé sur cette question au moment de l'affaire Jacqueline Sauvage. La plaidoirie de la défense parlait d'une « légitime défense différée ». Ce concept existe dans d'autres pays (au Canada notamment) mais n'est pas transposable en droit français compte tenu du caractère spécifique de la légitime défense qui retient plusieurs conditions dont l'immédiateté. C'était trop compliqué à inscrire dans le droit français. J'avais donc déposé une proposition de loi pour reconnaître l’altération du jugement.

Ces cas se posent de façon extrêmement rare. Neuf fois sur dix, lorsqu'une personne est battue et violée de façon répétée depuis des années, c'est elle qui meurt. Dans des cas exceptionnels, et notamment lorsque le conjoint menace de s'en prendre aux enfants, la victime réagit en disant : « c'est lui ou moi ».

Le cas de Valérie Bacot peut-il représenter un tournant ?

Le phénomène d’emprise n’est pris en compte que depuis très peu de temps. Les choses sont heureusement en train de changer. L’avocate a plaidé la reconnaissance du syndrome de la femme battue : c’est une première qui permet de mieux comprendre la complexité d’une situation où une victime est auteure de faits criminels. C’est aussi un signal envoyé aux bourreaux. Dire que quoi qu’il se passe, une femme qui subit des violences conjugales sera toujours considérée comme victime. On va attendre l’issue du verdict mais quel qu’il soit, je pense qu’il y aura un avant et un après.

[Ndlr : L'avocat général a demandé, ce vendredi 25 juin, une peine de cinq ans de prison, dont quatre avec sursis, pour Valérie Bacot, accusée d'avoir tué Daniel Polette en 2016, son mari violent. Valérie Bacot ayant déjà effectué un an d'emprisonnement, elle ressortirait donc libre au terme de cette semaine de procès. A l'écoute des réquisitions, Valérie Bacot s'est effondrée en larmes et a perdu connaissance, visiblement épuisée. Les secours ont été dépêchés pour la soigner et elle semblait recouvrer ses esprits en milieu de matinée. L'audience a été suspendue et doit reprendre à 13 heures.]

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