TotalEnergies stoppe ses importations de pétrole russe, mais ne se débranche pas du gaz. Du coup, Yannick Jadot, leader des Verts, fait le malin et accuse son PDG de crime de guerre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Une photographie prise le 28 mai 2021 montre le nouveau logo de TotalEnergies, sur une borne de recharge à La Défense en périphérie parisienne.
Une photographie prise le 28 mai 2021 montre le nouveau logo de TotalEnergies, sur une borne de recharge à La Défense en périphérie parisienne.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Atlantico Business

La décision de TotalEnergies illustre l’embarras de toutes les entreprises européennes qui travaillent en Russie. Mais de là à accuser les patrons de crime de guerre, c’est du délire. Yannick Jadot oublie que ce sont ses amis, les Verts d’Allemagne, qui ont branché l’Europe sur le gaz russe et embrassaient Poutine sur la bouche.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Le président de TotalÉnergies ne décolère pas. Il en a même été ému aux larmes hier matin, sur RTL. Se faire accuser de complicité de crime de guerre par Yannick Jadot, c’est trop. Notamment pour les 105 000 salariés de Total Énergies. Notamment pour Yannick Jadot, qu’on a guère entendu ces dernières années se plaindre des Verts allemands qui ont piégé l‘Allemagne d’Angela Merkel, en l’obligeant à sortir du nucléaire, puis à pousser l’éolien qui ne marche pas la moitié du temps puisqu’il n’y a pas de vent. La solution a donc été de se brancher sur le Nordstream 1 parce que le gaz russe, disaient les écolos, est propre. 

Il est tellement propre que ce gaz d’origine russe représente 40 % de l’énergie consommée en Europe et 60% de la consommation en Allemagne.

Mais quelle erreur, pour les Verts, d’avoir ainsi pris Mme Merkel en otage et livrer l’Allemagne au moindre des caprices de Vladimir Poutine.

L’enjeu de la compétitivité valait-il un tel dérapage ? Jusqu’à la guerre en Ukraine, Yannick Jadot évitait de se plaindre de ses voisins.

Aujourd’hui, qu’il est en campagne électorale, il traite Patrick Pouyanné de criminel. Mais s’il y a crime de guerre parce qu’on achète du gaz aux Russes, les Verts sont évidemment complices. En période électorale, on devrait raison garder. L’entreprise française, elle, attaque le candidat écologiste pour diffamation. La bataille est lancée.

La situation de TotalEnergies en Russie résume à elle seule les difficultés posées par cette guerre aux entreprises, qui sont écartelées entre le désir de venir en aide aux Ukrainiens en participant à la pression économique contre la gouvernance russe et le besoin de conserver l’outil de production en état de marche, parce que le marché russe et les salariés russes n’ont rien fait pour subir une punition désastreuse. Les entreprises sont partagées entre la peste et le choléra. Entre la morale la plus élémentaire, le respect de la vie et de la liberté, et la soumission aux lois des affaires. Mais quand le maintien des affaires en Russie sert à financer l’effort de guerre du gouvernement russe contre le peuple ukrainien, le choix est trop cruel, il est destructeur et toxique. Et les gouvernements européens n’arrangent pas les affaires des entreprises puisqu’ils ne leur demandent pas d’arrêter leurs achats. Donc TotalEnergies fait pour l’instant ce que lui dit le gouvernement français.

À Lire Aussi

Total Énergies, Engie, Renault, Auchan, Société Générale... les entreprises françaises qui vont payer le prix fort de la crise en Russie

Dans son principe et dans la nature très particulière de cette guerre incompréhensible, le régime des sanctions paraît légitime et habile. Il permet de faire la guerre économique en espérant que les belligérants cesseront la guerre militaire.

Les Occidentaux ont donc pris un train de sanctions très puissant en interdisant tout commerce, exportations et importations de produits, de services et de capitaux avec la Russie. Tout le commerce, sauf le commerce des hydrocarbures (gaz et pétrole) parce que les importations sont importantes et considérables, pour l’Europe notamment. L’Europe en a besoin pour faire tourner ses entreprises et des centrales électriques. Voilà pourquoi TotalEnergies opère encore et opèrera tant qu’on n’aura pas trouvé d’alternative.

Mais de l’autre côté, la Russie a besoin de vendre son gaz et son pétrole. Ses hydrocarbures sont les dernières recettes importantes qui permettent à la société russe de respirer : presque un milliard de dollars par jour (800 millions d’euros par jour).

Plus de 400 entreprises internationales, principalement européennes, ont donc cessé leurs activités en Russie, soit parce qu’elles en ont été contraintes par leur pays d’origine ou par Moscou, soit en anticipant l’injonction. Tous les grands groupes de luxe (LVMH, Gucci, Chanel, Prada…) notamment.  

Le problème, c’est que certaines entreprises françaises très emblématiques se sont vite retrouvées en porte à faux.

Les deux ou trois cent magasins du groupe Auchan, par exemple, n’ont pas tous fermé parce que beaucoup distribuent des produits locaux, qu’ils jugent nécessaires, et avaient des stocks et certains se sourcent en Asie (Auchan, Leroy Merlin, Decathlon).

À Lire Aussi

L’opinion publique française sait qu’elle aura besoin de l’énergie nucléaire, mais elle n’ose pas encore le dire

Beaucoup de marques ont baissé leur rideau, mais ont conservé leurs salariés russes qu’ils ont continué de payer.

Renault a indiqué suspendre les opérations dans son usine de Moscou. Quant à sa filiale Avtovaz qui produit les Lada – dont les usines tournent de toute façon au ralenti faute de pièces, l’entreprise étudierait les pistes pour s’en désengager, en tenant compte de ses 45 000 salariés en Russie.

La vie économique et commerciale ne s’est donc pas arrêtée. D’autant que, dès le départ, les Européens ont convenu d’exclure du champ des sanctions toutes les industries d’hydrocarbures. Les produits partent et les règlements arrivent. Les chefs d’entreprises concernés pensent que l’embargo européen était inéluctable, mais ils en ont retardé l’application le plus tard possible pour éviter d’abimer les économies européennes qui se relevaient à peine du Covid.

Cela dit, après 20 jours de guerre, après une multiplication d’images qui renvoient à l’horreur, les opinions publiques ont pris conscience qu’il fallait refuser d’envoyer des milliards d’euros aux Russes puisque cet argent servait directement à tuer et à bombarder. Insupportable !

L’organisation Europe Beyond Coal a calculé qu’en 4 semaines, l’Union européenne a versé 17,5 milliards d’euros pour ses énergies fossiles. Par an, la France importe de Russie 530 millions d’euros de charbon, 10 milliards d’euros de pétrole et 3,5 milliards pour le gaz. L’Allemagne importe 5 fois plus.

Alors TotalEnergies occupe une place qui n’est pas négligeable, mais à l’échelle du groupe, elle n’est pas incontournable. Ça représente au maximum 5% du chiffre d’affaires (sur un total de 180 milliards d’euros).

À Lire Aussi

Le Macronisme pour les nuls ou pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre

L’enjeu d’être en Russie est pour Total très stratégique parce qu‘au-delà du commerce quotidien, l’énergéticien a beaucoup investi dans des champs d’exploitation de gaz, dans des usines de liquéfaction et de raffinerie.

Total, notamment, avait apporté à ses partenaires russes une technologie de décarbonatation du gaz dont les Verts allemands étaient très friands. Les infrastructures permettent à Total et à la Russie d’être un très gros exportateur vers la Chine et vers la totalité de l’Asie.

Mais ce n’est pas tout. Au-delà de ses unités de raffinage et d’industrialisation, Total a beaucoup investi dans des champs d’exploration. On estime que le gaz produit en Russie par TotalEnergies représentait 30 % de la production du groupe et même 40% de ses réserves, et sans doute 50 % des réserves futures. C’est le prédécesseur de Patrick Pouyanné, Christophe de Margerie, qui avait construit les bases de cet empire. On se souvient que Christophe de Margerie est mort d’un accident d’avion à l’aéroport de Moscou, dont les causes n’ont jamais été clarifiées.

Compte tenu de cette situation du groupe, la position de Patrick Pouyanné ne peut pas être prise à la légère. Il ne peut ni insulter l'avenir, ni hypothéquer le travail de ses 105 000 salariés dans le monde, ni brader le capital de ce fleuron de l’économie française qui est porteuse d’un projet puissant dans la transition énergétique actuellement.

Alors, s’il faut appliquer les sanctions décidées par le pouvoir politique, il les appliquera, mais il veillera aussi à protéger au maximum l’entreprise.

Pour l’instant, TotalEnergies a suspendu tout nouvel investissement dans n‘importe quel projet industriel et s’est engagé à arrêter toute importation de pétrole avant la fin de l’année 2022. Pourquoi attendre la fin de l’année ? Pour se laisser un peu de temps afin de mobiliser les approvisionnements alternatifs. Pour le gaz, TotalÉnergies, comme les autres industriels, va chercher d’autres sources et notamment du gaz liquéfié importé d’ailleurs mais qu’il faudra traiter dans des usines, qui actuellement n‘ont pas la capacité de satisfaire l’ensemble de la demande intérieure européenne.

Alors, les Anglo-saxons se félicitent que BP ou Shell aient abandonné leurs actifs mais il ne s’agissait pour BP et Shell que des participations minoritaires qui n’avaient plus aucune valeur et sur lesquelles les entreprises n‘avaient pas de prises. Mieux valait les brader, ce qui s’est fait en quelques jours.

Les déclarations des hommes et des femmes politiques à l’encontre des dirigeants de Total sont surréalistes, parce qu’ils ne connaissent pas la réalité des dossiers et de la responsabilité de ces dirigeants. Pas plus Yannick Jadot qu’Anne Hidalgo ou Jean-Luc Mélenchon.

Qu’auraient-ils dit et même crié si, au lendemain d’un embargo brutal appliqué avec violence sur le gaz et sur le pétrole, ils auraient vu le prix du diesel grimper au-dessus des 3 euros le litre et la facture du chauffage au gaz de leurs électeurs augmenter de 30 % ?

L’hypothèse n’est pas folle. Elle est même probable. Que diront ils ce jour-là ? De quoi accuseront-ils les dirigeants ? On craint le pire !

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !