Taxer les super profits, une très fausse bonne idée et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pays ayant décidé une taxe exceptionnelle sur les profits des entreprises énergétiques sont de plus en plus nombreux.
Les pays ayant décidé une taxe exceptionnelle sur les profits des entreprises énergétiques sont de plus en plus nombreux.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Solution de facilité

La liste des pays ayant décidé une taxe exceptionnelle sur les profits des entreprises énergétiques s’allonge. Le Royaume-Uni a notamment annoncé fin mai une taxation des bénéfices des compagnies pétrolières et gazières à hauteur de 25 %.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : La taxation des superprofits énergétiques a fait son apparition dans le débat public cette semaine, pourquoi survient-elle maintenant ? 

Pierre Bentata : Elle se pose pour plusieurs raisons. Lors de l’augmentation des prix des carburants, l’État a réagi vite, sans se coordonner avec les pétroliers, les distributeurs et l’ensemble de la chaîne de production. Et il s’est avéré que les pétroliers ont largement joué sur l’effet d’annonce, certains ont spéculé pendant les 15 premiers jours de cette hausse et ont engrangé de très gros profits. D’autres disent qu’ils n’ont pas gagné énormément d’argent, mais plusieurs ont fait des profits très importants sur un laps de temps très restreint. 

Dans une période où l’inflation s’est réalisée, et où l’État n’a absolument aucun moyen de continuer à faire fonctionner la planche à billets, il se tourne en premier vers ces entreprises. Les politiques se disent alors que ces effets d’aubaine ont eu aussi lieu dans beaucoup de secteurs. D’ailleurs, le PDG de Leclerc expliquait qu’il y avait du côté de ses fournisseurs des entreprises qui suivaient l’effet d’inflation sans la subir totalement et qui s’enrichissaient grâce à elle et aux pénuries attendues de la guerre en Ukraine.

Cela a donc créé un climat de taxation des entreprises ayant fait du profit. 

Dans ce contexte, peut-on considérer qu’il est légitime d’aller taxer les entreprises

Tout dépend de ce que l’on appelle légitime. Si l’on considère que ces entreprises ont agi de manière immorale, oui. Si l’on considère qu’il y a eu une forme d’avidité de la part de ces entreprises et que cela doit être politiquement sanctionné pour aider les plus précaires, cela peut se comprendre. Le problème étant que l’économie et la morale sont deux choses différentes. Mais ce comportement n’est pas moral car si l’on veut que l’annonce se traduise par une politique efficace, cela nécessite davantage de travail sur la définition même de super-profit.

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Politiquement, l’application d’une telle annonce serait très positive pour ceux qui le décideront...

Exactement et c’est pour cela que l’on comprend l’intérêt d’une telle annonce. Mais, elle traduit une contrainte du fonctionnement de l’Etat, il est actuellement dans une situation financière catastrophique. Aller chercher de l’argent là où il y en a sous un alibi moral est une bonne stratégie de communication. Pourtant, dans la pratique, cela pose de vraies questions. La première est de savoir comment qualifier un super-profit du point de vue économique. Quelle entité peut le déterminer ? Si on le compare aux années précédentes, les bilans n’ont-ils pas été faussés par les interventions de l’État ? En appliquant des mesures comptables, n’allons-nous pas mettre dans le même panier des entreprises vertueuses et celles qui ont gagné de l’argent pour un effet d’aubaine ?

En quoi le secteur énergétique est-il particulier ici ?

Son statut est particulier car tout le monde s’accorde à dire que l’aspect environnemental de ce secteur est très important et la maîtrise de l’énergie paraît essentielle. Surtout, c’est un secteur intermédié par les pouvoirs publics, voir quasi administré. L’État a une emprise dessus car il est l’intermédiaire entre la population et l’énergie. Ce type d’action de la part de l’État est un pas de plus vers la collectivisation de l’économie. Néanmoins, aucune tentative de collectivisation n’a montré son succès. 

Si on décidait de manière arbitraire de la définition des supers profits, quelles seraient les conséquences négatives d’une telle décision ? 

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À partir du moment où il faut un critère politique pour analyser un secteur, on crée une distorsion dans l’économie. Certains secteurs vont être favorisés par rapport à d’autres. À moyen ou à long terme, rien ne nous dit que pénaliser telle ou telle entreprise sera bénéfique pour l’économie. Après s’être fait pénalisé une fois, les chefs d’entreprises ne feront plus de super profits, ils les cacheront en augmentant les charges, en réduisant les bénéfices grâce à des provisions, procéderont à davantage de dépenses. Ainsi, on oblige les entreprises à réduire leur efficacité et leur productivité pour qu’elles se protègent contre une potentielle taxe exceptionnelle. 

Heureusement que des entreprises ont fait de tels profits car d’ici un an à cause de l’inflation, ils ne vaudront peut-être plus rien. On crée une complexité pour les entreprises et une incertitude pour l’ensemble du marché qui potentiellement est catastrophique. Cela va provoquer un ensemble d’effets pervers dont on n'a aucune idée. La situation va devenir illisible et les entrepreneurs vont s’inquiéter. 

N’oublions pas qu’il n’existe aucun impôt qui ne soit pas au final payé par les consommateurs… 

Avons-nous des exemples d’expériences similaires ? 

Aux États-Unis, suite à la crise des années 30, une augmentation très rapide de l’imposition sur le capital et des entreprises a été mise en place. Et on sait que cela a rallongé la durée de la crise, et limité les perspectives d’innovation. La situation aujourd’hui n’est pas la même que dans les années 30, mais nous voulons utiliser une arme dont on ne sait pas quelles seront les conséquences. Il faudrait analyser au cas par cas chaque entreprise et voir comment elle fonctionne et ses objectifs pour que cela marche. 

Si la décision de la taxation est prise ne serait-ce pas une forme de renoncement à une réflexion de fond sur la rationalisation des dépenses publiques ? 

C’est l’argument économique de la « Deep pocket ». Tant que l’on peut prendre de l’argent dans la poche d’une grande entreprise qui a beaucoup de moyens, il n’y a aucune raison de rationaliser et de réfléchir à ce que l’on peut faire avec cet argent. D’une manière plus globale, la situation est devenue délétère pour les entrepreneurs car ils ont le sentiment que l’État étouffe l’activité économique. Gabriel Attal a d’ailleurs annoncé que l’État allait taxer les entreprises qui ne faisaient pas assez d’efforts pour traduire leur profit en pouvoir d’achat pour les employés. Sur le plan économique, cela est encore très flou car il est impossible de connaître le coût du travail sur tous les secteurs. Il faut favoriser une réponse décentralisée et ces annonces ne sont pas des réponses à la situation dramatique dans laquelle se trouve l’État. 

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