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Pourquoi se focaliser sur les chiffres de la croissance n'a aucun sens
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Chimère

Le gouvernement vient d'annoncer que les chiffres de la croissance, auxquels il était le dernier à croire, ne seront pas respectés. Pourtant, plus que jamais la croissance n'est une chimère économico-politique.

Valérie Charolles

Valérie Charolles

Enseignante à Sciences Po, Valérie Charolles a travaillé au ministère des Finances, au cabinet du ministre de l'Industrie et à Radio France, dont elle a été directeur financier. Elle est l'auteur de Et si tous les chiffres ne disaient pas la vérité, aux éditions Fayard.

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Atlantico : Le gouvernement vient d’annoncer que les prévisions de croissance annoncées depuis l’élection de François Hollande ne pourront être tenues. A cette annonce, les réactions ont été nombreuses et apocalyptiques. Accorder à la croissance ce rôle d’indicateur unique et omniscient de la santé économique est-il si pertinent ?

Valérie Charolles : La focalisation sur la croissance qu’il y a aujourd’hui est très problématique. En effet, en se focalisant sur la croissance, on en arrive à considérer que ne pas avoir de croissance reviendrait à ne pas avoir de production. On se concentre uniquement sur le surplus en oubliant de dire que le PIB en France équivaut à 2000 milliards par an alors que la croissance ne correspond qu’à zéro virgule quelques points de cet ensemble. Or, la question essentielle est plutôt de se demander comment on va constituer cet ensemble.

Cette obsession de la croissance était pertinente quand elle est née c’est-à-dire dans l’entre-deux-guerres puis essentiellement après la deuxième Guerre mondiale. A l’époque, nous étions dans une phase de reconstruction et d’augmentation démographique très forte qui impliquait donc naturellement de la croissance afin de financer les travaux de reconstruction et de nourrir les populations. La situation européenne et française actuelle est très différente puisqu’elle n’implique pas de reconstruction, ni ne connait d’explosion démographique. Il n’y a donc aucune raison de chercher de la croissance au-delà de certains présupposés idéologiques que peuvent avoir certains. L’idée que je défends est la suivante : la théorie libérale classique ne porte pas le principe d’une croissance forte sans démographie forte, une reconstruction ou un très fort apport de nouvelles technologies. Ce dernier élément peut toutefois être contrebalancé par les questions écologiques. Au-delà de cette non pertinence structurelle, se baser sur la croissance et donc sur le PIB est tout à fait discutable et peut avoir des effets pernicieux.

Quels sont ces effets pernicieux ?

Le PIB en tant qu’indicateur a trois défauts techniques dont débattent régulièrement les économistes mais dont ils se gardent bien de parler aux médias. Premièrement, il ne prend pas compte de façon simple de l’évolution technologique, ce qui est légèrement problématique dans une économie comme la nôtre où des nouveautés technologiques entrent en permanence. Sur ces produits technologiques, la question est donc de savoir ce qui relève de l’augmentation des prix, de l’inflation, et ce qui relève de la croissance. Il se trouve que la manière de faire ce calcul a une importance capitale puisque des études ont montré que les manières différentes de compter des USA et la nôtre ont pu entraîner un écart de 0,5% de PIB au début des années 2000.

Ensuite, l’évaluation de notre PIB est faussée par la façon dont y sont considérées les activités publiques. En France, la moitié de la richesse nationale y circule et les conventions statistiques arrivent au fait que celles-ci ne dégagent aucune croissance. La moitié de notre PIB est ainsi considérée comme totalement asséchée. Ainsi, la très importante activité publique de la France la handicape là où, je reprends mon exemple, les Etats-Unis n’en font qu’une petite utilisation – moins pénalisante au niveau du calcul du PIB et donc de la croissance. Enfin, les problèmes environnementaux majeurs font du PIB un indicateur à rebours puisque si une catastrophe arrive, l’argent dépensé pour la "réparer" compte comme de la croissance alors que le dégât ne sera pris en compte nulle part.

Pourquoi les politiques français de tous bords se focalisent-ils sur cette croissance ? Est-ce lié à sa construction ?

Je crois que les économistes ont une forte responsabilité dans cette situation car ils ont habitué les politiques à raisonner en termes de surplus. Et même si les politiques n’ont certainement pas pris suffisamment le temps de réfléchir, les économistes leur ont ancré dans l’esprit leurs raisonnements marginalistes qui ne consistent qu’à raisonner sur le pourcentage de différence entre une année et la suivante. Ils les ont ainsi convaincus que le stock ne pouvait pas être redistribué différemment et les politiques se sont faits à ce discours. Or, l’économie se transforme et le revenu n’a pas la même structure chaque année, c’est pour cela que je plaide pour que les gens comprennent qu’avec le même montant de richesses on pourrait le partager autrement et le consommer différemment, si nos investissements et nos comportements évoluent.

Quels sont les autres indicateurs macroéconomiques auxquels nous devrions nous fier ?

La croissance n’est qu’un indicateur de flux de richesse annuelle et pas un indicateur de stock de patrimoine, il faut donc que nous basions notre réflexion sur l’analyse de notre production et plus seulement de ce que nous aurons peut-être en plus. Il faut regarder comment notre production se diffuse dans les différentes catégories sociales et les secteurs économiques mais également d’où cette production est issue. Nos outils statistiques actuels nous permettent tout à fait cela et nous pourrions les compléter en créant des indicateurs de patrimoine afin de redonner du sens à la comparaison avec les économies émergentes. Car la croissance a cela de pernicieux qu’elle compare les économies sur une même base qui en l’état n’a aucun sens car lorsque la Chine fait 9% de croissance cela n’apporte pas plus à chaque chinois que ce que 2% de croissance chez nous apporte à chacun de nous.

Il faut donc que nous arrivions à parler de croissance autrement en développant des indicateurs de patrimoines, notamment naturel, mais également en nous projetant derrière : les données comptables des entreprises. En effet, dans le système comptable mondial actuel, la richesse n’est analysée dans le bilan que pour répondre aux exigences des marchés et considère le travail comme une charge et non pas un produit. Pour ma part, je défends une thèse basée sur le travail d’Adam Smith revendiquant que le libéralisme repose sur le capital et sur le travail de manière égale. Nos politiques devraient peut-être s’intéresser à cette logique de reconsidération afin de permettre aux patrons de prendre des décisions dans un contexte non biaisé. Les décisions qu’ils prennent actuellement ne sont pas nécessairement fonction d’un manque de qualité humaine mais le fruit rationnel d’une vision du monde qui privilégie le capital sur le travail. Sur le long terme, leur offrir un cadre de réflexion non biaisé pourrait changer bien des choses, et transformer au quotidien les choix opérés dans les entreprises.

Quelle est de manière générale la limite des indicateurs économiques ? N’ont-ils pas fondamentalement un effet auto-réalisateur qui limite leur crédibilité ?

Cette question est très importante bien qu’elle ne relève plus de la mesure mais de la prévision. Il nous faudrait tout d’abord commencer par bien décrire le réel sur le plan économique car nous passons notre temps à jouer aux apprentis sorciers en faisant en permanence des prévisions. Dans un monde à ce point automatisé, où l’économie a une telle place, ces prévisions nous mènent, encore plus que ce qu’avait prévu Keynes, à des prophéties auto-réalisatrices. Et si elles ne se réalisent pas, nous tombons dans un discours catastrophistes, de crise, alors que nous devrions plutôt nous interroger sur le cadre dans lequel nous faisons nos prévisions. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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