Les gagnants économiques d’un programme Le Pen mis en application seraient-ils ceux qui espèrent l’être ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen prend la parole lors d'une conférence de presse avant le second tour de l'élection présidentielle, le 12 avril 2022 à Vernon, en Normandie.
Marine Le Pen prend la parole lors d'une conférence de presse avant le second tour de l'élection présidentielle, le 12 avril 2022 à Vernon, en Normandie.
©Thomas SAMSON / AFP

Mesures pour le pouvoir d'achat

Lors du premier tour des élections présidentielles, Marine Le Pen a été plébiscitée par les ouvriers, les indépendants, les 25-49 ans, les habitants ruraux et des petites villes ainsi que les employés. Ces catégories vont-elles connaître une amélioration de leur situation économique avec les mesures du programme de Marine Le Pen ? 

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche est professeur associé d'économie à NEOMA Business School. Il enseigne la macroéconomie, la théorie des cycles et les processus entrepreneuriaux dans des programmes de premier cycle et des cycles supérieurs. Il porte un vif intérêt aux sujets macroéconomiques qu'il commente dans la presse française et internationale. Ses recherches portent sur la théorie du malinvestissement, la zombification économique et les routines entrepreneuriales. Les recherches de Gabriel ont été publiées dans le Quarterly Review of Economics and Finance, Small Business Economics, The World Economy, Journal of Economic Issues, entre autres. Il est membre de l'American Economic Association et de la Royal Economic Society.

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Atlantico : Qui seraient les gagnants économiques d’un programme de Marine Le Pen, tel qu’édicté actuellement

Gabriel Giménez Roche : Tout le monde si l’on en croit son programme. Ceux qui en bénéficieraient le plus seraient les moins de 30 ans : ils ne paieraient pas l’impôt sur le revenu, pourraient bénéficier des hausses de salaire. Elle promet 10% jusqu’à 3 fois le SMIC, conditionné aux entreprises qui embauchent. Néanmoins, le dispositif pour faire payer ses hausses par les entreprises n’est pas bien précisé.Elle parle de la suppression des cotisations patronales pour les entreprises, mais de là à les convaincre à augmenter les salaires, il faut un mécanisme qui n’est pas clair dans son programme. Les retraités et les ménages bénéficieraient surtout de la baisse de la TVA sur les produits énergétiques et les produits de première nécessité. Elle ratisse très large. Le seul groupe qui serait négativement affecté serait celui des investisseurs financiers. En effet, elle évoque un impôt sur la fortune financière. Cela pourrait théoriquement atteindre même ceux investissant en une simple assurance vie, à condition de dépasser le seuil de fortune stipulé. Voilà le constat sur les promesses, mais la question est : peut-elle payer tout cela ?

On sait que Marine Le Pen a été plébiscitée par les ouvriers, les indépendants, les 25-49 ans, les habitants ruraux et des petites villes et les employés. Ces catégories verraient-elles spécifiquement des améliorations de leur situation économique en cas d’application du programme de Marine Le Pen ? 

Comme je l’ai dit, les jeunes de moins de trente ans oui. Ils seraient les grands gagnants dans le programme de Marine Le Pen grâce à la suppression d’impôts sur leurs revenus salariés ou entrepreneuriaux. Pour les travailleurs ruraux, c’est beaucoup moins précis.Leurs entreprises bénéficieraient sans doute des baisses des cotisations patronales. De même, les ouvriers et employés pourraient gagner plus si les entreprises peuvent embaucher plus facilement sans les coûts des cotisations patronales. Mais toutes les baisses d’impôts (revenus pour les moins de 30 ans et la TVA sur un nombre considérable de produits) et la suppression des cotisations patronales impliquent un manque à gagner énorme pour l’Etat.

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A quel point la question du financement remet-elle en cause ces perspectives ?

Le programme de Marine Le Pen est très cher. Elle-même évalue le budget de son programme à 68 milliards d’euros de dépenses. Elle dit dans son programme vouloir passer le budget annuel des armées à 55 milliards d’euros (15 milliards de plus), ainsi que 20 milliards supplémentaires pour la santé. Il y a aussi des dépenses qui n’ont pas été chiffrées, sur les hausses des salaires, du minimum vieillesse. Si on rajoute à cela les baisses d’impôts et cotisations sociales, nous pouvons arriver facilement à 100 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. D’autant qu’elle parle de 7000 créations de postes de policiers et gendarmes, 20 000 pour les magistrats, etc. En outre, dans son programme ne figure aucune baisse concrète et considérable des dépenses publiques actuelles. Pour financer ses mesures, elle compte sur l’impôt sur la fortune financière, or on sait que l’ancien ISF, lequel imposait la fortune financière en plus de l’immobilière, rapportait très peu à l’État. Plus récemment, elle a mentionné des impôts sur les rachats d’actions. Or c’est le genre d’annonce qui incite les entreprises à les éviter. Même  si elles continuaient à le faire, nous serions toujours loin du compte pour le financement. L’une de ses autres mesures de financement est un emprunt à 2%. Déjà, l’Etat ne peut pas le décider unilatéralement. C’est soit le prix de l’emprunt, ou le montant emprunté. Or, qui voudra emprunter à un État dépensier et grandement déficitaire ? On peut donc se demander quelle partie de son programme elle pourrait réellement appliquer.

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Si elle applique son programme, malgré ces questions de financement, sur qui cela va-t-il se répercuter ?

Si elle essaie d’appliquer son programme, elle va devoir s’endetter. Car elle dit ne pas vouloir sortir de l’Union européenne ou de la zone euro. Or, tant qu’elle est dans la zone euro, elle n’a pas  le contrôle de sa politique monétaire et ne peut donc pas utiliser l’inflation monétaire pour payer ses déficits. Il ne lui reste donc que l’endettement. Et qui cela concerne ? Les générations futures, donc les moins de 30 ans. C’est une vraie contradiction. Elle pourrait aussi augmenter des impôts, mais elle compte les baisser, au moins pour une partie de la population. Par cohérence avec son programme, si elle choisissait d’augmenter les impôts, ça concernerait sans doute les plus de 30 ans. L’endettement n’est pas un problème tant qu’on est en capacité de rembourser la dette. Cela implique des baisses de dépenses qui ne sont pas du tout prévues dans son programme, donc ce sera forcément l’endettement cher ou les impôts. Cela risque d’inquiéter les secteurs économiques. Et si l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont dû faire des efforts budgétaires considérables pour réussir à obtenir de nouveaux emprunts à de bonnes conditions, la France devra sans doute en faire aussi.

Quelles conséquences macroéconomiques aurait son programme à moyen ou long terme ? Et notamment l’inflation ?

L’inflation est déjà là, elle l’était avant la crise Covid et la guerre d’Ukraine. Elle est liée à l’argent injecté par les banques centrales dans l’économie pour accommoder toutes les crises depuis 2008. Tout l’argent qui est injecté d’abord via les marchés bancaires et financiers tôt ou tard arrive  dans l’économie réelle. Donc que ce soit Macron ou Le Pen, il y aura de l’inflation. Reste à savoir quel taux d’inflation. En tout état de cause, cela affectera la situation. Et on ne peut rien faire, car on ne contrôle pas la politique monétaire pour diminuer l’inflation en appliquant une contraction monétaire. Sans politique monétaire, une baisse de la pression inflationniste passerait par l’augmentation des impôts pour forcer une réduction des dépenses de la population. Le programme de Marine Le Pen est cependant bien trop exposé au risque inflationniste. Pour rester cohérente avec la « protection du pouvoir d’achat »,  elle pourrait procéder à une indexation des salaires et des prix sur l’inflation, ce qui contribuerait certainement à l’alimenter. Son programme promet beaucoup de choses, mais pour financer tout cela, il implique des contradictions criantes.

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