Les deux problèmes de l’affaire Sarah Halimi (celui qui peut être géré, celui qui ne peut pas)<!-- --> | Atlantico.fr
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Justice
Près de 20.000 personnes étaient rassemblées à Paris ce dimanche 25 avril, sur la place du Torcadéro, pour demander justice pour Sarah Halimi.
Près de 20.000 personnes étaient rassemblées à Paris ce dimanche 25 avril, sur la place du Torcadéro, pour demander justice pour Sarah Halimi.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Antisémitisme et irresponsabilité pénale

A la demande du Président de la République, le garde des Sceaux a annoncé ce dimanche qu'un projet de loi serait présenté "fin mai" afin de "combler" un "vide juridique", après que le meurtrier de Sarah Halimi a été jugé pénalement irresponsable de ses actes. Pas sûr que cela ne fasse beaucoup avancer les choses.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Dans l'affaire Halimi, il faut sans doute distinguer deux problèmes: celui, politique, de la situation des juifs de France face à la montée de l'antisémitisme imputable à la présence musulmane; le problème posé par l'irresponsabilité pénale, qui relève de la philosophie du droit.
Le martyr de Sarah Halimi est en train de devenir le symbole de la persécution des juifs de France par les musulmans qui leur sont hostiles, la justice servant en la circonstance de bouc émissaire payant pour une démission morale de l'Etat et de la société qui n'a que trop duré. Un symbole ne fait toutefois pas une politique. Qu'on fasse ou pas un procès à Kobili Traoré, que celui-ci aille en prison ou en HP, cela ne résoudra pas le problème politique de l'antisémitisme musulman et ne changera rien à la situation générale. A politique migratoire égale, la situation des juifs de France, qui s'est dégradée au cour des dernières décennies, aura empiré dans 20 ou 30 ans.
La dimension politique et la question de l'antisémitisme recouvrent dans cette affaire un débat récurrent au sujet de l'irresponsabilité pénale. A la lecture de l'avis de l'avocate générale, Sandrine Zientara, il apparaît clairement que la justice, dans l'affaire Halimi, pouvait difficilement prendre une autre décision. On peut discuter à l'infini de la scientificité de la psychiatrie, mais il existe en matière d'irresponsabilité pénale une jurisprudence, elle-même alimentée par une doctrine établie par les autorités de santé et sur laquelle la justice peut s'appuyer pour fonder ses jugements. La justice ne juge pas la construction d'une personnalité, en l'occurrence, s'agissant de Kobili Traoré, l'imprégnation de la culture islamique ou la destruction méthodique d'un cerveau par l'usage régulier et abusif de cannabis. La décision judiciaire porte sur un acte, lequel ne peut être imputé à la responsabilité d'un sujet s'il est accompli en état de démence. Quelle qu'en soit la cause, la « bouffée délirante aiguë », suivant la littérature psychiatrique, n'est pas compatible avec l'idée qu'on se fait d'un sujet conservant la maîtrise des intentions qui commandent ses actions. C'est ce point, le seul qui intéresse les juges, qui a conduit l'avocate générale à conclure que Kobili Traoré « était atteint au moment du passage à l'acte d'un trouble mental ayant aboli son discernement qui n'a été discuté par aucun des sept experts et ne le serait vraisemblablement par aucun autre, en l'état actuel de la psychiatrie expertale. »
Même sans interférence avec le problème politique de l'antisémitisme musulman, toute affaire médiatisée dans laquelle il est question d'irresponsabilité pénale suscite les mêmes réactions dans l'opinion, relayées bien entendu par les politiques. Comme Macron aujourd'hui Nicolas Sarkozy, à propos du massacre de deux aides-soignantes par un psychopathe dans un hôpital psychiatrique, évoquait  en 2007 le « besoin de procès » des victimes, appelant à changer la loi: « L'irresponsabilité, ce n'est pas le sujet pour un président ni pour un ministre de l'Intérieur. En revanche, en tant que chef de l'État, je dois veiller à ce que les victimes aient le droit à un procès où le criminel, où les experts, où chacun devra exprimer sa conviction. »; « Je ne suis pas sûr que le mot non-lieu soit parfaitement compréhensible pour un mari dont on a égorgé la femme ou pour une soeur dont on a décapité la soeur. »; « Je suis prêt à faire évoluer la loi pour qu'un procès puisse avoir lieu y compris lorsqu'il y a irresponsabilité pénale ».
Il existe de fait une contradiction sur le sujet entre la raison et les passions démocratiques. La justice pénale n'est pas au service des victimes, ni non plus directement au service du peuple. Elle est au service des lois de la société, dont elle sanctionne la transgression. Pour accomplir sa fonction, elle s'appuie sur une conception rationnelle de la responsabilité, suivant laquelle celle-ci ne peut être imputée qu'à des êtres intelligents et libres, dotés d'une capacité d'autonomie de décision. D'où l'exclusion des animaux, des enfants et des fous du régime de la responsabilité pénale. Sur cette base, la fonction de la justice est de punir les coupables, pas de « réparer » les victimes.
La société démocratique demande aujourd'hui à la justice de satisfaire le « besoin de procès » des victimes. Même si le vocabulaire thérapeutique s'est substitué au langage des passions, on peut supposer que le besoin de réparation morale recouvre le bon vieux désir de vengeance. Chose humaine et légitime. Quiconque a un jour goûté le plat froid et délicieux concocté par le Comte de Monte-Cristo ne peut ignorer l'irrésistible puissance de ce désir qui comprend du reste le désir de justice. Canaliser le désir passionnel de vengeance constitue assurément une fonction anthropologique de la justice. La punition des coupables ne le comble sans doute jamais tout à fait mais lui épargne à tout le moins la complète frustration. L'irresponsabilité pénale supprime cet aspect « thérapeutique » du procès et de la punition qui constitue ordinairement le bénéfice secondaire de la justice pénale.
Peut-on remédier à ce problème ? Il semble aporétique. Je ne vois pas comment un procès qui s'achèverait par la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale du présumé coupable pourrait donner satisfaction aux victimes ou à leurs proches. La restauration de la fonction thérapeutique du procès exigerait de renoncer à l'irresponsabilité pénale non seulement en amont, mais aussi en aval. Pas sûr que cela constituerait un progrès de la civilisation.

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