Insécurité : et s’il ne s’agissait que d’une question de volonté politique (ou la preuve par l’exemple du Salvador) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors d'une conférence de presse.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors d'une conférence de presse.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP / POOL

Mesures efficaces

Alors que le petit pays d’Amérique centrale était ravagé par un nombre record d’homicides, le président salvadorien a décidé d’employer les grands moyens face aux gangs. Avec des résultats. La preuve que tout est question de « coût politique » qu’on est prêt à assumer.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Le Salvador (Amérique centrale) étant ravagé par un nombre record d’homicides, son prési­dent a décidé d’employer les grands moyens face aux gangs, quitte à remettre en cause l'État de droit. Quelle stratégie ? Avec quels moyens ? Pour quels résultats ?

Xavier Raufer : D’abord, deux mots sur le Salvador, micro-État de l’Amérique centrale (deux fois grand comme le département de la Gironde...), 6,5 millions d’habitants et un extravagant taux d’homicides - plus de 100 pour 100 000 en 2015, encore plus de 20/100 000 aujourd’hui (Union euro­péenne, moyenne, 2/100 000...). Au Salvador, sévissent deux méga-gangs, sortes d’armées cri­minelles plutôt féroces, la Mara Salvatrucha (M-13) et le Barrio Dies Y Ocho (M-18). Fin mars 2022, M-13 massacre 90 innocents en trois jours, pour provoquer le populaire président Nayib Bukele, élu sur un programme loi-et-ordre.

Sa réaction est foudroyante. On en était avant à ± 800 gangsters arrêtés par mois ; d’avril à fin juin 2022, 45 000 bandits sont jetés en prison, dans des conditions très dures - 11 000 par mois en moyenne, environ 1% de la population adulte du pays ! Depuis, le taux d’homicides s’effondre ; si la tendance continue, on en espère moins de 15/100 000 fin 2022, au plus bas depuis des décennies.

Dans quelle mesure l'exemple du Salvador prouve-t-il que, sur le plan de l'insécurité, tout dé­pend du « coût politique » qu’on est prêt à assumer pour obtenir des résultats ? Comment le président Salvadorien a-t-il assumé ce coût ? 

Le président Bukele dispose d’une forte majorité qui a voté (le 27 mars) l’état d’exception sans mollir ; lui-même est populaire, il applique son programme électoral promettant de mater les gangs. Seule bavure jusqu’à présent : trois policiers assassinés en représailles fin juin. Cela dit, l’état d’exception (renouvelé chaque mois depuis avril) ne peut s’éterniser, et les gangs ont déjà vécu des vagues répressives, dont ils se sont toujours dépêtrés, en fin de compte.

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Un proverbe des mafieux siciliens dit ça joliment : « Courbe-toi, jonc, la crue passe ». Autre problème : sans désarmer les gangs, pas de victoire durable. Là, N. Bukele a un souci : les con­fiscations d’armes de guerre, fusils d’assaut, etc. (M-16, AR-15, kalachnikov, etc.) ne suivent pas du tout la courbe des arrestations : début 2022, 20 de ces armes saisies par mois en moyenne ; lors de la vague répressive, avril-juin, 30 par mois pas plus. Les gangs ont su cacher leur arsenal - sans doute pour en user dans l’avenir, quand « la crue aura passé »...

A quel point la volonté politique fait-elle défaut dans de nombreux pays, et en particulier en France comme le démontrent l'insécurité dans les grandes villes et les récents faits divers à Nantes, à Lyon, aux Mureaux ou à Marseille ?

Retour aux fondamentaux : la justice d’un pays est au cœur de sa vie collective : sans justice, prudente certes, mais fermement dispensée, la clé de voute du pays tombe et l’anarchie s’ins­talle. La France est un État de droit : la justice y est rendue selon des lois votées par la re­présentation nationale ; lois connues ou accessibles à tous ; le citoyen dispose du droit de se défendre, etc. Tout cela est connu. Un édifice bien sûr imparfait, mais dans l’ensemble, le pays y adhère. Et si 75% des Français trouvent que la justice est mal dotée et mal rendue sous la pittoresque cohorte de récents gardes des Sceaux, de Calamity-Taubira en Dupond-Lam­borghini, c’est pour le déplorer et vouloir plus d’État de droit et non moins.

Comparer la France et le Salvador est-il possible, voire judicieux ? Pas vraiment, sauf sur un point. Car l’insécurité régnant en France n’est pas du même ordre que le chaos criminel salva­dorien. Nul besoin d’état d’exception en France, mais d’un peu de courage politique - et le président Bukele en a eu. Chez nous, en l’occurrence, il faudrait le (modeste) courage d’appli­quer tout simplement le code pénal tel qu’il est, sans rien y ajouter ni retrancher, en restant pleinement dans l’état de droit.

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Ce, en commençant par renvoyer chez eux ceux des prisonniers étrangers, hors cas spéciaux (malades, etc.). Sur 18 000 environ, en expulser 15 000, libérerait toute la place voulue pour incarcérer quelques milliers de criminels hyperactifs, multirécidivistes ou réitérants, opérant d’abord et surtout dans les quartiers hors-contrôle, ou alentours. La France en compte de fait quelques milliers, pas inconnus ni cachés le moins du monde. Dans chaque métropole, la BAC de nuit vous récite par cœur la liste de ses principaux « clients », qu’elle arrête sans cesse, pour une foule d’infractions parfois graves, mais peu ou pas sanctionnées.

Un enfant moyennement doué comprend aisément ce principe de base de la criminologie : les malfaiteurs ne s’arrêtent que quand on les arrête. D’eux-mêmes, ils ne le veulent - ni même, ne le peuvent. Les caïds dirigent des bandes d’individus brutaux et avides, qu’il faut alimenter, comme le loup dominant gorge sa meute. Si le loup ou le caïd faillit à sa mission, mollit ou s’ef­fraie, il est éliminé pour un autre, plus agressif encore : la bande criminelle est un véhicule sans foi ni loi - ni frein. Pourquoi Pablo Escobar, riche à milliards, ne quittait-il pas le Cartel de Medellin, où pour lui, le péril croissait chaque jour ? Comme à tous ses congénères, cela lui était rigoureusement impossible : un futur inquiétant vaut mieux qu’une mort immédiate.

Certes, vu de Wall Street ou de la City de Londres, à travers le filtre de l’« École de Chicago », tout cela est trivial, voire futile. Et comment se montrer courageux, face à un ennemi qu’on dédaigne, dont la criminalité de voie publique affecte surtout un peuple qu’on méprise ?

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