Faut-il sauver le soldat capitalisme de la mondialisation (et voilà pourquoi il serait urgent de s’y atteler) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme regarde un message inscrit sur un panneau protégeant une agence bancaire à Hendaye en août 2019 avant le sommet du G7 à Biarritz, du 24 au 26 août 2019.
Un homme regarde un message inscrit sur un panneau protégeant une agence bancaire à Hendaye en août 2019 avant le sommet du G7 à Biarritz, du 24 au 26 août 2019.
©ANDER GILLENEA / AFP

Naufrage collectif

La financiarisation de l'économie et les effets de la mondialisation ont accéléré l'évolution du capitalisme. Quels sont les enseignements de la pensée d'Adam Smith, de David Ricardo et de la littérature libérale classique face à ces changements fondamentaux au coeur de l'économie ? La mondialisation est-elle l'antithèse du capitalisme ? La mondialisation peut-elle être "améliorée" ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Dans quelle mesure la globalisation a-t-elle été perçue comme le prolongement du capitalisme, son aboutissement, alors que ce n’est pas le cas ? Pourquoi est-ce problématique ?

Don Diego de la Vega : Le capitalisme n’a pas de patrie. Il lui faut plus d’espace pour se développer dans sa logique smithienne, et ricardienne. Le capitalisme va main dans la main avec l’extension de la sphère marchande et avec un certain degré de mondialisation, d’internationalisation, de globalisation.

Le capitalisme va main dans la main avec la mondialisation. Avec des chocs d’offre comme le protectionnisme, la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine, le capitalisme est touché. Cela impacte également notre pouvoir d’achat, nos conditions de production. Le capitalisme a pourtant vocation à se déployer dans le temps et dans l’espace.          

Qu’est-ce que le capitalisme des origines et pourquoi il n’est pas en accord avec la globalisation ?

Il y a un véritable débat sur les origines du capitalisme. Certains citent le XIIème siècle alors que d’autres expliquent que le capitalisme est apparu au XVIIIème siècle. Ce débat d’historiens durera encore des siècles.

Le capitalisme moderne est lié au XVII – XVIIIème siècle, à la révolution industrielle, à Adam Smith.  

Le capitalisme est un processus évolutif. Il y a un retour du capitalisme d’Etat avec le modèle chinois.

Les différentes formes du capitalisme sont en perpétuelle évolution. Il peut y avoir un exposant mondialiste plus ou moins fort dans la formule capitaliste. De même qu’il peut y avoir un exposant libéral plus ou moins fort dans la formule capitaliste. Ou un exposant américain ou anglo-saxon plus ou moins fort.

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La formule d’un capitalisme plutôt anglo-saxon, plutôt libéral et plutôt mondialiste a été développée depuis un certain temps. Les perspectives et les évolutions vont dépendre de la continuation de la montée de la Chine. Est-ce que les Occidentaux vont rester libéraux ? Les libéraux sont plongés dans le capitalisme d’Etat, le populisme, le libéralisme… La situation ne sera plus la même à l’avenir. Le capitalisme a vocation à évoluer. Schumpeter disait que « lorsque l’on parle du capitalisme, on parle d’un processus qui ne reste jamais stationnaire ». Cela est lié aux goûts des consommateurs, aux capacités de production des producteurs, et à de nombreux phénomènes complexes.

Il n’y a rien de pire que d’imaginer un mix capitaliste qui serait figé, une sorte d’idéal type. Cela n’a jamais existé dans le passé. Le capitalisme fordiste n’est pas du tout le même que le capitalisme pré-fordiste ou post-fordiste. Cela pourrait en revanche se siniser. Il faut espérer qu’en se sinisant, le capitalisme ne va pas trop s’étatiser. La Chine pourrait se doter à l’avenir d’institutions de plus en plus flexibles ce qui permettra, si le monde dans les trente prochaines années se sinise, qu’il ne soit pas trop entraîné vers la partie étatique.   

Faut-il mieux lire Adam Smith et David Ricardo ? L’erreur vient-elle d’une lecture volontairement parcellaire ?

Avoir une lecture parcellaire de Smith, Schumpeter, Ricardo ou Marx serait déjà une bonne chose aujourd’hui. En réalité, ils sont cités mais personne ne les lit vraiment. Il est possible d’être Bac+5 en économie et de n'avoir jamais lu leurs écrits aujourd’hui.

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Ils ont néanmoins été étudiés ou lus de manière parcellaire, en fonction des goûts et des modes. Mais en réalité, on essaie d’appliquer leurs principes de façon encore plus parcellaire.  

Le problème ne vient pas de là en réalité. Le problème vient du fait que la mondialisation, telle qu’elle avance depuis une trentaine d’années, fait des gagnants et des perdants.

Mais les liens qui permettent de rembourser les perdants avec les gains exorbitants des gagnants n’ont pas bien été mis en pratique. Cela génère beaucoup de frustration. Il y a aussi un problème de pédagogie. Les gains pour l’ensemble de la collectivité n’ont pas été assez présentés et expliqués. On oublie par exemple que nous devons beaucoup de choses aux travailleurs chinois. Comme il n’y a pas d’explications sur ce que l’on doit au travailleur chinois, on pense que le seul effet du travailleur chinois est de nous prendre notre travail. Quand une paire de lunettes arrive dans le port du Havre, elle est factuée à 1 euros par la Chine. Elle a été fabriquée, agencée et transportée. Elle sera en revanche vendue 80 euros par un détaillant français qui va faire une marge importante, tout comme l’Etat et le travailleur français. Toutes ces personnes vont pouvoir bénéficier de cette marge colossale sur le dos du travailleur chinois. On bénéficie de 1,4 milliards de Chinois, quasi-esclavagisés, depuis trente ans et que l’on ne rémunère quasiment pas. Et on se permet en plus de trouver que le système est injuste, qu’il n’est pas à notre avantage. Il faudrait donc expliquer l’ensemble des paramètres. Nous n’aurions pas cette vision d’injustice. Avec les gains gigantesques de bien-être pour le consommateur occidental que l’on a grâce à la mondialisation, il serait possible de largement indemniser les quelques travailleurs qui perdent leurs postes dans une aciérie française concurrencée par un site en Chine. Il serait possible de leur distribuer des subventions plus que conséquentes.

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La mondialisation peut-elle être "améliorée" ?

Si nous ne le faisons pas, cela s’explique autrement. Il s’agit d’un problème domestique, de manque d’imagination sur le plan fiscal notamment.

Le problème ne vient pas des Chinois. Le travailleur chinois a joué sa partition. Il s’est inséré progressivement dans les échanges. Il s’est occupé des produits à faible valeur ajoutée. Il intervient souvent au stade d’assemblage. La valeur est plutôt en amont ou en aval et est en réalité trustée par les Occidentaux.    

Il faut donc s’organiser différemment pour mieux gérer les conséquences en interne de la mondialisation.

Faut-il sauver le capitalisme de la mondialisation ?

Il y a de très forts liens entre l’un et l’autre. En cas de démondialisation, l’entrave au capitalisme serait très forte. L’idée d’un capitalisme plus national me paraît fort douteuse.

Il faut se rendre compte que la mondialisation et le progrès technique sont analogues. Ils partagent les mêmes causes et les mêmes effets.

Si vous portez atteinte à la mondialisation, vous portez atteinte au progrès technique. En imposant une entrave, elle a tendance à perdurer dans le temps. Les personnes qui bénéficient de ces entraves, de rentes liées aux limites que l’on porte au progrès technique ou à la mondialisation, vont s’arranger pour que ces entraves puissent avoir un effet sur le temps long. Les barrières aux échanges sont une des tentations actuelles. Le dernier exemple en date concerne les normes environnementales. Cela est assez surréaliste mais il s’agit d’une manière de faire du protectionnisme et qui est plus acceptable médiatiquement alors qu’il s’agit d’une très mauvaise idée et qui coûte très cher. Depuis quelques années, avec les chocs d’offre comme la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine, nous sommes tellement habitués au zéro défaut, zéro stock, zéro délai que cela entraîne très rapidement des difficultés et des conséquences en cascade dès qu’il y a le moindre petit accroc à la mondialisation.    

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Je ne pense pas que l’on puisse démondialiser. Il est néanmoins possible d’organiser les choses différemment en amont et en aval, sur le plan de la formation ou en s’inspirant de pays qui ont une bien meilleure insertion dans les échanges comme les modèles suisse ou scandinave.   

Pourquoi est-ce important de le faire rapidement ? Quelles conséquences cela aurait sinon ?

Un certain nombre de personnes sont tentées par le populisme en Occident, à droite comme à gauche et même au centre. La seule façon de contrer cette montée, c’est de recourir à de la redistribution d’argent afin d’obtenir la paix sociale et pour permettre au système de tenir. A partir de là, il faut voir toute modification économique à l’aune de cette nécessité que l’on a d’avoir de la croissance, du surplus et des ressources pour faire face aux dettes gigantesques qui ont été accumulées et que nous sommes en train de creuser parce qu’il faut financer le vieillissement de la population, les dépenses face à la crise sanitaire ou bien encore demain le réarmement face à la Russie et la transition énergétique pour l’avenir. Il faut donc des ressources. On ne les trouvera pas en se repliant et en restant isolé. Toute pratique qui ne sera pas une pratique de maximisation des surplus et de maximisation de la croissance va se payer très cher. Il y aura de moins en moins de croissance alors que nous allons en avoir besoin de plus en plus. Nous sommes dans une situation où nous en avons cruellement besoin.

Il y a d’autres techniques, notamment la croissance nominale. Il est possible de changer l’objectif de la Banque centrale européenne avec 4% d’inflation. Cela pourrait résoudre une petite partie du problème.

Des mesures d’adaptation, plus structurelles, pourraient aussi être prises. Il serait possible de mieux s’insérer dans les échanges.

Il faudrait surtout arrêter de prendre les Chinois pour nos ennemis. Si nous avions conscience des ordres de grandeur, la situation pourrait s’alléger. Il est important d’arrêter de se tirer des balles dans le pied sur le plan monétaire. L’euro nous fait très mal. Nous sommes déjà en manque de flexibilité en Europe, mais nous avons ajouté une monnaie très fixiste. Certaines mesures devraient nous permettre de mieux s’insérer dans les échanges.

La Chine, elle, monte en gamme. Lorsque l’on voit les classements de type PISA, de Shanghai, on constate que le capital humain s’accumule surtout en Asie. Dans 20 ou 30 ans, il sera difficile d’expliquer que l’on se réserve la partie la plus sympathique de la chaîne de valeur et que les autres devront se limiter aux chaînes de montage. Il est possible de se tourner vers le capital humain, de mieux former les gens, d’avoir plus d’exigence sur le recrutement des enseignants. Cela requiert sans doute d’autres politiques publiques comme une culture de l’évaluation et peut être la nécessité d'arrêter de penser que les gens sont dans une grille tarifaire, dans une nomenclature comptable et que leur salaire évolue uniquement à l’ancienneté. Peut-être faudra-t-il, dans la fonction publique et dans le secteur privé, revenir à des pratiques plus motivantes, plus responsabilisantes. Lorsque Emmanuel Macron en parle, il s’agit essentiellement de défragmenter le service public. Il faut que ce soit un vrai donnant donnant. Il faut penser à des mesures d’incitations. Il faut expérimenter.

Si nous arrivons à réinventer notre Etat providence, à régénérer l’éducation alors il y aura une chance, surtout s’il n’y a plus l’euro, d’avoir une meilleure insertion dans les échanges. Espérons qu’on arrêtera de toujours accuser les autres et notamment les Chinois. J’ai peur que l’on n’aille pas assez vite et que la logique naturelle soit celle de blâmer les autres.

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