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Deux professeurs de Sciences Po Grenoble ont été ciblés par des accusations injustifiées d'islamophobie. Les noms de deux professeurs accusés ont été placardés sur les murs de l'IEP.
Deux professeurs de Sciences Po Grenoble ont été ciblés par des accusations injustifiées d'islamophobie. Les noms de deux professeurs accusés ont été placardés sur les murs de l'IEP.
©DR / Capture d'écran Twitter

Dictature du bâillon

Même si la mise à l’index de deux professeurs de Sciences Po Grenoble par l’Unef sur le fondement d’accusations injustifiées d’islamophobie a soulevé une vague d’indignation, la pression de l’idéologie des progressistes néo-identitaires va grandissante. De Raymond Aron à Raymond Boudon, voilà ce que la sociologie politique peut nous apprendre des recettes qui permettent à une minorité d’imposer ses vues à la majorité.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : À l'entrée de Sciences Po Grenoble, les noms de deux professeurs accusés d'islamophobie ont été placardés. Jetés en pâture sur les réseaux sociaux, le nom des deux enseignants a aussi été publié par certains syndicats étudiants. À Conflans-Sainte-Honorine, l’affaire Samuel Paty prend un nouveau tournant. La collégienne à l’origine de la vidéo d’islamophobie revient sur ses accusations et avoue avoir menti. À Grenoble comme à Conflans-Sainte-Honorine, on observe que l’administration et l’opinion publique sont plus enclines à ne pas faire de vagues lorsque sont mises en avant des accusations d'islamophobie. Pourquoi la parole d’un "camp du bien" combattant la haine des musulmans effraie-t-elle autant les détenteurs de la légitimité institutionnelle ? À la lumière de la théorie de la démocratie de Raymond Boudon, peut-on parler d’une défaite du "bon sens" face à des minorités se revendiquant de la vérité ?

Michel Maffesoli : Il convient, tout d’abord, de mettre en perspective. Savoir aller à l’essentiel. En la matière rappeler que nous vivons un changement d’époque : la modernité s’achève. Et les valeurs qui étaient les siennes prennent l’eau de toutes parts. Entre deux époques, celle qui s’achève et celle qui émerge, il y a toujours une période ( quelques décennies ) où l’on vit, dans la crainte et le tremblement, la décadence en cours, de plus en plus évidente et une renaissance que l’on ne sait pas encore bien discerner.

En 1988 j’avais fait paraître un livre, Le Temps des tribus (4e édition, La Table ronde, 2019) qui entendait rendre attentif à un changement d’importance de l’organisation sociale : l’individu était depuis le 18e siècle considéré comme « autonome », non déterminé par une appartenance à une communauté, une corporation, une collectivité locale et était lié aux autres individus de sa Nation par le contrat social. Or on constate, dès la fin du siècle dernier, un changement d’importance : un retour de l’idéal communautaire, c’est-à-dire que de plus en plus les appartenances religieuses, ethniques, territoriales, mais aussi les goûts musicaux, artistiques, les passions sportives définissent ce que j’appelle une hétéronomie. C’est l’autre, les autres, ceux de ma tribu, de mes tribus qui vont définir les règles auxquelles j’obéis, les passions que je partage, les goûts que je mets en scène. Les sociétés pré-modernes, en particulier la société médiévale s’étaient construites sur un tel idéal communautaire : les monastères, les confréries, les corporations, les seigneuries, les villages constituaient ces communautés, enchassées les unes dans les autres pour former la Nation. Mais la révolution française, notamment, a conduit à interdire tout regroupement communautaire et la démocratie s’est effectivement construite sur le contrat social liant juridiquement des individus autonomes et déliés de toute appartenance communautaire.

On constate maintenant une efflorescence de ces communautés, ce que j’ai appelé les « tribus postmodernes » : les tribus rassemblant les fans de tel ou tel groupe de musique, de telle ou telle tendance de la mode, de tel ou tel club de foot en sont les exemples les plus frappants, d’ailleurs les publicitaires et hommes du marketing ne s’y sont pas trompés, qui utilisent cette notion de tribu depuis longtemps.

Il se trouve que dans ce vaste mouvement de retour à des identifications (plutôt que des identités figées, il y a dans les appartenances tribales un jeu de rôles qui tient des identifications multiples plutôt que des identités stables) communautaires, les religions et particulièrement les religions minoritaires ou non européennes jouent un rôle de plus en plus prégnant.

Dès lors l’islam, le judaïsme ainsi que les diverses dénominations longtemps minoritaires dans l’Eglise protestante, voire les mouvements charismatiques ou traditionnalistes catholiques sont pris dans ce mouvement de différenciation.

Les monothéismes conduisent souvent ces communautés à une construction identitaire exclusive et ce qu’on appelle « la diversité », c’est-à-dire la lutte contre l’islamophobie, l’homophobie, la misogynie, voire le racisme transforme, paradoxalement ces identifications en identités figées.  L’affirmation de ces identités se fait souvent au travers d’une agression plus ou moins violente des autres communautés. Les guerres de religions en étaient un bon exemple et la guerre de Trente ans a causé des  millions de morts en Europe.

Il me semble que ce qu’on appelle la « cancel culture » s’inscrit dans ce processus d’affirmation d’une identification à une communauté au travers de l’agression de la communauté qu’on estime dominante. D’autant que d’un autre côté nombre de personnes s’identifiant à d’autres communautés, « Français de souche », « chrétiens », Européens », Blancs etc. répondent à ce sentiment d’agression par un rejet communautaire. En ces période de transition, où l’on a du mal avec la réémergence de l’altérite, la tendance naturelle est d’essayer d’annuler celle-ci.

Face à ce qui est en quelque sorte une guerre tribale, il me semble que le déni de cette évolution du monde ne peut que renforcer la violence. Il faut trouver des moyens de ritualiser ces combats, de les « mettre en scène » plutôt que de les dénier ou de les stigmatiser. Il est frappant de voir que à Sciences-Pô Grenoble, c’est à l’occasion d’une semaine consacrée à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie que ces deux professeurs ont été dénoncés.

Là où le modèle républicain tente de gommer les différences, celles-ci sont revendiquées, soit par ceux qui tentent de défendre leur identité blanche, chrétienne, européenne, soit par ceux qui au nom de la lutte des classes veulent substituer une domination à une autre.

On le constate de divers côtés, l’abstention, les mouvements de soulèvements, les violences de rue, la démocratie est à la peine. À cet égard l’œuvre de Raymond Boudon est d’un grand intérêt. N’oublions pas le conflit théorique qu’il mena contre Bourdieu. Or le « bourdivisme » est le terreau où prospère l’idéologie de la diversité, dont « l’islamo-gauchisme » est un des avatars. Le « camp du bien », celui de la gauche ayant perdu son sauveur : le « prolétariat », en cherche un autre. En la matière un Islam censément opprimé, stigmatisé, qui va leur servir d’instrument pour perdurer dans l’être, c’est-à-dire le combat d’une minorité active contre les dominants.

La réflexion de Boudon peut permettre de relativiser cette instrumentalisation d’un Islam « aliéné » ! Pour ne prendre qu’un aspect de son propos, il convient de rappeler que nous partagions, Raymond Boudon et moi-même, l’intérêt pour l’œuvre du sociologue Georg Simmel. Je me souviens des nombreuses discussion que nous eûmes, en Sorbonne, sur cet auteur. En particulier sur un point essentiel souligné par cet auteur : la belle métaphore du « pont et de la porte » ( Brücke und Tür). La société reposant sur le pont qui unit et la porte qui ferme. Tout l’art des grandes civilisations étant de trouver un compromis entre ces deux attitudes. En bref arriver à ce que j’ai appelé une « harmonie conflictuelle ». Ce que la bien-pensance actuelle s’emploie à dénier. La « cancel culture » en étant la forme achevée !

Bertrand Vergely : Beaucoup de choses expliquent l’attitude extrêmement favorable des autorités actuelles à l’égard de ce que l’on peut appeler le camp du Bien.

Dans les milieux universitaires, lycéens et scolaires, la politique du « pas de vague » existe depuis longtemps. Désarçonnée par les questions sociétales et leur virulence, l’administration veut avant tout ne pas s’occuper de ces  questions et se consacrer uniquement à ses tâches administratives.

Par ailleurs, le camp du Bien constitue un lobby extrêmement puissant  puisque ses racines plongent dans le pouvoir politique au plus haut niveau, dans les assemblées, ainsi que dans les pouvoirs médiatiques, culturels et universitaires avant de se ramifier  dans les réseaux sociaux.  La récente mise en cause de l’islamo-gauchisme dans les milieux de la recherche universitaire par le ministre de l’Éducation ainsi que par la ministre de la recherche a montré la capacité de réaction du camp du Bien.

Enfin, il y a la question de la jeunesse. Passionnée par nature, celle-ci est prête à s’enflammer. Pour les autorités, gare aux incendies ! Pour cela, règle numéro : éviter avant tout que la jeunesse s’enflamme.

Mettons bout à bout le désir de la part de l’administration de ne surtout pas rentrer dans le marécage des discussions sociétales à n’en plus finir, la puissance du camp du Bien et enfin le caractère hautement inflammable de la jeunesse, on a là les raisons qui expliquent le recul des autorités devant le camp du Bien. En partie du moins, le comportement du camp du Bien expliquant bien des choses également.

Quand la Révolution Française est apparue à la fin du 18ème siècle, afin de changer le monde, celle-ci a mis en place une politique consistant à guillotiner les nobles et les prêtres en appelant cette politique du nom de Terreur. Il s’agissait alors de protéger les Lumières contre les ténèbres. Cette politique contraire aux droits de l’Homme montre que, dès son apparition,  la Révolution Française s’est construite sur un mensonge. Liberté, oui, mais comme le disait saint Just « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! ».

Quand on ment et que l’on sait que l’on ment, pour cacher son mensonge, on ment encore plus. Quand on ment en sachant que l’on ment, il y a une chose que l’on ne supporte pas : être dénoncé comme menteur. D’où le passage à la violence.

La Révolution Française s’est lancée dans la terreur, pourquoi ? Parce que sachant qu’elle mentait en bafouant les droits de l’Homme et ne voulant pas être dénoncée comme étant un mensonge, elle a protégé son mensonge en tuant ceux et celles qui disaient la vérité.

La violence s’accompagne toujours d’un mensonge, souligne René Girard. L’inverse est vrai. Le mensonge s’accompagne toujours de violence.

Depuis leur apparition, toutes les révolutions ont du sang sur les mains. Toutes les révolutions bafouent la justice au nom de la justice, la liberté au nom de la liberté et la vérité au nom de la vérité. Quand on le leur fait remarquer, les révolutions tuent. Aujourd’hui, cette imposture continue.

La question de l’islamophobie en général et de ce qui se passe à Science Po Grenoble en est une illustration. En 2015, quand les attentats contre Charlie hebdo et contre le Bataclan, le gauchisme intellectuel, idéologique et médiatique est bien embarrassé. Le musulman incarne depuis longtemps l’opprimé. Or, il y a des musulmans qui deviennent des oppresseurs. Que faire ? Engager une réflexion critique sur l’Islam ? Pas question. Ce serait faire le jeu de l’adversaire. Il ne reste alors qu’une solution : étouffer la question du terrorisme islamiste en criant haut et fort que le véritable problème de la violence qui a cours vient non pas de l’Islam mais de la haine contre l’Islam.

Lorsque Mohammed Mera a commis ses meurtres à Toulouse en 2012, pour couvrir sa violence certains commentaires n’ont pas hésité à dire que la France n’avait que ce qu’elle méritait. Elle avait qu’à ne pas coloniser l’Algérie. Lors des attentats contre Charlie hebdo et le Bataclan on a eu droit au même refrain. La France n’a que ce qu’elle mérite. Elle a qu’a ne pas être raciste.

À l’époque, lors de la manifestation en soutien à Charlie hebdo, très habilement le camp du Bien avait transformé le sens de cette manifestation en lançant comme « débat » : « Non au fait d’aller manifester avec Marine Le Pen ». En faisant passer la manifestation de soutien à Charlie pour une manifestation d’extrême droite, il devenait possible de sauver l’image du musulman opprimé. Commentant cette manifestation,  un sociologue connu n’avait pas hésité à la qualifier de manifestation de « haine contre l’Islam ».

Depuis dix ans en France, pour protéger ses intérêts idéologiques le gauchisme culturel empêche qu’il y ait une critique du terrorisme. Faisant le jeu de la violence et ne voulant pas être dénoncé, pour se protéger, il crie sans arrêt  à l’islamophobie. Avec ce qui est en train de se passer à Grenoble, les choses ont pris une nouvelle tournure.

Suivant l’exemple donné aux États Unis par la culture de l’annulation la cancel culture,   le camp du Bien a décidé d’exiger l’exclusion immédiate de tout professeur jugé suspect, d’agresser physiquement ces professeurs et de les lyncher sur les réseaux sociaux. Menacés de mort, les deux professeurs de Science Po Grenoble qui ont commis le crime de demander si on pouvait mettre dans la même catégorie l’antisémitisme qui a conduit à la Shoah et l’islamophobie sont obligés aujourd’hui d’être protégés par la police, leur vie étant en danger.

Le camp du Bien empêche depuis dix ans qu’un travail critique à l’égard du terrorisme et de la violence ait lieu. Il ment. Il sait qu’il ment. Mentant et sachant qu’il ment afin que cela ne se ache pas, il devient de plus en plus violent. Se voulant antifasciste, son comportement va au-delà du fascisme, en faisant penser sur un mode gauchisant au comportement de la horde sauvage de Trumpistes qui ont envahi le Capitol à Washington.  

Peut-on analyser cette peur de la condamnation, du bâillon de la cancel culture par la structure même de l’idéologie politique qui la sous-tend ? Une certaine lâcheté, peur de se voir considérée comme oppresseur ou opposant au bien, associée à la facilité et la rapidité de la dénonciation et de l’accusation sévissant actuellement est-elle irrémédiablement l’acte de décès de la démocratie ?    

Michel Maffesoli : Se souvenir que la « démocratie », c’est, en son origine, le pouvoir du peuple. Amusant de voir que très souvent les tenants de la soit-disant démocratie, sont très peu « démophiles » et, d’une manière lancinante parlent, dès le peuple s’exprime, serait-ce par son « abstention »,  de « populisme » !  Je ne sais pas si la démocratie est morte, en tout cas l’idéal démocratique (au sens où le définissait Hannah Arendt, c’est à dire le principe organisateur d’une société) est bien affaibli et je le redis, lui succède l’idéal communautaire. C’est à dire que la République (Res publica : la chose commune) se conçoit de plus en plus non pas comme un ensemble d’individus autonomes, mais comme une mosaïque de communautés. Pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur aussi, quand on voit les initiatives solidaires, les associations formelles et informelles, locales et internationales, les regroupements festifs, le développement d’une économie sociale collaborative. Pour le pire quand on voit la guerre de tous contre tous.

Bien sûr il faut que l’Etat accomplisse son devoir de garant de l’ordre public, notamment en défendant ses serviteurs contre de telles agressions. Le professeur de collège menacé doit être protégé comme les professeurs d’université.

Mais, au contraire de ce que disait un ex premier-ministre, comprendre un phénomène n’est pas l’excuser.

Il y a face à ces revendications identitaires plusieurs stratégies possibles. Celle de la fermeté face aux actes de violence est nécessaire et devrait être revendiquée sans honte. Mais la fermeté n’est pas la rigidité. Plutôt que de répondre à des revendications identitaires par des affirmations identitaires, souvent abstraites (les principes de la République), je crois qu’il faut au contraire favoriser l’expression du plus grand nombre de communautés possibles. Plutôt que d’opposer au monothéisme islamiste un monothéisme laïciste, il faut enrichir le débat sur les multiples formes que peut revêtir la « nostalgie du sacré ». (Michel Maffesoli, La Nostalgie du sacré, Cerf, 2020). C’est parce que le « laÏcisme » du rationalisme moderne n’a pas su « homéopathiser le sacré, le ritualiser que l’on peut voir se développer des fformes perverses tel  le fanatisme islamiste.

Je ne suis pas naïf et je sais bien qu’il y a dans ces mouvements anti-islamophobes une pulsion conquérante et un appétit de pouvoir politique. Mais justement, plutôt que de riposter sur le même front, celui du pouvoir, pourquoi ne pas se déporter du côté de la puissance, de cette volonté de trouver, retrouver des formes communes à une quête anthropologique du sacré. Mais sous des formes plurielles d’identifications multiples plutôt que sous des formes d’identités politico-religieuses.

Plutôt que d’opposer une Vérité à une autre Vérité, pourquoi ne pas apprendre à se diriger dans une « constellation alétheiologique ». (un ensemble de vérités mises en relations les unes avec les autres).

Bertrand Vergely : Le politiquement correct et aujourd’hui ce que l’on appelle la cancel culture ont compris une chose. Pour avoir le pouvoir, il n’y a qu’un moyen à part la violence : la culpabilité.

Il y a en tout être humain un enfant qui a peur d’être culpabilisé. Résultat : pour ne pas être culpabilisé, l’enfant qui a peur qu’on le culpabilise va tout faire pour plaire au culpabilisateur. Il va notamment s’empresser de répéter son discours en disant ce que celui-ci a envie d’entendre. Dans les medias, cette pratique est flagrante.

Quand un adolescent veut prendre le pouvoir sur sa famille, il ne dit plus bonjour, au revoir et merci. Il fait la « gueule ». Ne sachant quoi faire et quoi dire, la famille se culpabilise. Qu’a-t-elle donc fait. Elle a certainement dû mal faire. Sinon, l’ado ne ferait pas cette tête-là. La famille demandant pardon pour des fautes qu’elle n’a pas commises, s’excusant pour des manquements imaginaires, se couchant devant l’ado, celui-ci triomphe. Il a eu ce qu’il voulait. Dans les medias, il en va de même.

Il est question aujourd’hui de la loi climat qui va être débattue au parlement. Un journaliste interroge un député écologiste. Dans cette loi, il y a de bonnes propositions de la part du gouvernement, souligne le journaliste. Pour ne pas le reconnaître, le député écologique trouve une esquive. Ces propositions ne peuvent  pas être bonnes. Elle ne vont pas assez vite ni assez loin. Que ce soit de la part des écologistes, des antiracistes et des féministes, cette attitude est très à la mode aujourd’hui. Le gouvernement accède à leurs demandes et fait les lois qu’ils proposent. Ce sont leurs idées qui triomphent. Ça ne suffit pas. Ça ne va pas assez loin ni assez fort. En n’étant jamais content, on maintient la pression. On garde surtout le contrôle de la culpabilité et de l’accusation. Résultat : cela marche à tous les coups. Ce qui est logique. Quand un accusateur accuse, forcément celui qui est accusé n’aime pas l’accusateur. Comme il ne l’aime pas, l’accusateur n’a pas beaucoup de difficulté à lui dire : « Vous voyez que j’avais raison de vous accuser. Vous ne m’aimez pas ». On nage dans la manipulation mentale en raison d’un climat de perversité banalisée.

On est lâche face à ce mécanisme. On a peur. On fuit. C’est normal. On est manipulé sans s’apercevoir qu’on l’est. La démocratie est en train de mourir ? Elle n’est pas en train de mourir. La démocratie, c’est aussi cela. La modernité a voulu le triomphe de l’opinion et son règne sans partage ? Elle a le triomphe de l’opinion ion et son règne sans partage. On rêve la démocratie. Arrêtons de rêver. Revenons sur terre.

Quels moyens pour combattre les guérilleros de la justice sociale ? 

Michel Maffesoli : Il y a très longtemps, une jeune psycho-sociologue avait fait une enquête sur le Front national, alors naissant (Anne Tristan, Au Front, Gallimard, 1987). Elle avait constaté que celui-ci, dans des quartiers ou des communes populaires avait pris la place du parti communiste et de l’Eglise, notamment en développant des actions solidaires, de l’entraide, de la convivialité locale.

Les guérilleros de la justice sociale attireront toujours les jeunes gens à la dérive, sans racines et sans ancrage local, ces jeunes gens élevés sans mythes et sans règles de vie quotidienne.

Il est certain que l’enseignement républicain doit être plutôt un apprentissage de vérités plurielles et une initiation à l’acceptation des contradictions que l’énoncé de dogmes uniques. Il serait sans aucun doute plus opérant de développer les enseignements et les débats sur les différentes religions et leurs évolutions au cours des siècles plutôt que de se focaliser sur la « défense des minorités religieuses ou ethniques ». Nombre de jeunes islamistes ont une connaissance totalement réduite et de l’Islam et du Christianisme ou du Judaïsme, sans parler des religions non monothéistes. La liberté d’expression peut s’énoncer comme contribution à la connaissance des diverses croyances plutôt que comme critique des croyances.

Il faut là encore ne pas oublier, leit-motiv de mes analyses, que la « fin d’un monde n’est pas la fin du monde ». Il convient donc d’accompagner le changement plutôt que de le dénier. Ce qui nécessite un effort de penser. Oublier ces mantras récités jusqu’à plus soif : valeurs républicaines, laïcité, contrat social, progressisme et autres incantations de la même eau.

« Mal nommer les choses contribue au malheur du monde » (Camus). Il convient donc de trouver les mots en pertinence avec le temps. Ce qu’a du mal à faire une élite, médiatico-politique, en faillite ! Le vrai travail de la pensée est de renouer, au-delà des oukases et des attitudes inquisitrices, avec la « disputatio » universitaire d’antique mémoire. Seule la pensée libre peut permettre de savoir voir et de comprendre la postmodernité en gestation.

Bertrand Vergely : Il importe d’abord de se protéger. On se protège en fuyant le politiquement correct et les discussions « foireuses »  dans lesquels il cherche à enfermer tous ceux qui tombent dans le piège consistant à discuter. Quand on a affaire à un pervers, ne pensons pas que l’on pourra discuter avec lui et l’emporter. Comme c’est un pervers, il est habile. Comme il est habile, il trouvera toujours le moyen d’embobiner.

Si l’on est amené à devoir discuter, surtout en dire le moins possible. Surtout, laisser parler et, en le laissant parler, le laisser s’enferrer tout seul dans ses contradictions.  

Enfin, si on le peut, dès les premiers mots donnant à penser que votre interlocuteur est un adepte de la cancel culture et du politiquement correct, annoncer clairement et fermement que vous n’êtes pas dupe. Votre interlocuteur a décidé de vous enfermer dans son discours.  Vous n’avez nullement l’intention de vous laisser faire et donc  la discussion s’arrêtera là. Quand vous verrez la tête que fera votre interlocuteur parce que vous lui aurez dit clairement et en face qu’il est démasqué, vous ne regretterez pas d’avoir su attendre pour parler et de parler brièvement et fermement. Le pervers n’aime rien moins que de s’entendre dire qu’il est un pervers et que l’on ne rentrera pas dans son jeu.

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