2020 a-t-elle marqué le reflux définitif de la vague conservatrice? <!-- --> | Atlantico.fr
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conservateurs 2020 2021 Donald Trump Boris Johnson Brexit Royaume-Uni covid-19 pandémie coronavirus
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©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Hughenden, 

Le 4 janvier 2020. 

Le Brexit comme liberté de décider des pires erreurs par soi-même? 

Mon cher ami, 

Je finis de vous écrire alors que Boris vient d’annoncer un troisième confinement. Je ne l’ai même pas écouté. Comment peut-on ainsi gâcher, annuler, ce qu’on vient d’obtenir? La Grande-Bretagne est enfin libre de prendre son destin en mains sans avoir à suivre l’avis du continent; et Boris en profite pour persévérer dans la politique absurde qu’est le confinement. Que disent, depuis des mois, les chiffres de l’épidémie - en comparaison internationale? Que notre système de santé publique est délabré; que nos premiers ministres successifs se sont payés de mots depuis des années et n’ont pas investi suffisamment dans les soins, tout en laissant proliférer la bureaucratie. C’est un point sur lequel nous vous ressemblons beaucoup. La réponse n’était certainement pas le confinement.  La comparaison entre les différents pays montre que les confinements ont tendance à causer plus de cas contagieux et au bout du compte plus d’hospitalisations. Il n’y a rien de plus désastreux que de mettre une population en pleine vitalité au repos forcé; il n’y a rien de pire que d’isoler des personnes âgées qui ont plus que d’autres besoin de contacts sociaux. 

Après tout, me direz-vous: vous avez reconquis votre liberté; vous êtes libres de faire n’importe quoi. C’est la grandeur de la souveraineté nationale: les gouvernants sont comptables de leurs actions devant le corps électoral. Vous avez raison sur le principe mais je voudrais, mon cher ami, vous faire remarquer, si vous le voulez bien, que ce qui se joue en l’occurrence, ne concerne pas seulement la souveraineté du Parlement britannique. 

Cet espoir fugitif d’un abandon des politiques progressistes

Le Brexit, le refus d’un certain nombre de conservateurs de voter l’accord négocié par Theresa May, la magnifique victoire de Boris Johnson aux élections de décembre 2019, tout cela convergeait vers un renforcement des conservateurs en Occident. Eh bien, un an plus tard, nous sommes en pleine déroute, du point de vue des mêmes conservateurs. Boris en est à son troisième confinement, selon une politique qui est celle imaginée par les grandes institutions supranationales, loin de la volonté des peuples; Boris, toujours lui, a lâché Trump, contre toutes les preuves de fraude électorale aux USA - et contre tout ce que Donald Trump a fait pour soutenir la Grande-Bretagne face à l’Union Européenne, dans les difficiles années May. Boris ne veut pas voir que les Démocrates, aux Etats-Unis, et tout l’establishment avec eux, se comportent exactement comme les « Remainers »: ils veulent priver les électeurs américains de leur vote comme l’alliance objective de la haute fonction publique britannique et de la Commission européenne, soutenus par tous ceux que David Goodhart appelle les « Anywheres », a essayé, durant trois longues années, d’inverser le vote du Brexit. A partir de 1980, Ronald Reagan et Margaret Thatcher se sont soutenus mutuellement pour faire gagner la révolution du libéral-conservatisme.  Aujourd’hui, nos premiers ministres, Theresa May puis Boris Johnson, ont refusé de faire équipe avec Trump. Theresa n’était pas mauvaise fille; au fond, je préfère son application de bonne élève au dilettantisme de Bojo. Notre Premier ministre aurait pu entrer dans l’histoire pour de bonnes raisons; il finira comme un intermède. La manière dont il joue contre les intérêts fondamentaux du conservatisme occidental est fatale. J’aurais pu lui pardonner ses foucades écologistes. Mais son ralliement aux absurdités sanitaires internationales, son absence de lucidité sur le danger chinois, sa trahison de Donald Trump, tout cela signifie que les progressistes auront juste eu un petit coup de frayeur, rien de plus. La désertion de Boris un coup très dur qui a été porté au conservatisme en général car seuls les pays anglophones ont développé un conservatisme complet, démocratique. A présent, il ne reste plus que le courageux bastion des démocraties centre-européennes: Pologne, Hongrie, Tchéquie. 

2020 a vu la reprise en main de la politique mondiale par les progressistes 

2020 aura donc permis aux progressistes de reprendre la main. Le virus de Wuhan a été le prétexte d’une démonstration de force de la Chine, qui s’est arrangée pour peser sur le choix des nations affrontant une épidémie d’intensité très moyenne mais contre laquelle on a cru que le confinement « à la chinoise » était la meilleure parade. Pauvres naïfs: vous n’avez donc regardé aucune image de ces familles chinoises littéralement clouées chez elles et affamées, au nom de la lutte contre le COVID 19? Comment pouvez-vous croire plus que vingt secondes aux statistiques truquées du gouvernement chinois. Très vite, au printemps, sous la mauvaise influence chinoise, les libertés ont reculé partout en Occident: pensez que, chez vous, le confinement a commencé une semaine avant que le parlement ne le vote, en mars dernier; que l’on a limité la liberté de prescription des médecins; que votre gouvernement fait tout pour faire passer, par ruse, la vaccination obligatoire et espère bien avoir raison de votre société à l’usure. Pensez à la manière dont on a commencé à parler, chez vous ou en Italie, de « commerce non essentiel », en retombant dans les pires travers de l’économie planifiée; comme si c’était une administration et non le marché ou l’offre d’emplois qui décidaient ce qu’est une activité indispensable. Lorsque je vois, mon cher ami, la facilité avec laquelle le peuple britannique a été assigné à résidences trois fois de suite en moins d’un an, je me demande ce qu’il adviendra de nos libertés d’ici quelques années. 

Sans doute le mal vient-il de plus loin. Votre Sarkozy avait toutes les raisons d’être réélu par la mise en oeuvre de son programme, entre 2007 et 2012. Et pourtant, il a eu peur quand il s’est agi de mettre en oeuvre son programme de contrôle de l’immigration et de rétablissement de l’ordre public. Regardez aussi la manière dont François Fillon a été brisé, en quelques jours, en 2017, par un establishment qui lui reprochait d’être anti-muslman et pro-russe. Regardez aussi comme l’Eglise revigorée par Saint Jean-Paul II a déraillé: Benoît XVI, authentique conservateur élu en 2005, a été de plus en plus isolé et il a fini par démissionner, en 2013, étant insuffisamment politique pour contrer l’offensive des progressistes au sein de l’Eglise. Rien ne disait mieux la défaite du conservatisme que ce vieil homme solitaire sur la place Saint Pierre, le pape François, en pleine crise du COVID 19 au printemps dernier, lui qui a perdu tous les bataillons de ses prédécesseurs et se retrouvait à brandir un ostensoir devant une place déserte. 

Des électeurs orphelins parce que nos politiques trouvent la nation étriquée et ennuyeuse

La vague conservatrice de la décennie écoulée a-t-elle connu un reflux définitif et prématuré? On se souviendra que l’inspiration libéral-conservatrice aux Etats-Unis n’a pas duré au-delà du second mandat de Reagan et a laissé la place à la brutalité « fasciste » des clans Bush et Clinton, à partir des années 1990. De même, Margaret Thatcher a été chassée du pouvoir en 1990 par son propre parti, qui en avait assez de la limitation de l’ambition conservatrice à la seule souveraineté nationale; nous sommes entrés alors dans une génération d’errance européiste. En l’occurrence, on remarque que des politiques qui pensent dans le cadre national ont du mal à s’imposer naturellement contre l’immense coalition des intérêts supranationaux. La nation est trop petite pour notre classe politique paresseuse, vaniteuse et corrompue. Nos dirigeants préfèrent se retrouver entre eux dans des séminaires internationaux plutôt que croiser leurs électeurs. Ils préfèrent recevoir le pourboire que les membres de la « superclasse », les vrais puissants de ce monde, laissent au portier de l’hôtel, plutôt que d’être les héros du peuple. Il y a aujourd’hui un tel argent concentré entre les mains des puissants de ce monde, il y a tant de faveurs sexuelles distribuées ici ou là, il y a tant de postes de technocrates à pourvoir dans ces organisations intyernationales aux effectifs aussi prolifiques qu’inutiles que, cette fois-ci, le reflux du conservatisme est beaucoup plus brutal que voici trente ans. 

Il se peut que, du fait de la puissance du cartel des fraudes - parti démocrate, plateformes de réseaux sociaux, médias mainstream, grandes entreprises - Trump ne puisse pas faire valoir son bon droit et doive se contenter d’un mandat malgré sa réélection de facto. Il n’aura pas ce qu’il méritait encore plus que Reagan - car il a dû s’imposer dans un milieu encore plus hostile que l’ancien gouverneur de Californie  - ce deuxième mandat qui permet de pousser au bout les politiques qu’on entreprend. Quant à Downing Street, c’est notre fantasque Boris qui se sera neutralise lui-même au bout de moins d’un an, sans avoir eu à subir l’ire de son parti, à la différence de Maragaret Thatcher. Privé d’alliance transatlantique, le conservatisme est naturellement très affaibli en Europe. L’Union Européenne va pouvoir continuer à vivre en dehors des réalités. La récession économique va durer. Et nous aurons un certain nombre d’esprits moyennement qualifiés pour expliquer que le monde manque de cette « grande réinitialisation » dont on parle au Forum de Davos. 

Mon cher ami, je ne veux pas vous paraître exagérément pessimiste. Il n’est pascomplètement exclus que Trump fasse largement accepter la réalité de la fraude dans les dix jours qui viennent. On peut imaginer un mouvement de défense des libertés qui secoue le parti conservateur britannique dans les mois qui viennent. Pourquoi serions-nous condamnés à un second tour Macron-Marine Le Pen chez vous? Il suffit que l’un des deux chute pour que l’autre devienne superflu et doive céder la place à d’autres candidats. Pourquoi n’aurions-nous pas la bonne surprise d’une candidature vraiment conservatrice en France? Ne perdons pas espoir. Mais actuellement, le plus probable, est le retour des progressistes et des gauchistes aux manettes à la Maison Blanche, le lent enlisement de la société britannique dans l’immobile absurdité sanitaire alors que le Brexit pouvait être une renaissance, le renforcement du conformisme étouffant de l’Union Européenne et une immense offensive diplomatique et financière de la Chine. 

Je vous souhaite pourtant sans ironie une très bonne année 2021

Bien fidèlement

Benjamin Disraeli

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