Panne de rêve : la voiture sans chauffeur de Google pourrait bien ne jamais voir le jour<!-- --> | Atlantico.fr
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La voiture sans conducteur est le nouveau chouchou des constructeurs.
La voiture sans conducteur est le nouveau chouchou des constructeurs.
©Reuters

Minute Tech

La voiture sans conducteur est le nouveau chouchou des constructeurs. Il n'en est pas un qui n'ait annoncé sa sortie prochaine. Même Google s'en mêle, souhaitant démontrer la suprématie de son système de cartographie hyper précis. Mais pour atteindre un tel niveau de fiabilité dans l'automatisme, les obstacles sont nombreux et les coûts encore exorbitants.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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2014 a vu soudain apparaître une nouvelle tendance technologique : la voiture sans conducteur.

Il n’est pas de constructeurs qui n’aient annoncé, dans une surprenante surenchère, qu’ils allaient mettre « prochainement » sur le marché une voiture qui pourrait rouler sans que son conducteur ne se préoccupe de cette tâche désormais futile, conduire. Volvo, Daimler, Nissan, Ford, General Motors, Aussi, BMW, Tesla ont tous annoncé des dates probables de commercialisation, d’ici 5 à 10 ans, de ces véhicules autonomes ou semi-autonomes sans toutefois préciser l’ampleur du service rendu. Si le projet n’est pas nouveau, cette ruée vers ce concept est apparue comme une réponse des constructeurs automobiles établis aux ambitions de Google qui  prétendait pouvoir mettre sur le marché non seulement une voiture sans conducteur, mais aussi sans poste de conduite. Il est d’ailleurs bien curieux que, soudain, ceux qui exaltent et embellissent ce fameux plaisir de conduire, qui à lui seul déclencherait le désir d’achat du véhicule, nous promettent d’en être prochainement débarrassé en confiant à un automate le soin de s’acquitter de cette tâche.

Il faut toutefois questionner sérieusement l’intérêt de cette technologie en dépassant la fascination qu’elle inspire. Car après la valse des annonces, la réalité s’impose.

Les voitures modernes sont désormais très bien équipées en automatismes multiples qui assistent le conducteur dans sa tâche, qui dans les conditions réelles de circulation est à la fois complexe et fastidieuse, mais aussi fatigante et dangereuse. Il n’y a que dans les publicités que l’on voit une voiture filer sur une route dégagée et sèche dans un paysage somptueux et sans aucun trafic. La réalité quotidienne de la route est bien éloignée de ces images du « plaisir de conduire » qui sont à la base du marketing de tous les  constructeurs. 

Les constructeurs ont tiré depuis longtemps profit des avancées de l’électronique pour équiper leurs véhicules d’outils d’aide à la conduite. De multiples capteurs et actionneurs ont été intégrés depuis l’apparition de l’antiblocage des roues au freinage, l’ABS, en 1978, pour aider à la conduite ou se substituer au conducteur en cas d’urgence. De fait, d’ores et déjà, une voiture moderne va prendre des décisions pour maintenir sa trajectoire avec l’ESP (Electronic Stability Program), assurer une vitesse constante avec le régulateur, améliorer l’adhérence en cas de pluie ou de neige, amplifier le freinage en cas d’urgence, avertir d’un franchissement de ligne ou de dépassement d’une vitesse autorisée, tout en pourvoyant le conducteur de multiples informations sur son itinéraire. La dernière Mercedes Classe S comprend une centaine de micro-processeurs pour s’acquitter de ces multiples tâches.  Ces assistances ne se substituent pas au conducteur, même s’il elles corrigent, à la marge, ses décisions inappropriées.

En fait, le débat sur la voiture sans conducteur est parti de la volonté de Google de démontrer la suprématie de son système de cartographie, tellement précis qu’en suivant ses indications n’importe quel ordinateur pouvait sans difficulté faire parcourir à une voiture des centaines de kilomètres sans incident. Les constructeurs ont réagi en montrant qu’en équipant une voiture de capteurs, radars, scanners laser,  outils de géolocalisation et servomoteurs, on pouvait potentiellement se passer du conducteur. Et on a vu ainsi quelques dirigeants se montrer au volant de ces véhicules expérimentaux mais sans toucher le volant resté bien classique, position assez curieuse et très peu naturelle qui montre bien que le concept est plaqué sur des véhicules conventionnels…

Ces annonces soulèvent deux questions : est-ce utile ? Est-ce faisable ?

Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. L’inattention, l’utilisation d’un téléphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Plus d’1,3 millions de personnes dans le monde, selon l’OMS, perdent la vie dans un accident de la route chaque année. Dès lors mettre au volant un ordinateur doté de capacités sensorielles puissantes et dépourvu des limites biologiques de l’homme est tentant. La motivation est noble, tendre vers le zéro accident et le zéro mort. On attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages, un gain de temps considérable. On peut aussi imaginer que la voiture relaie et soulage le conducteur dans des situations fatigantes et sans intérêt, comme la conduite dans un embouteillage,  les longs parcours sur route dégagée ou encore les manœuvres urbaines comme le stationnement. Mais pour atteindre ces résultats tentants il faudrait que la machine elle-même soit exempte de défauts.

Conduire un véhicule sur un parcours varié est une tâche complexe. Une voiture à conduite automatique qui se subsisterait aux véhicules actuels devrait remplir les missions polyvalentes d’un conducteur. Les obstacles sont multiples : emprunter un itinéraire varié, sur des routes hétérogènes, en milieu urbain dense ou en rase campagne, faire face aux aléas du trafic, aux comportements imprévisibles des piétons et autres usagers et aux conditions météorologiques, aux changements de la configuration  de la route, en cas de travaux par exemple... Cette compétence du conducteur, ce serait aux ordinateurs du véhicule de l’assurer en s’appuyant sur les informations stockées et sur celles acquises en temps réel.

C’est là où le pari devient plus compliqué. S’il est relativement facile de faire rouler sans solliciter le conducteur une voiture sur autoroute dégagée, il faut que le véhicule soit en mesure d’atteindre une telle route par ses propres moyens et s’en dégager. Il faut donc définir à quel moment l’automatisme rend la main au conducteur s’il ne peut assurer  en pleine sécurité une conduite en milieux variés. Il faut donc que le conducteur soit en permanence en situation de vigilance et que l’interface automatisme/humain soit parfaitement fiable. Même avec des pilotes expérimentés, et dans un espace dégagé, les pilotes automatiques des avions sont parfois sources de confusion aux conséquences fatales.

Par ailleurs pour atteindre une telle fiabilité il faut multiplier les capteurs, les processeurs de traitement faisant appel à des algorithmes complexes et à l’intelligence artificielle, les automatismes pour se prémunir de la défaillance d’un composant ou d’un programme. Un tel équipement complexe ne peut qu’être très coûteux. Ainsi un laser 3D, ou lisar, coûte 50 000 euros pièce. Les voitures sont soumises à des conditions de fonctionnement bien plus difficiles que les avions, dont les conditions d’usage sont  simples à modéliser et à programmer. Comment en revanche prévoir toutes les situations auxquelles un conducteur pourrait être confronté ? C’est pourquoi les démonstrations qui ont été faites ne sont pas probantes car elles se déroulent dans un contexte simplifié qui n’a rien à voir avec la réalité routière.

Il faut donc revenir à une réalité opérationnelle qui ne fera pas rêver mais qui a plus de chances de se concrétiser. Toyota a d’ailleurs pris ses distances au CES 2013 en prônant une approche pragmatique et graduelle qui parle de voiture autonome, par couches successives d’avancées techniques, mais non sans conducteur. L’humain, pour Toyota, doit en effet rester en permanence en situation de contrôle. Cette piste est la plus vraisemblable. Les constructeurs vont « simplement » même si le travail est déjà considérable étendre progressivement le champ des automatismes déjà installés, en commençant par le très haut de gamme pour financer le coût de ces installations. Beaucoup de véhicules proposent une assistance au stationnement en créneau, dont les résultats sont encore très imparfaits. On peut aussi disposer d’un régulateur de vitesse qui se cale sur le véhicule qui précède pour maintenir une distance de sécurité et de multiples aides à la vision, à la tenue de cap, au freinage, à l’évitement de collision. Pour tester sans attendre le charme de ces technologies il est possible ( !) pour 140 000 euros de s’offrir la dernière Mercedes 500 S Plug-in Hybrid qui est un démonstrateur de tout ce qu’on peut mettre aujourd’hui dans une automobile et qui peut notamment être équipée, en option, d’une assistance à la conduite dans les embouteillages.

Par petites touches, ces outils permettront de rendre la conduite plus sûre en dotant le conducteur d’un copilote vigilant et efficace.  Par ailleurs, des expériences de véhicule sans pilote seront réalisées sur des itinéraires précis et balisés, ce qui peut rendre de multiples services dans des espaces appropriés. Il faudra certainement attendre plusieurs décennies avant de voir de véritables voitures sans pilote se mêler à la circulation courante !

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