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Juste un report "sine die" dites-vous ? Derrière la mort non assumée de l'écotaxe, la mort inéluctable de toute capacité de réforme du gouvernement Valls
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Requiescat in pace

Si l'écotaxe est reportée "sine die", ce qui en langage politique veut bien dire "morte et enterrée", la fin du gouvernement Valls n'est pas encore datée. Mais elle en bonne route.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Le mot de la semaine aura été d’un beau latin : "sine die", sans date fixée, telle est la nature de la "suspension" de l’écotaxe. Qu’en termes galants ces choses-là sont dites, même s’il faudrait plutôt parler, en toute correction linguistique, de "report sine die"... Mais sur le fond, de l’avis général, c’est d’un enterrement qu’il s’agit.

De même que, toujours de l’avis général, ce énième renoncement semble indiquer la fin de la volonté et/ou de la possibilité de toute réforme par le gouvernement Valls. Autrement dit, l’enterrement en question irait bien au-delà de feu l’écotaxe : il serait celui, sans tambours ni trompettes, des grands projets de l’exécutif. Et cela, quelles que soient les protestations d’un Premier ministre volontariste, qui serait devenu, selon le mot assassin de Bruno Le Maire, un nouveau "Jean-Marc Ayrault, le coup de menton en plus"…

On ne remettra certes pas en cause l’essentiel de ce diagnostic : d’ailleurs la fin des réformes sera sans doute datée rétrospectivement de la grève des pilotes d’Air France, où les commentateurs les plus indulgents ont vu une "victoire à la Pyrrhus"… Sans trop préciser au demeurant qui était Pyrrhus en l’occurrence : le gouvernement ? La compagnie ? Les pilotes eux-mêmes ?

Mais l’on apportera néanmoins ici deux correctifs à l’analyse dominante :

Le premier concerne la nature des réformes envisagées et plus exactement leurs groupes-cibles: la leçon d’Air France et de l’écotaxe, pour ne rien dire des professions réglementées, est en effet que tout dépend de la force de réaction des intérêts menacés : nul doute que le gouvernement, trop affaibli politiquement, n’est désormais plus en mesure d’affronter des lobbies puissants. La loi sur la transition énergétique ne prend aucun risque à fixer des objectifs sans moyens, repoussés bien au-delà de la législature. Après le "sine die", "les calendes grecques" ! L’équation délicate de la réforme territoriale, déjà amputée de la suppression des départements, se résoudra –au mieux- par une nouvelle gabegie budgétaire, marquée par les doublons et l’alignement des statuts par le haut. La remise en cause des privilèges des hauts fonctionnaires ne débouchera sur rien, car leur fronde paralyserait tout simplement l’Exécutif. Quant aux autres fonctionnaires et agents du secteur public, qui constituent la (dernière) base électorale du PS, il est évidemment exclu d’y toucher.

En revanche tout indique que les catégories les moins organisées ou les plus faibles de la population risquent –et d’autant plus ! – de faire les frais de ce qui survivra de la "volonté de réforme". Familles nombreuses évidemment, chômeurs promis à des contrôles de plus en plus tatillons et, de façon générale, les plus pauvres. Il est ainsi plus qu’étonnant que des mesures littéralement antirépublicaines, prises par le gouvernement aient à peine soulevé de protestations, notamment de l’opposition : ainsi de la suppression des bourses au mérite et de la fermeture progressive des internats d’excellence : décisions prises au nom des économies budgétaires (alors qu’il s’agit de sommes dérisoires) et d’un égalitarisme doctrinaire, radicalement contraire à la vraie égalité des chances. Or la méritocratie constitue justement l’un des piliers de la tradition républicaine. Et les même viendront ensuite pleurer sur la fin de "l’ascenseur social" ! La gauche française d’aujourd’hui aimerait-elle à ce point les pauvres qu’elle préfèrerait qu’ils le demeurent ?

Le second correctif est lié lui à l’épée de Damoclès de "Bruxelles", comme on dit c’est-à-dire des règles budgétaires non seulement acceptées mais, on l’oublie toujours, fixées par la France elle-même: ainsi de la fameuse limite des 3% proposée en son temps par… François Mitterrand en échange de l’euro. Tous ceux qui fréquentent un peu ledit "Bruxelles" ou simplement lisent la presse étrangère, savent que désormais la coupe est pleine. Le pari fondamental de la présidence Hollande sur le caractère "intouchable" de la France parce que "too big too fail", va se heurter, non certes à l’adoption rapide de sanctions, mais à un rejet du budget 2015 en l’état. Personne ne souhaite une nouvelle crise de la zone euro et l’on prendra sans doute des gants avec nous ; mais l’on nous demandera de garantir les économies promises, encore incertaines et floues, et de trouver 8 milliards (au minimum) de ressources ou de coupes supplémentaires. De sorte que très vite l’étau va se resserrer avec la collaboration contrainte de Pierre Moscovici, mis lui aussi dans une position intenable par une ruse machiavélique de Jean-Claude Juncker, grand politique s’il en est.

Autrement dit, le refus affiché par le gouvernement d’aller plus loin dans l’effort budgétaire placera le Premier ministre devant une alternative sans issue : ou bien, comme il le souhaite sans doute lui-même, accélérer les réformes structurelles ; mais il y perdrait la paix sociale (ou ce qu’il en reste) voire sa majorité et son électorat ; ou bien défier l’Europe et lancer un ultime cocorico national : la tentation en est grande et le soutien politique, de la droite à la gauche, pourrait être assez large. Calcul déjà présent dans l’esprit des gouvernants ? Après tout, la susceptibilité légendaire de la "Grande Nation", bien malmenée ces derniers temps, n’est qu’en sommeil et ne demande qu’à se réveiller…

Mais la méfiance des marchés serait alors inévitable et le grand paradoxe de la présidence Hollande, qui n’a tenu jusqu’ici que par le soutien de la "finance" honnie, prendra fin. Encore une fois ce n’est nullement tomber dans un scénario catastrophe : une légère tension sur les taux d’intérêt suffirait à provoquer l’épreuve de vérité pour le "bateau France", rempli de dettes jusqu’à ras-bord. Quand précisément ? "Sine die", justement, c’est-à-dire sans date certaine à ce stade. Mais, de fait, tout est bien désormais "une question de temps". Un temps qui manque au gouvernement car l’embellie économique, autre grand pari du quinquennat ne se manifestera au mieux que dans un an : too late !

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