"Extrême droite libérale" et "djihadistes verts" : le ton du débat monte mais pas le niveau !<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Vincent Placé, sénateur EELV de l'Essone.
Jean-Vincent Placé, sénateur EELV de l'Essone.
©Reuters

Restons calmes

Xavier Beulin, le président de la FNSEA, a traité de "djihadistes verts" les activistes du barrage de Sivens, où un jeune manifestant est mort. Jean-Vincent Placé, sénateur EELV, a exigé des excuses. Mais ce dernier, qui a traité "d'extrême droite libérale" la pensée de François Fillon, n'est pas en reste.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Que la polémique, même tempétueuse, renaisse n’est pas en soi regrettable : elle fut longtemps à l’honneur dans le débat public et notamment parlementaire français, avant d’être étouffée par une certaine « political correctness ». Il reste que le débordement verbal de Xavier Beulin, traitant de « djihadistes verts » les activistes de Sivens et plus encore l’expression d’ « extrême droite libérale » utilisée par Jean-Vincent Placé contre François Fillon pose quelques sérieux problèmes ;

D’abord un problème de cohérence lorsque le même Jean-François Placé ne trouve pas de mots assez durs pour qualifier les mots de Xavier Beulin, exigeant même des excuses publiques. Ensuite un problème de dissymétrie dans le traitement médiatique des deux incidents : alors que les réactions indignées se multiplient contre le patron de la FNSEA, pas un mot pour contester ceux du sénateur écologiste. Il est vrai qu’une telle dissymétrie est constante dans notre PAF : tout écart de la droite suscite des cris d’orfraie ; tout dérapage de la gauche se voit minimisé, voire pardonné.

Mais le plus grave est ailleurs : il n’est pas sain que des responsables publics de premier plan chargés « d’éclairer la volonté générale », comme disait Rousseau, fassent tout pour l’obscurcir. Notamment en disant n’importe quoi.

Ainsi pour les « Djihadistes verts » : l’expression est d’autant plus mal choisie que le vert est justement la couleur de l’Islam (longtemps !) avant d’être celles des écolos. Et elle est d’autant plus trompeuse que toute comparaison de ce genre dans le contexte actuel ne peut que renvoyer aux exactions de Daesh. Or, aussi agités que soient les activistes de Sievens, aussi vraie soit la présence en leur sein d’adeptes de la violence politique, on ne sache pas qu’ils égorgent les forces de l’ordre. Et c’est un manifestant qui a trouvé la mort.

Mais, justement, Xavier Beulin n’a tenté qu’une analogie (déplorable).Il n’a jamais prétendu que Daesh avaient caché turbans et tuniques dans les sacs à dos des militants de Sivens ! Le propos de J.V Placé se veut lui une définition du positionnement de l’adversaire.

Or cette définition ne représente rien moins qu’un triple contre-sens ; sur le libéralisme, sur l’extrême droite et… sur François Fillon lui-même.

L’ignorance des caractéristiques élémentaires du libéralisme, pour être courante en France au point que cette inculture devient un véritable trait de culture nationale, n’en est pas moins agaçante. D’abord parce que l’ignorance crasse ou la mauvaise foi intégrale ne sont pas plus recommandables l’une que l’autre ; ensuite et surtout parce que c’est oublier un pan entier et glorieux de notre propre histoire. Comment jeter en effet, comme une insulte, à la tête de l’adversaire, la référence à un mouvement philosophique auquel on doit les 3 grandes révolutions émancipatrices de l’Occident, l’anglaise, l’américaine et la française ? Il serait peut-être temps que « la Patrie des droits de l’homme » s’avise enfin qu’elle doit sa sacro-sainte déclaration à l’héritage combiné des deux fondateurs du libéralisme politique, John Locke et Montesquieu; comme elle doit son instruction publique à Guizot et Ferry, encore deux libéraux ; sans parler de l’émancipation féminine, théorisée par un penseur libéral John Stuart Mill, et toujours promue en France par le camp libéral contre la droite conservatrice et la gauche radicale et proudhonienne.

Certes mais quid du libéralisme économique ? Eh bien là aussi, il serait peut-être temps de s’aviser que le libéralisme (doctrine philosophique) n’est pas le capitalisme (système économique) ; encore moins le capitalisme financier et spéculatif, contre lequel la première charge fut lancée par le fondateur du libéralisme économique, Adam Smith lui-même ; quant à la libre entreprise et au libre-échange , bel et bien valeurs libérales, on rappellera, contre tant d’affirmations gratuites qui tournent à l’intoxication, des faits aussi simples que massifs : ces principes ont été le vecteur d’un enrichissement sans précédent de l ‘humanité et ont fait émerger du sous-développement, tour à tour, des continents entiers. N’en déplaise aux altermondialistes de tout poil et notamment de Sivens, c’est bien « l’affreuse mondialisation libérale » et non le socialisme international, et encore moins l’écologie politique, qui, en 25 ans, a sorti de la misère 700 millions d’êtres humains …

Un libéralisme dont les principes sont justement à l’exact opposé de l’extrême droite, dont les écrits devraient aussi être connus : car il suffit de lire ne serait-ce que dix lignes de Barrès et de Maurras (pour ne rien dire de Mussolini et d’Hitler) pour mesurer leur antilibéralisme absolu et revendiqué, fondé sur un anti-individualisme viscéral. Et si, comme J.V Placé, l’on tient à mettre Marine le Pen dans cette extrême droite, l’on devra alors constater que l’étatisme caractérise son programme de A à Z. Tout comme l’antilibéralisme proclamé dans chacun de ses discours. N’en déplaise à J. V Placé c’est lui, et non F. Fillon, qui est le plus proche des positions économiques et sociales de « l’extrême droite » actuelle : défense pied à pied de l’Etat-providence, des services publics « à la française », de la retraite à 60 ans etc…

En quoi, d’ailleurs, François Fillon, comme l’en accuse aussi J.V Placé, renierait-il son héritage de gaulliste social et son passé de disciple de Philippe Seguin? Parce qu’il souhaite remettre la France au niveau (confortable) de dépenses publiques de nos partenaires ? Parce qu’il s’inquiète de nos 2000 milliards d’euros de dette et de notre déficit aussi permanent qu’abyssal ? Parce qu’il ne considère pas comme un titre de gloire national que moins d’1% de la population mondiale consomme à crédit 15% des dépenses sociales de la planète (tiens, qui dénonce donc à gauche cette formidable « inégalité » là ?)?

En quoi François Fillon trahirait-il l’ancien président, si rigoureux, de la Cour des comptes en demandant des fonctionnaires moins nombreux mais mieux payés ? Une politique du logement, si chère aux écologistes et si chère pour le pays, enfin ciblée sur les mal-logés? Et une politique de la formation recentrée sur les chômeurs qui sont les derniers à en bénéficier ?Non, François Fillon, pas plus que Bruno Le Maire au demeurant, n’est pas Ronald Reagan, ni Margaret Thatcher. Son seul but, en gaulliste social qu’il demeure, est justement de sauver un modèle social français dévoyé et au bord de l’asphyxie. Et pour reprendre sa propre expression, ce n’est pas « l’Etat » qu’il refuse mais sa « faillite ». 

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