Vieillissement démographique : les 6 bombes que nous avons amorcées à force de ne pas répondre à la hauteur des enjeux<!-- --> | Atlantico.fr
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A force de ne pas répondre à la hauteur des enjeux du vieillissement démographique, nous avons amorcé 6 véritables "bombes".
A force de ne pas répondre à la hauteur des enjeux du vieillissement démographique, nous avons amorcé 6 véritables "bombes".
©Sebomari.com

Ça va péter !

Alors que la réforme des retraites portée en 2013 par le gouvernement Ayrault montre déjà ses limites en termes de financement, un nouveau projet de loi relatif aux seniors est examiné par l'Assemblée nationale à partir de ce mardi 9 septembre, sur "l'adaptation de la société au vieillissement". Les défis sont nombreux, tant cette problématique a peu été anticipée.

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Hélène Xuan

Hélène Xuan

Hélène Xuan est la Directrice scientifique de la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences Économiques qui a porté sur le vieillissement démographique et la croissance.

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Arnaud Campeon

Arnaud Campeon

Arnaud Campeon est ingénieur de recherche au département des sciences humaines et sociales et des comportements de santé de l’EHESP et chercheur associé au centre de recherche sur l’action politique en Europe. Il a reçu le prix de recherche junior 2012 sur le thème « Les situations de solitude et d’isolement » de la fondation Lien social – Croix Rouge Française.

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1 - Progression de la dépendance

Quelle proportion de la population est potentiellement concernée ?

Arnaud Campeon : Pour l'instant il ne faut pas surestimer le nombre de personnes vivant en France en situation de dépendance. Selon les dernières statistiques, 15% des plus de 85 ans sont en état de dépendance sévère (4% avant 80 ans), de même que les personnes âgées vieillissent plutôt bien dans notre pays. Cependant, compte tenu du vieillissement de la population il est évident qu'une proportion beaucoup plus importante de la population va se trouver confrontée à des problèmes de dépendance par la suite. C'est une certitude.

Quelle proportion des cas de dépendance devra être prise en charge par le collectivité ?

Arnaud Campeon : La volonté de maintenir au maximum les personnes à domicile génère surtout des effets pervers : on se retrouve avec des personnes complètements isolées, mais qui mobilisent chaque jour une dizaine d'intervenants pour les aider. Mes propre recherches sur la solitude au grand âge souligent le cas de personnes certes contentes de rester chez elles, mais qui au fur et à mesure se rendent compte qu'elles auraient fait un choix différent si elles avaient su dans quel état elles allaient se retrouver, c’est-à-dire avec des problèmes de santé importants et un réseau social inexistant. 

Les maisons de retraite elles-mêmes voient arriver des pensionnaires de plus en plus vieux, avec des pathologies parfois lourdes. L'offre en France est-elle vraiment adaptée ?

Arnaud Campeon : J'aurais tendance à dire que l'effort, plutôt que sur l'offre des maisons de retraite, devrait se faire sur les transitions vers ce type d'établissement. Aujourd'hui, on arrive en EHPAD (Etablissement d'hébergement pour personnes âgées) de manière brutale, généralement dans un très mauvais état de santé. Il faudrait donc développer les offres d'habitat alternatif, ce qui commence à se faire d'ailleurs, car elles favorisent une meilleure adaptation en établissement. Cela permettrait aussi de convaincre plus tôt les personnes de partir en établissement spécialisé, avant que leur état de santé ne soit vraiment dégradé.

2 - Expansion d’Alzheimer

Une personne sur deux devrait à l'avenir être concernée par la Maladie d'Alzheimer - soit directement soit via un proche : à quelles conséquences économiques et sociales faut-il s'attendre ?

Arnaud Campeon : Les conséquences sociales risquent d'être très importantes, tout dépendra de la manière dont seront soutenus les "aidants familiaux". Avoir cette maladie n'est pas forcément un épouvantail, il existe différents stades. Il ne faut pas jeter le mot comme un spectre. Beaucoup d'associations de malades se battent pour montrer qu'une personne atteinte de la maladie peut toujours communiquer et agir. Mais comme à l'avenir une personne sur deux sera effectivement concernée, il y aura un effort considérable à faire en direction des conjoints et des enfants. Cela passera sans doute par une meilleure disponibilité, via des congés supplémentaires, des personnes qui prendront en charge les malades. Cela existe déjà, d'ailleurs, mais devra probablement être renforcé.

Les montants investis dans la recherche ont-ils été à la hauteur des besoins ? Combien faudrait-il ?

Arnaud Campeon : Des fonds conséquents sont donnés chaque année. Et même si jusque-là les montants étaient insuffisants, depuis le troisième plan Alzheimer, il y a eu un vrai progrès. On voit que la maladie est maintenant considérée comme un vrai problème de santé publique, et même un problème sociétal.

3 - Des structures familiales bouleversées

La hausse du nombre de personnes âgées à charge conduit certains ménages à prendre en charge deux générations : celle de leurs enfants et celle de leurs parents. Quelles peuvent être les conséquences de cette situation ? Va-t-on voir des évolutions dans les modèles familiaux par la force des choses ?

Arnaud Campeon : Ce que l'on appelle les générations "pivots" subissent en effet cette double pression. Elles vivent des situations parfois très difficiles. Assistera-t-on à de nouveaux modes de cohabitation ? Je n'en suis pas certain car nos recherches montrent que les personnes qui sont aujourd'hui les soutiens n'ont absolument pas envie de dépendre de leurs enfants car ils se rendent compte à quel point accompagner ses plus proches parents est très dur. Je pense que cela va générer des comportements d'anticipation plus important à l'avenir.

Comment les structures sociales pourraient-elles également être amenées à évoluer ? De nouvelles fractures sociales pourraient-elles apparaître ?

Arnaud Campeon : De toute évidence, les relations familiales et les transmissions générationnelles peuvent être plus tendues. Après, le terme "fracture" peut laisser entendre un phénomène se répandant dans tout le pays, ce dont je ne suis pas sûr, mais il est certain que demain les relations familiales vont se révéler plus compliquées, d'autant que l'on parle là de relations subies.

Jusqu'où la solidarité familiale pourra-t-elle tenir ? Qui seront les premiers sacrifiés : les jeunes, les vieux ? Avec quelles conséquences ?

Arnaud Campeon : Je ne sais pas si cela ira jusqu'à la rupture des solidarités de proximité. Les enquêtes montrent que dans les années à venir les besoins de soutien seront toujours importants, mais on ne sait pas comment ces soutiens se mobiliseront effectivement. Les enfants, selon l'enquête, n'abandonneront pas leurs parents et joueront toujours leur rôle. Sauf si, de fait, on ne continue pas à les soutenir en leur apportant une meilleure reconnaissance. Et on voit depuis une vingtaine d'années que le débat évolue sur ce sujet et que ces solidarités sont de plus en plus appuyées.

4 - Une population face à des infrastructures inadaptées

Même si la population âgée devient de plus en plus importante, les infrastructures urbaines leur restent peu accessibles et sont plutôt pensées pour des "jeunes". Comment sortir de ce paradoxe ?

Arnaud Campeon : Là aussi les choses évoluent, pas grâce à la pression des personnes âgées, mais plutôt grâce à l'efficacité du lobbying exercé par les personnes handicapées. Elles font beaucoup dans le domaine pour lutter contre les trottoirs trop étroits ou les signalisations trop rapides. Les personnes âgées se plaignent aussi du manque criant de bancs publics. A travers le champ du handicap, on voit beaucoup de choses se mettre en place qui finissent par profiter de manière indirecte aux personnes âgées.

Les études montrent également une baisse de la capacité à conduire. Qu'est-ce que cela fait craindre dans un pays où la majorité du territoire ne dispose finalement pas de réseaux de transports en commun ?

Arnaud Campeon : Nous observons dans nos études une "déprise progressive". Il n'y a pas de coupure nette de la conduite mais petit à petit, les gens ne conduisent plus aux heures de pointe, puis plus de nuit, sur des trajets plus courts, etc. On voit dans les zones rurales – notamment quand le mari arrête de conduire – que les conditions d'existence sont profondément changées s'il n'y a pas transports de proximité et des commerces proches. Et c'est dans ce genre de contexte que l'on peut craindre des bascules dans les trajectoires de vie : à partir du moment où la personne arrête de conduire, ne se ravitaille plus, et n'a pas un bon réseau social pour l'entourer, elle bascule abruptement dans le passage en établissement spécialisé, alors qu'elle aurait pu continuer à vivre chez elle si les choses avaient été mieux anticipées. On constate d'ailleurs que de plus en plus de personnes commencent à se préparer à cela et pratiquent ce que nous appelons les "déménagements de confort" vers 60-70, ans pour préparer leur futur. Cela se fait en général en direction des centre-ville et des villes côtières. Mais cela nécessite une certaine capacité de projection dans l'avenir que l'on observe plutôt chez les catégories les plus favorisées de la population qui ont intégré les messages de prévention.

Même si les consructions neuves sont plus faciles d'accessibilité pour les personnes âgées, sera-t-il possible de mettre aux normes l'intégralité des logements plus anciens qui ne sont pas dans ce cas de figure ? Le défi, qui va être croissant à l'avenir, est-il relevable ?

Arnaud Campeon : De fait, il y a plus de personnes dans des logements inadaptés. De toute évidence, tout le monde ne pourra pas réaliser les travaux et on voit des situations "d'enfermement à domicile". C'est certain : il s'agit d'un des principaux défis sociaux sur la question du vieillissement.

5 - Un comportement économique "frileux"

Les personnes contraintes d'épargner pour leur retraite cherchent de la sécurité dans leurs placements. Cela entraîne-t-il un comportement où les activités potentiellement innovantes mais risquée souffrent d'un sous-investissement ? Avec quelles conséquences sur l'économie dans son ensemble ?

Hélène Xuan : C'est clairement l'analyse que nous avons faite. La concentration de patrimoine se fait de plus en plus aux mains des seniors, et ils ont plutôt une aversion au risque. Leur épargne est essentiellement placée sur des investissements peu risqués. Ils ont aussi, pourtant, une "surépargne" qu'ils investissent sur le marché en action. C’est ainsi qu’à la fois, la moitié de la capitalisation boursière est détenue par les plus de 65 ans et en même temps, se rajoute à cela une très forte concentration du patrimoine immobilier chez les plus de 60 ans (qui sont propriétaires à 70%). On risque donc de se retrouver dans une société où le capital va se retrouver placé, et comme le capital rapporte plus que le travail, sur des actifs peu risqués, et qui ne financent pas directement l'économie. On aurait donc intérêt économiquement à trouver un bon partage de risque entre l’Etat et les séniors pour les inciter à travers des mécanismes de défiscalisation ou de garantie partielle du capital à investir sur des placements risqués pour financer directement l’économie. Nos travaux de recherche que nous menons en collaboration avec la profession, feront paraître un rapport d’ici le début 2015 avec des propositions en ce sens.

Aujourd’hui démographique et économie sont intimement liés. L’arrivée de la génération du baby-boom sur le marché du travail s’est accompagnée de fortes politiques publiques pour faciliter l’accès au logement et à la propriété. Leur départ pour la retraite doit aussi être accompagné de politiques publiques adaptées pour les obliger à prendre une part du risque, leur permettre de liquéfier une partie de leur patrimoine. L'importance incontournable de cette génération aujourd’hui, et leur situation patrimoniale fait de cette génération, une véritable génération pivot. Ceci devrait nous permettre de trouver des marges de manœuvre au financement de l’économie. Si on accélérait les transmissions vers la jeune génération, en taxant relativement plus les héritages que les donations, au lieu d'hériter à la soixantaine comme aujourd'hui, cela boosterait l'entreprenariat.

En quoi le vieillissement impacte-t-il le marché immobilier ?

Hélène Xuan : Le patrimoine immobilier est détenu par les seniors. La question est de savoir maintenant s'ils ont vraiment intérêt à en vendre une partie. Leur patrimoine constitue une protection contre le risque de dépendance et prévient le risque de diminution du pouvoir d’achat sur une période de retraite qui se fera de plus en plus longue étant donné l’augmentation de l’espérance de vie. Il faut donc arriver à trouver des outils fiscaux pour liquéfier une partie de ce patrimoine pour que cela finance une partie de la protection sociale, notamment du risque dépendance.

Quels sont les autres risques pour l'économie présentés par le développement d'une "société de rentiers" ?

Hélène Xuan : Tout le système de retraite est basé sur la répartition avec une épargne-retraite très peu développée. Les différentes réformes du système de retraite ont été très efficaces en termes de financement du déficit mais au prix d’un décrochage programmé du niveau de vie des futurs retraites, c’est à dire la jeune génération d’actifs d’aujourd’hui. Le "gap" de niveau de vie est estimé à 15-20% selon les différents scénarios de croissance. Il faut donc essayer de liquéfier le patrimoine des seniors pour qu'ils financent une partie du risque de dépendance. Et ne pas prendre le risque de tout faire peser sur la jeune génération d’actifs, qui si rien ne change entre durablement dans une période de croissance molle, en grande partie du fait de la démographie.

Il faut réfléchir à la mise en place de produits financiers qui pourraient capter une partie de l'épargne de ces populations. Le principal problème de cette "société de rentiers" est en effet la qualité de l'épargne dont nous disposons, alors que nous n'en manquons pas. C’est aussi le risque de devenir une société où la dynamique économique sera essentiellement tirée par la consommation des séniors, et de délaisser une partie des jeunes générations d’actifs. Le changement démographique important sur les années à venir est le basculement dans une société de la longévité, où les séniors auront le même poids démographique que les jeunes. Nous aurons à l’avenir deux générations pivots : les jeunes actifs et les séniors. Il faut donc penser des politiques intergénérationnelles, et "réinvestir" le travail et l’innovation, notamment en accélérant les transmissions de patrimoine vers les jeunes générations plus à même d’entreprendre et d’innover et en menant une politique fiscale qui incite ceux qui détiennent du patrimoine à investir sur des actifs risqués pour financer directement l’économie française.  

6 - Un comportement politique qui craint la réforme

Les personnes âgées sont-elles, comme les études empiriques semblent l'indiquer, peu enclines à voter pour une offre politique proposant de vraies réformes ? En quoi cela conforte-t-il les partis dans l'immobilisme en termes de programme mais aussi de personnes ?

Philippe Braud : Il a été établi que dans les sociétés où le taux de jeunes de moins de 25 ans est important, il y a une tendance plus forte à la violence politique, comme si la jeunesse avait tendance à se mobiliser politiquement de manière transgressive. L'histoire l'a d'ailleurs largement montré. C'est même toute l'histoire du XIXe siècle ou de l'immigration britannique vers les colonies… Evidemment, a contrario, dans les sociétés où le pourcentage de personnes appartenant au troisième âge est important, il y aura moins cette tendance à la violence politique en interne, et à la violence internationale. Une société qui voit sa position vieillir bascule vers un souci de plus grande sécurité, qui peut amener à l'obsession sécuritaire, face à une insécurité réelle ou supposée. Cela favorise aussi le conservatisme politique car les personnes âgées ont une détention de patrimoine qui favorise cette tendance politique. On le voit dans les sociétés européennes : s'il y a toujours une droite et une gauche, l'axe des revendications et des propositions s'est déplacé vers la droite, les socialistes d'aujourd'hui le sont beaucoup moins qu'il y a cinquante ans !   

Les personnes âgées étant de plus en plus nombreuses, et ayant un taux de participation assez élevé, la tendance est-elle quasi irréversible ?

Philippe Braud : Ce n'est pas une tendance irréversible, mais c'est certainement une tendance lourde qui mettra beaucoup de temps à s'infléchir. Ce qui pourrait la contrer serait un bond dans l'immigration avec une arrivée massive de jeunes personnes. Ceux qui ont d'ailleurs une vision purement économique de la vie politique y voient la seule solution pour rajeunir la population et relancer l'économie. C'est rarement le cas de personnes âgées socialisées il y a soixante ou soixante-dix ans, qui ont d'autres référents en la matière.

Quelles conséquences attendre d'un système politique plus tourné vers les personnes âgées que vers les jeunes ? Vers qui/quoi ces derniers se tourneront-ils ?

Philippe Braud : Plus les jeunes deviennent minoritaires, plus ils tendent à être socialisés sur le mode traditionnel. On le voit aujourd'hui dans les pays européens, où cette jeunesse est finalement peu débridée, mais plutôt résignée voire "sage". Les tensions, quand il y en a, ne viennent pas des relations intergénérationnelles, mais sont internes aux générations.

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