Vaccins : pourquoi les reproches faits à Sanofi sont à la fois absurdes et révélateurs des dysfonctionnements français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Vaccins : pourquoi les reproches faits à Sanofi sont à la fois absurdes et révélateurs des dysfonctionnements français
©ERIC PIERMONT / AFP

Polémique

Le directeur général du groupe Sanofi a affirmé que les Etats-Unis bénéficieraient "en premier" d'un futur vaccin contre le Covid-19. La classe politique a vivement réagi. Loïk Le Floch-Prigent revient sur ce dossier.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

Voir la bio »

Décidément le confinement va conduire une grande partie des politiciens et des commentateurs dans ce qu’il reste d’hôpitaux psychiatriques : une polémique inouïe s’est développée à l’encontre du propos du Président de Sanofi sur la mise sur le marché d’un éventuel vaccin étudié en co-développement avec leur collègue GSK, autre géant pharmaceutique, d’origine, lui, britannique. Cette association a reçu l’appui de l’administration américaine pour 30 millions de dollars immédiatement, et d’une précommande importante qui, si le vaccin parait prometteur, sera prioritaire. 

Ces deux entreprises sont privées, Sanofi, développée dans le giron d’Elf-Aquitaine, a fini par être entièrement privatisée. Comme les autres grandes entreprises de santé elle se développe sur le marché mondial et les USA représentent le pilier le plus important de tout développement de nouveau produit. Les ossatures des Sanofi et GSK sont encore françaises et britanniques, mais ces entités sont mondiales et dirigées comme telles. Si la France avait désiré garder une entreprise « nationale » pharmaceutique, il suffisait, soit d’y garder une participation publique, soit d’ inciter les épargnants français à conserver une part importante du capital de façon à assurer la permanence d’un caractère national à cette entreprise. Cela n’a pas été le cas et aucun politicien, je dis bien aucun, n’a daigné s’en préoccuper. Lorsqu’en 2015 Sanofi a effectué la cession de sa filiale Mérial (vaccins vétérinaires) à Boehringer (Allemagne), illustrant ainsi sa mondialisation intégrale, aucune protestation non plus. Sanofi est donc une entreprise mondiale d’origine française (et même nationalisée), dont les capitaux sont détenus par une large majorité d’américains, la famille Bettencourt conservant une dizaine de pour cents obtenus lorsque la filiale de l’Oréal , Synthélabo, a été absorbée en 1999. 

Politiciens et commentateurs n’ont donc aucune raison de pousser des cris d’orfraie. Les dirigeants de Sanofi gèrent leur entreprise et en répondront devant leurs actionnaires. 

Sur le fonds du dossier, maintenant, l’hypothèse d’un vaccin à développement rapide est aléatoire. Les prophètes qui savent tout de l’avenir émettent des vœux, d’autres font des chèques, mais la réalité c’est que l’on ne sait pas encore tout du Covid-19 et qu’en conséquence on ne sait toujours pas si l’existence d’un vaccin dont l’action serait durable est vraisemblable. Deux risques, au moins, celle d’un virus mutant et celui d’une « séropositivité » courte, trop courte. A coté de ces risques, bien connus des spécialistes mondiaux de premier plan que sont les équipes de Sanofi issues, en particulier des Instituts Pasteur et Mérieux, il y a des sommes colossales en jeu de dépenses, en particulier les essais préalables à la mise sur le marché. Enfin, la pandémie ayant mis à plat l’économie mondiale, si un vaccin est « homologué », le monde entier en voudra, et il sera difficile de le lui refuser, alors que le monde solvable est beaucoup plus étroit, donc ces dépenses colossales risquent aussi de conduire, en cas de succès, à une rentabilité faible pour la ou les entreprises sélectionnées. 

Ces prises de risques, les entreprises pharmaceutiques y sont habituées, et c’est la foret de normes et règlements qui ont conduit aux grandes concentrations que nous connaissons : pour pouvoir « encaisser » un échec, il faut avoir les reins solides, car on parle de milliards, d’où la recherche d’un partenaire pour limiter les risques.  Par ailleurs, si l’on passe les obstacles américains , il est rare que l’on ne passe pas tous les autres, tandis qu’en Europe, et plus particulièrement en France le sentiment partagé par le monde de la santé c’est que nous sommes lents , procéduriers, et qu’un avis positif n’a pas de poids vis-à-vis de l’administration américaine. Tous les laboratoires en ont donc conclu à la nécessité de toujours commencer par les USA. Ce n’est pas nouveau, c’est connu, comme est reconnu par tous le caractère tatillon des administrations nationales en ce qui concerne les normes et règlements qui handicapent depuis des années l’ensemble du secteur de production français. 

Le marché essentiel est donc celui des USA, c’est le passage obligé pour inonder le marché mondial, les américains sont, en grande partie, propriétaires des entreprises, l’administration américaine finance la première phase de mise au point et se dit prête à multiplier par 10 ou 100 cette première mise de fonds, dans quel monde les « ex-confinés » français vivent-ils ? La Commission Européenne veut-elle jouer la partie ? Il fallait se réveiller plus tôt aussi bien sur les règles que sur l’argent à engager. Elle en a toujours la possibilité, mais GSK est en plein Brexit, cela ne va pas être facile !  Et la France ? Elle a perdu la partie définitivement dans les années 2010/2015, elle n’a pas drainé l’épargne des Français vers Sanofi, elle a laissé les fonds de pension et autres fonds de toute nature s’emparer de sa pépite pharmaceutique, comme pendant la même période elle a laissé aller un grand nombre de ses fleurons, gros ou petits. Elle peut s’interroger sur le départ de fabrications de produits essentiels, les principes actifs, vers l’Asie, Chine et Inde en particulier. Elle verra qu’elle a été insouciante et que l’application absurde des normes pesant sur la chimie nationale (principe de précaution mal digéré) a accéléré le processus. 

Ça y est , le déconfinement arrive, remettez -vous la tête à l’endroit. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !