Vaccination : le modèle israélien<!-- --> | Atlantico.fr
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vaccin covid-19 coronavirus Israël méthode action mesures stratégie
vaccin covid-19 coronavirus Israël méthode action mesures stratégie
©JACK GUEZ / AFP

Leader mondial du plan vaccinal

En deux semaines, plus d'un million de personnes ont reçu la première dose de vaccin Pfizer, soit 12% de la population d'Israël. Il s'agit de la meilleure performance mondiale. Le pays applique-t-il une méthode particulière ? Le modèle Israélien de vaccination pourrait-il être exporté ? La France pourrait-elle suivre la même stratégie ?

Hagay Sobol

Hagay Sobol

Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank Le Mouvement. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d'Abraham ».

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Israël est le pays qui a le plus vacciné sa population, loin devant le reste du monde, qu’est ce qui explique l’efficacité ? Le pays applique-t-il une méthode particulière ?

Charles Reviens : Dans la compétition mondiale sanitaire et médiatique que constitue, entre autres aspects, la gestion de la pandémie covid-19 par chaque pays, c’est effectivement le jour de gloire pour Israël, un peu à l’image de la Corée du Sud il y a onze mois avec ses tests de dépistage précoces et son traçage numérique. Pourtant la situation n’apparaissait pas si brillante il y a quelques semaines : Israël avait une performance (mesurée par exemple en nombre de décès covid par unité de population) meilleure mais comparable à la France notamment depuis l’été, avec trois confinements successifs à a clé (14 mars, 13 septembre, 24 décembre).

Tout change avec le programme de vaccination lancé le 19 décembre dernier, il y a seulement 16 jours. Israël indique avoir vacciné au 3 janvier 1,22 millions de personnes représentant 14,1 % de la population : plus de 120 000 vaccins ont été administrés dimanche 3 janvier soit 1,4 % de la population du pays en une seule journée. Ces chiffres sont à comparer avec les 516 vaccins administrés au total en France au 1er janvier, dernière donnée connue.

Comment expliquer cette réussite quantitative impressionnante ? La première raison semble constituée par la réactivité pour l’approvisionnement et le sourcing des vaccins. Le vaccin Pfizer/ BioNTech, celui qui est administré à date, a été commandé pour 8 millions de doses en novembre, à peu près à la même date que les 200 millions de doses de l’Union européenne. Mais selon les médias israéliens, le gouvernement israélien aurait payé 25 euros par dose, un montant supérieur de 40 % environ à ceux négociés par les Etats-Unis et l'Union européenne, avec sans doute à la clé des privilèges en matière de priorité de livraison. Israël a été encore plus rapide pour le vaccin Moderna : achat de 2 millions de doses en juin (donc très en amont de la phase 3 et des agréments sanitaires) et achat de 4 millions de doses en décembre. Le pays dispose donc de droits d’approvisionnement sur au moins 14 millions de doses soit la totalité de la population vaccinable (2 doses pour chacune des 7 millions de personnes appelées à être vaccinés). Le volume très important des doses disponibles permet de couvrir immédiatement une large partie de la population.

La question suivante concerne l’enjeu de l’acceptabilité du vaccin par l’opinion publique : selon un sondage du Yedioth Aharonot de mi-décembre, certes 63 % des israéliens souhaitaient se faire vacciner mais 39 % préféraient cependant attendre s’ils en avaient la possibilité. Pour convaincre la population, de nombreuses personnalités se sont fait vacciner publiquement, à commencer par le Premier ministre Benyamin Netanyahu vacciné en direct à la télévision le 19 décembre, jour de lancement de la campagne.

Vient ensuite la question logistique les particularités pertinentes suivantes :

  • envoi en masse de SMS aux personnes âgées ou à risque pour les inciter à vacciner couplé à un centre d’appel national de gestion des rendez-vous qui a tenu la charge dès le premier jour de la campagne dimanche 20 décembre ;

  • centres de vaccination ouverts 24 heures par jour et 7 jours par semaine, dans les hôpitaux mais aussi centres éphémères dans des espaces très fréquentés ;

  • appui sur l’informatisation avancée de l’écosystème sanitaire dans un pays reconnu comme à la frontière technologique en matière numérique.

Hagay Sobol : D’abord commençons par un trait d’esprit. La santé est l’élément le plus important pour une mère juive et chacune rêve ou a rêvé d’avoir un fils médecin... Partout dans le monde, quelle que soit la culture, les époques et les situations, la préservation de la vie a toujours été un élément central pour le peuple juif. Et cette philosophie a été a été érigée en fondamental au niveau de l’Etat Hébreu. De cette conception des choses découle le principe de prévention appliqué à toutes choses que ce soit lors de conflits armés ou en médecine. Ainsi, dès la première vague de COVID-19, cet état d’esprit a permis d’anticiper la phase ultérieure de vaccination.

Cependant, il n’y a pas de recette miracle et aucun pays n’était préparé une crise sanitaire d’une telle ampleur. Si la prise en charge initiale de la pandémie a été remarquable pour certains pays très technologiques comme Israël, la Corée du Sud ou Taïwan, sur la durée, il est pratiquement impossible de maintenir des contraintes permanentes acceptables par toute une population et d’assurer la bonne marche d’un pays. Ce qui explique les vagues successives dans le monde entier. Par contre, des leçons ont été tirées sur les décisions qui ont été couronnées de succès : l’information, le traçage des cas contacts, la mise en place de tests de dépistage à très grande échelle, l’approvisionnement à l’étranger en masques, en médicaments ou en systèmes d’assistance respiratoire et l’anticipation d’achats de doses de futurs vaccins auprès des compagnies pharmaceutiques et cela de manière très précoce, dès la phase des essais avec Moderna. La logistique et l’organisation de certains éléments cruciaux du dispositif ont été confiées aux service de renseignement intérieur, le ShinBet et extérieur, le Mossad, dont l’efficacité est légendaire.

Tout cela a permis de passer le cap, mais, avant une couverture immunitaire suffisante au niveau de tout le pays, de l’ordre de 60% à 70%, cela n’empêchera pas une quatrième vague et des phases de confinement. C’est donc un processus long et complexe. Sachant cela, à la différence d’autres pays, les Israéliens ont anticipé la vaccination, à la fois en lançant leur propre stratégie de développement vaccinale, dont certains éléments en collaboration avec les Emirats Arabes Unis (EAU), avant même la normalisation dans le cadre des accords d’Abraham, mais également avec les plus grands groupes pharmaceutiques étrangers. Par exemple, le vaccin Pfizer exige des conditions de conservation et de transport très contraignantes. Aussi, les israéliens ont développé un brevet pour faciliter son utilisation et le fractionnement des doses, afin que des zones de faibles densité de population ou difficiles d’accès puissent également bénéficier rapidement du traitement.

L’organisation du système de santé, moins centralisée qu’en France, est pour beaucoup dans l’efficacité de la campagne de vaccination. Les quatre compagnies d’assurance santé sont chargées de convoquer les patients et disposent d’une solide infrastructure informatique pour les dossiers médicaux et le suivi, en particulier pour la survenue éventuelle d’effets secondaires. Les choses ont donc pu démarrer très vite, et réguler les flux en fonction des stocks de vaccins déjà constitués, avec l’objectif d’atteindre deux millions de patients (soit plus de 20% de la population) ayant reçu les deux doses requises pour fin janvier, sachant que déjà qu’un million de personnes ont déjà été prises en charge. Si à terme, la vaccination sera accessible à tous, initialement, la priorité a été donnée aux plus de 60 ans, les personnels de santé et les éléments essentiels à la survie du pays.

Ensuite, a été mis en place un système un passeport vert qui permet, si vous êtes immunisé après vaccination ou après avoir été en contact avec le coronavirus, de vous rendre dans les restaurants, les théâtres, les cinémas, de vous déplacer à l’étranger etc. Sans oublier la communication qui a été au centre de l’entreprise. Car comme dans tous les autres pays du monde, une frange non négligeable de la population était réfractaire au vaccin. Une campagne calibrée, et une lutte de tous les instants contre la désinformation a été mise en œuvre.

La réactivité de l’état israélien est-elle le symbole d’un pays qui sait réagir efficacement face aux crises ? Y-a-t-il des précédents historiques ? 

Charles Reviens : Avant l’épisode de la vaccination, la performance d’Israël dans la gestion de la pandémie covid-19 n’était pas jugée particulièrement exceptionnelle, à la différence notamment des pays d’Asie du Sud Est. L’anticipation et la célérité du programme de vaccination ont en quelques jours changé le regard sur le pays devenu pour le moment le chouchou et le point de focalisation des médias internationaux.

Le pays est probablement fortement habitué à la gestion de crise avec en moyenne une opération militaire d’envergure tous les cinq ans depuis sa création en 1948 : guerres de 1948, 1956, 1967, 1973, 1982, 2 intifadas, opération au Liban et à Gaza, opposition frontale régionale avec l’Iran aujourd’hui.

Mais ce savoir-faire en matière de gestion de crise n’est pas le seul élément explicatif du succès à date du programme de vaccination : il y a aussi l’excellence technologique du pays et l’usage approprié d’un soft power qui semble notamment avoir été très utile pour sécuriser les approvisionnements des vaccins Pfizer et Moderna.

Hagay Sobol : Les citoyens israéliens quand il y a une crise sont extrêmement efficaces et unis car leur survie en dépend, dans une des régions les plus violentes du monde et où les minorités sont particulièrement malmenées. Et l’Etat Juif, avant la normalisation avec les EAU, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, n’y comptait pas beaucoup d’alliés. Aussi, il y a une culture façonnée par l’insécurité ambiante imposant l’excellence par la remise en cause permanente, sous peine d’obsolescence, car il n’y a aucune place à l’erreur. Les nombreuses guerres auxquelles Israël a dû faire face depuis sa renaissance, les appels répétés à sa destruction, lancés par l’Iran, les 150 000 roquettes et missiles de précision du Hezbollah libanais et ceux du Hamas à Gaza braqués sur les agglomérations israéliennes, sans parler par la guerre cybernétique qui fait rage, sont là pour en témoigner. Cette prise de conscience est collective et impose d’anticiper et d’avoir à chaque fois plusieurs coups d’avance et cela quel que soit la forme que le danger peut prendre. C’est selon ce schéma que s’établit la hiérarchie des priorités.

C’est également dans cette vision stratégique des choses que s’enracine la politique de marche forcée vers la vaccination et l’immunité collective. En effet, ce petit pays de 9 millions d’habitants n’a pas d’armée de métier, mais une armée de citoyens. La majorité de israéliens, hommes ou femmes, juifs, druzes, chrétiens ou musulmans, ont fait plusieurs années de service militaire et sont potentiellement des soldats réservistes. Ce sont eux, avec les appelés, souvent leurs enfants qui seront en première ligne en cas de conflit aux frontières ou via le front intérieur, les villes et villages, dont on sait qu’ils constitueront une cible privilégiée. Aussi, du fait de la menace, le pays ne peut se permettre le luxe de prendre son temps pour immuniser sa population, car il doit être prêt à réagir efficacement en toute circonstance. A l’inverse, on a vu les ravages causés en Iran où les pasdarans, l’armée idéologique du régime, a payé un lourd tribut, y compris dans les plus hauts échelons. Israël n’a pas d’autres choix que de se préparer au pire de manière permanente, car dans le cas contraire, cela pourrait lui être fatale.

Un autre exemple de réactivité est la réponse donnée à la faiblesse des réserves en eaux du pays, encore accrue par les menaces récurrentes du Hezbollah libanais de couper des affluents du Jourdain, la principale ressource hydrique de l’Etat Hébreu et de l’Autorité Palestinienne. Pour pallier à ce déficit, Israël a développé une politique agricole innovante particulièrement économe en eau et des procédés technologiques comme des usines de désalinisation de l’eau de mer ou des systèmes de production d’eau à partir de l’air ambiant particulièrement adaptés aux milieux arides et désertiques. Outre de répondre aux besoins domestiques, les innovations technologiques dans de nombreux domaines sont également dédiées à l’exportation, constituant avec la diplomatie sanitaire déjà évoquée plus haut, un autre pilier sous-tendant les avancées de la politique étrangère israélienne.

Les complications politiques du pays ont-elles causé du tort à la stratégie face au Covid ?  

Hagay Sobol : Cela fait plusieurs années qu’Israël est en proie à une crise politique et le pays n’a pas été déclassé pour autant au niveau économique, des accords de paix historique été signés avec des pays arabes, etc. Les Israéliens font comme s’il n’y avait pas de problème, et que la situation était banale. La Covid-19 n’a pas empêché les dissensions politiques, bien au contraire..., en somme une crise comme une autre ! Il y a même une recomposition du paysage politique sans précédent qui s’opère. Le parti arabe unifié est en train de se scinder et l’une de ses branches va très probablement réaliser une convergence avec le Likoud, le parti du premier ministre Netanyahou. Bref, on a l’impression qu’Israël a les mêmes problèmes avec ou sans pandémie, tellement cette culture du risque est intégrée à tous les niveaux.

Le modèle Israélien de vaccination pourrait-il être exporté ? La France pourrait-elle suivre la même stratégie ?

Charles Reviens : A court terme et si l’on mesure le succès à l’aune de la proportion de la population vaccinée, Israël semble avoir pris une avance très difficilement rattrapable du fait de son dispositif d’approvisionnement robuste et de sa performance logistique. Le pays est parvenu en quinze jours à la moitié de l’objectif que les pouvoirs publics français se fixait pour l’été 2021 et devrait attendre fin janvier cet objectif de 25 % de la population vaccinée (objectif revu à la hausse ce lundi soir à 27 millions de personnes d’ici le début de l’été par le ministre de la santé).

Si l’on reprend toutefois les trois enjeux du programme israélien, on constate en particulier :

  • que la France a opté pour l’approvisionnement de vaccins via un achat groupé européen et ne peut donc pas suivre l’approche ultra-réactive et opportuniste d’Israël en la matière ;

  • qu’en matière de communication Israël a pu largement éviter de s’enferre dans le débat sur l’opportunité du vaccin grâce à l’exemplarité des dirigeants qui se sont faits publiquement vacciner et à la solidité de l’exécution du programme de tests ;

  • que l’enjeu logistique semble avoir été pris à sa juste et importante mesure comme l’ont fait d’autres pays à d’autres phases de la pandémie (Allemagne, Corée du Sud) alors que cette question a constitué en permanence le talon d’Achille dans la gestion de la crise sanitaire dans notre pays où l’on croit un peu trop et à tort que l’intendance suivra toujours sans que l’on s’y intéresse véritablement ou qu’on en confie la gestion à des personnes dont c’est vraiment le métier.

Hagay Sobol : Contrairement à certains, je ne jette pas la pierre au président Macron et au gouvernement. Il ne faut pas faire de politique politicienne avec la santé de nos concitoyens. Les choses sont extrêmement complexes et notre système de santé à beaucoup pâti des tous les gouvernements qui se sont succédés. Aucun pays au monde n’a fait de sans-faute, et l’on n’en serait sans doute pas là si toutes les françaises et tous les français respectaient les règles de confinement, les gestes barrières et portaient le masque quand il est obligatoire. Cet incivisme expose les personnes vulnérables et accroit le risque de mutations du virus qui augmente avec le nombre de personnes contaminées, pouvant à terme hypothéquer l’efficacité vaccinale.

Bien qu’il soit difficile de transposer le modèle israélien, on pourrait toutefois fois s’en inspirer, en particulier en décentralisant les moyens opérationnels, le passeport vert et surtout la stratégie de communication. Il y a eu une politique offensive d’information et de lutte contre complotisme anti-vaccin. Elle passait par les réseaux sociaux avec des selfies postés par les personnes se faisant vacciner. Les meilleurs avocats de la vaccination, ce sont les gens eux-mêmes. Enfin, cerise sur le gâteau, le ministre de la santé, Yuli Edelstein, et le premier ministre Benyamin Netanyahou ont donné l’exemple en se faisant vacciner à grand renfort de publicité. Et il n’est pas impossible que le succès de l’entreprise puisse donner des points précieux à ce dernier lors de la prochaine élection générale, de l’avis même du très critique journal d’opposition Haaretz. A méditer avant les présidentielles françaises de 2022…

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