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Des tonnes d'obus égarés en plein Moscou... Vladimir Poutine perdrait-il le contrôle de son propre État (malgré ses postures va-t-en-guerre à l'international)?
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THE DAILY BEAST

Des cargaisons contenant des tonnes d’obus de chars de combat se sont égarées en train jusqu'à Moscou de façon inexpliquée. Une affaire qui pose la question de la stratégie du président russe, porteur d'une parole ferme à l’international mais qui paraît perdre le contrôle dans son propre pays.

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova est reporter pour The Daily Beast. Elle est basée à Moscou.

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Copyright The Daily Beast - Anna Nemtsova

Moscou. Cela pourrait être la première scène d’un thriller. Des responsables politiques de premier plan, aux Etats-Unis et en Russie, discutent du risque d’une Troisième Guerre mondiale. Il y aura peut-être une confrontation en Syrie. Ou peut-être dans les pays baltes. Ou dans le cyberespace. Et là…

Aux premières lueurs de l’aube, un inspecteur de la gare de Perovo de Moscou vérifie le contenu d’un train de marchandises en provenance de la ville d'Orel, à 276 kilomètres au sud. Un des wagons est arrivé vide lundi dans la capitale russe - du moins, c’est ce que disent les documents administratifs. Il n’y a pas de verrou sur la porte, seulement un morceau de câble qui la maintient fermée. L’inspecteur tire sur le câble. Il ouvre la lourde porte, et c’est là qu’il découvre, gisant à même le sol du wagon, des obus de char de 125 mm et des boîtes vertes empilées en hauteur contenant beaucoup d’autres obus – des tonnes d’obus.

Que faisaient des explosifs sans surveillance dans cette ville de plus de 12 millions d'habitants ? L’inspecteur a appelé la police ; la police a appelé le Service fédéral de sécurité, le FSB ; il a à son tour joint le ministère de la Défense. Mais personne n’a pu déterminer qui était responsable de l’envoi de ce mystérieux arsenal à Moscou. Etait-ce un officier militaire insouciant et trop saoul pour s’en souvenir le lendemain ? Quelqu’un avait-il volé les armes ? Ou, dans le pire scénario, un groupe terroriste préparait-il un attentat de masse ?

L’enquête préliminaire a duré deux jours. Mercredi, des rapports ont conclu que la cargaison de sept tonnes de munitions explosives avait pu voyager au maximum sur 3 000 kilomètres, de l'Extrême-Orient russe à travers toute la Russie et jusqu’à Moscou, sans convoi spécial pour la protéger. Le voyage a duré deux semaines. Mais pendant tout ce laps de temps, aucun responsable du ministère de la Défense ne semble s’être inquiété de la cargaison mortelle, ni d’ailleurs avoir remarqué sa disparition.

L’agence Life News a rappelé à ses lecteurs que 350 kilos d'explosifs avaient suffi à souffler un immeuble d‘habitations à Moscou en 1999, l’année où Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir. L’agence a publié une infographie montrant la zone d'un rayon de 3 kilomètres qui aurait pu être ravagée par l’explosion si quelqu’un avait fait exploser le wagon à Moscou. "Si les obus avaient explosé à la gare de Perovo, les dégâts auraient pu se compter en centaines de victimes", a conclu Life News.

A minima, l’incident a mis en évidence de sérieux problèmes de sécurité tout au long des milliers de kilomètres de chemins de fer russes, ainsi qu’un manque de professionnalisme parmi les responsables militaires de premier plan. Mais il y a bien d’autres raisons de s’inquiéter.

Après tout, pendant que les généraux du ministère de la Défense cherchaient un responsable à blâmer pour cet incident, plusieurs sous-marins russes supposément équipés de missiles de croisière étaient censés être en route en direction de la Syrie.

Le président Vladimir Poutine a sorti l’artillerie lourde. Mais quelle est sa stratégie ? Et quels sont les risques ?

"Un incident de bien plus grande ampleur pourrait se produire en Syrie, en Europe ou ici en Russie, à cause de l’effrayante corruption qui règne parmi les autorités", a déclaré au Daily Beast l’ancien capitaine du KGB et actuel leader de l’opposition russe Gennady Gudkov. "Notre inquiétude vient du fait que le président Vladimir Poutine n’est plus capable de contrôler ne serait-ce que l’armée. Il garde seulement le contrôle du processus électoral et des flux financiers, tandis que toutes les institutions qui détiennent le pouvoir se dégradent à tous les niveaux".

Mais cela n’empêche pas les soutiens de Vladimir Poutine d’adopter des postures encore plus agressives. "Moscou prévoit de prendre le contrôle de l’Est l’Alep durant la période entre les élections américaines et l’investiture du nouveau président, dans un geste symbolique pour infliger un soufflet à Barack Obama", a affirmé au Daily Beast Sergei Markov, un membre de la Chambre civique de Russie. Sergei Markov a expliqué qu’il préparait des "recommandations" destinées à Vladimir Poutine, qu’il a livrées aux services du président.

"En déployant nos forces en Syrie, Vladimir Poutine a rappelé à l’Occident l’ampleur du pouvoir militaire que la Russie est capable d’employer", a déclaré Sergei Markov. "Washington nous attaque en soutenant le coup d’Etat en Ukraine, en appliquant des sanctions économiques, en organisant une guerre d’information, et en versant de l’argent à notre opposition, et Poutine défend la Russie contre les Etats-Unis, comme Churchill avait défendu le Royaume-Uni contre Hitler", affirmait Sergei Markov dans une interview mercredi.

Pourtant, Vladimir Poutine lui-même semble mettre la pédale douce. Au forum du Club de Discussion Valdaï de la semaine dernière, il a prononcé un discours insistant sur le fait que la Russie ne prévoyait aucune attaque en Occident. "C’est impensable, insensé et complètement irréaliste", a-t-il assuré. "Les membres de l’Otan, Etats-Unis compris, représentent une population totale de 600 millions, probablement, mais la Russie a une population de seulement 146 millions", a calculé Poutine. "Il est tout simplement absurde ne serait-ce que d’envisager une telle idée".

Très peu de médias internationaux ont couvert le forum de Valdaï, qui est perçu comme un évènement ennuyeux. Mais les réponses de Vladimir Poutine reflètent les messages contradictoires qu’il envoie à l’international. Fedor Lukyanov, directeur de recherche au Club de Discussion Valdaï, a expliqué au Daily Beast que le Kremlin s’est trouvé à court d’idées stratégiques après l’échec diplomatique pour trouver un accord en Syrie que Moscou puisse accepter. "Il est inutile de penser à la stratégie, car le monde moderne est trop imprévisible, alors Vladimir Poutine applique des tactiques, cherche la bonne façon de réagir et de trouver des solutions aux problèmes", a ajouté Fedor Lukyanov.

Après avoir tenté de comprendre Vladimir Poutine pendant dix-sept ans, le rédacteur en chef de L’Écho de Moscou, Aleksei Venediktov, reconnait qu’il a arrêté de prêter attention aux déclarations du président.

"Ce que Poutine a à dire ne m’intéresse pas. Seuls ses actes réels m’intéressent car, le connaissant bien, je vois qu’il n’a pas de réelle stratégie. Il réagit au quart de tour à tout ce qui peut se passer dans le monde", a déclaré Aleksei Venediktov au Daily Beast plus tôt cette semaine.

Aleksei Venediktov a insisté sur le fait que ce sont les réactions rapides de Poutine qui pourraient s’avérer les plus inattendues et les plus dangereuses. "Je suis sûr que les forces de la Russie et de l’Otan peuvent entrer en conflit, mais pas en Syrie. Plus probablement dans les pays baltes. La crainte d’une guerre à venir n’est pas de l’ordre de la paranoïa. Il y a une inquiétude sérieuse : une guerre en Europe pourrait partir d’un simple incident, par exemple si quelques ressortissants russes se sentaient malmenés par des responsables lettons, ou si une explosion accidentelle tuait des officiers", affirme Aleksei Venediktov. "Un seul homme prend les décisions en Russie : Poutine, qui n’a qu’un seul conseiller, en la personne de Vladimir Vladimirovitch Poutine."

On ne peut qu’imaginer comment il aurait réagi si sept tonnes d’obus avaient explosé au milieu de Moscou. Heureusement, grâce à un inspecteur ferroviaire, nous n’aurons jamais à le savoir.

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