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Franck Papazian publie « Le Régime Erdogan. Une menace pour la France » aux éditions Robert Laffont/Versilio.
Franck Papazian publie « Le Régime Erdogan. Une menace pour la France » aux éditions Robert Laffont/Versilio.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Franck Papazian publie « Le Régime Erdogan. Une menace pour la France » aux éditions Robert Laffont/Versilio. Depuis 2003, Erdogan façonne une Turquie de plus en plus nationaliste et expansionniste pour l'imposer comme une puissance incontournable. La Turquie d'Erdogan accroît son réseau d'influence, grâce à une diaspora largement acquise à sa cause, mais aussi en finançant des mosquées et des écoles et en envoyant nombre d'imams sur notre territoire. Extrait 2/2.

Franck Papazian

Franck Papazian

Franck Papazian est coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France.

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La France est, de toutes les terres européennes, de loin celle que le président turc a dans le viseur pour y installer sa funeste idéologie islamiste. Car 700 000 Turcs vivent sur notre sol, bien plus que les 500 000  présents en Hollande, les 400 000 peuplant l’Angleterre ou encore les 240 000 en Belgique. Le fort nombre de Turcs habitant la France est une des raisons expliquant l’intérêt d’Erdoğan pour l’Hexagone, mais ce n’est pas la seule. Sa colère est cristallisée par le fait que nous sommes « le pays des droits de l’homme », celui de la liberté d’expression, mais également parce qu’en France, de nombreux élus – maires, députés, sénateurs et intellectuels  – soutiennent la cause arménienne, celle de la reconnaissance du génocide des Arméniens et de la pénalisation de sa négation. Cette situation provoque l’hystérie d’Erdoğan. La cause kurde y a également ses soutiens ainsi que les Grecs et les Chypriotes. Le président turc a donc décidé, il y a bien longtemps déjà, de faire de la France sa priorité, car il est persuadé que l’infiltration du pays est la solution.

Comment alors la Turquie s’y prend-elle ?

Les directions générales des sécurités intérieure et extérieure, la DGSI et la DGSE, le savent parfaitement et alertent l’Élysée sur la stratégie d’infiltration de la Turquie en France chaque année. Le dessein du président Erdoğan, selon le rapport des instances officielles, est de contrôler la diaspora, mais aussi d’étendre sa domination sur l’islam politique. En octobre 2021, Le Journal du dimanche révèle, après lecture de documents confidentiels, que le noyautage se fait par le biais d’un maillage associatif, éducatif et religieux. Le but est de mettre la communauté turque vivant en France au pas, celui d’Erdoğan.

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Le drame est que les Turcs vivant sur notre sol sont très perméables aux idées d’Erdoğan, preuve en est que ses appels à la diaspora se font très ouvertement. Le 5 janvier 2018 par exemple, le dirigeant turc soutient publiquement le Conseil français pour le culte musulman, le CFCM, en déclarant  : « Les musulmans de France sont sous ma protection. Ceux qui vous touchent me touchent. »

Il n’hésite pas non plus à s’exprimer sur l’importance de réformer l’islam de France, se posant en homme providentiel, lançant même un boycott international sur les produits français lorsque Emmanuel Macron tape du poing sur la table, ou du moins menace de le faire…

Car la vérité est que la France, comme l’Allemagne, a peur. Erdoğan, avec l’aide de son puissant service de renseignements, le MIT, a la mainmise sur sa diaspora française. La Turquie veut asseoir son leadership sur le monde arabe en France par l’intermédiaire des institutions religieuses. En 2017, Ahmet Ogras, un agent de voyages franco-turc, est élu président du CFCM. Sur son compte Twitter, il écrit fièrement : « Nous sommes tous des soldats d’Erdoğan ! »

Le secrétaire général du CFCM, depuis le début de l’année 2020, est Fatih Sarikir, Franco-Turc très lié au pouvoir central d’Ankara, dirigeant du Millî Görüş, une institution islamiste radicale. Cet homme est considéré comme un activiste islamiste. Il a ardemment milité pour que le Millî Görüş ne signe par la charte des principes de l’islam de France. Mais ce n’est pas tout. À Strasbourg, le mouvement islamiste est à l’initiative de la construction d’une grande mosquée en 2019. Qui a donné son accord ? Des élus locaux, français, sensibles aux sirènes du gouvernement turc. Le projet ne voit pas le jour, du moins pour le moment, mais il est un exemple de ce qu’Erdoğan se permet de lancer chez nous. La maire de Strasbourg, avec laquelle je me suis entretenu à l’hiver 2020, rejetait la responsabilité de cet accord sur la municipalité précédente ainsi que sur l’État. Elle ajoutait que le représentant du Millî Görüş à Strasbourg apparaissait comme une personnalité convenable. Ce n’est qu’après que je lui ai démontré les liens de cette organisation avec Ankara qu’elle a paru convaincue. Mais ce n’est pas tout.

Depuis les années 1970, cela remonte donc à longtemps, le ministère de l’Enseignement turc envoie ses propres manuels en France, manuels qui sont évidemment des outils de propagande puisqu’ils diffusent notamment le négationnisme du génocide arménien et la haine des Grecs.

Erdoğan a aussi une foule d’associations à ses ordres en France. La fondation Maarif par exemple, dont le président turc dit qu’elle est l’une des institutions scolaires qui enseignent « les principes universels aux jeunes esprits du monde entier, assurant ainsi l’avenir commun de l’humanité », est en fait son outil de croisade dans les écoles turques sur le territoire européen. Dans certains cours, l’idéologie islamiste est expliquée et vantée aux enfants.

Quant aux imams de France, la moitié de ceux qui prêchent sur notre territoire sont envoyés d’Anakara, où ils ont bien sûr été formés. Ajoutons qu’il n’y a aucune possibilité pour eux de se distinguer de la ligne d’Erdoğan puisque c’est la Turquie qui les rémunère, et là non plus, l’État français ne dit rien.

Pas plus que pour les Loups gris. Ce groupe d’extrême droite turc, organisant des descentes dans des quartiers arméniens dans le but non dis‑ simulé de tuer, œuvre sur les réseaux sociaux de façon décomplexée. Le président turc, bien qu’il s’agisse de terroristes avérés, leur témoigne publiquement son soutien, allant jusqu’à faire leur signe distinctif de la main à la fin de nombreux discours. Le gouvernement français a bien fait interdire les Loups gris à la fin de l’année 2020 mais cette association a de nombreux militants et sympathisants qui en font le geste emblématique régulièrement. Ce fut le cas récemment, au stade Orange Vélodrome de Marseille.

Pourquoi, alors, le gouvernement français reste-t-il inactif ? Pourquoi tous les gouvernements le sont-ils ? L’appartenance d’Erdoğan à l’idéologie des Frères musulmans lui permet d’étendre son influence à la vitesse de la lumière et quasiment partout dans l’Hexagone. Mosquées, écoles cora‑ niques, associations : tout un panel d’organismes est mis à disposition de ce projet.

Et Erdoğan a bien d’autres atouts dans sa manche puisque la justice française le suit, aussi étonnant que cela paraisse. Le 8  avril 2021, Frédéric Burnier-Framboret, le maire d’Albert‑ ville, est mis en demeure par le tribunal administratif d’autoriser la construction d’une école islamiste turque dans sa ville. Il signe une tribune dans Le Figaro du jour, dans laquelle il déclare : « Le 7 avril, le tribunal administratif de Grenoble m’a condamné à signer un arrêté accordant le permis de construire d’une école privée portée par l’association Confédération islamique Millî Görüş (CIMG). Cette association est celle qui, actuelle‑ ment, construit la mosquée de Strasbourg et qui fait partie des trois organisations ayant refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France. Le groupe scolaire envisagé comprendra 16  classes, un réfectoire, une cuisine, un gymnase. La capacité de cet établissement s’élèvera à 400 élèves au total, ce qui représente un quart des 1 200 écoliers de notre commune. Cette nouvelle école, par son ampleur, aura des conséquences immédiates dramatiques  : la fermeture de plusieurs classes, voire à terme d’une école publique, ainsi que la polarisation d’un quartier pour lequel je travaille depuis mon élection en 2017, afin d’y instaurer un vivre-ensemble solidaire et harmonieux. »

Impossible d’expliquer cette folle décision judiciaire. Impossible aussi d’expliquer le flot d’insultes d’Erdoğan à l’endroit d’Emmanuel Macron, sans que jamais le président français ne réponde. Le 24 octobre 2020, le chef de l’État turc invite son homologue à « aller d’abord faire des examens de santé mentale », ajoutant que « Macron a besoin de se faire soigner ». Cette sortie de route fait suite à une déclaration d’Emmanuel Macron promet‑ tant de « ne pas renoncer aux caricatures », pro‑ pos tenus quelques jours après la décapitation de l’enseignant Samuel Paty. La réaction d’Erdoğan pourrait à vrai dire faire sourire, comme ce fut souvent le cas de celles de Trump, excessives, ahurissantes, ridicules en un mot. Sauf qu’Erdoğan est infiniment plus dangereux que l’ex-président des États-Unis, car sans limites.

Et s’il est en roue libre, ce n’est pas qu’il est fou, c’est qu’il craint par-dessus tout le projet de loi sur le séparatisme qui se prépare alors en France. Cela menace clairement son projet à lui, à savoir islamiser notre pays, malgré la centaine d’imams œuvrant chez nous à faire passer son discours extrémiste, malgré toutes les associations qu’il a installées sur notre terre et qui, elles aussi, sont un relais de ses propos haineux à l’endroit de la France. Voilà qui rend le despote suffisamment furieux pour hurler à l’islamophobie.

Il se permet de déclarer qu’Emmanuel Macron perdra l’élection présidentielle à venir, en 2022, « parce qu’il n’a rien accompli pour la France », ajoutant  : « Vous passez votre temps à vous en prendre à Erdoğan, ça ne vous rapportera rien. » Notre président ne répond toujours rien, se cantonne à désespérer de l’attitude plus qu’hostile du chef de l’État turc, parlant de « déclarations très offensives », disant aussi que ses propos sont « inacceptables » et que « l’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode », mais on en reste là. L’Élysée ajoute même : « Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes. »

Il faudra un nouvel appel au boycott des produits français dans le monde de la part d’Erdoğan pour que notre président prenne enfin une décision, mais cependant aucune sanction. L’ambassadeur de France à Ankara est rappelé sur-le-champ, l’Élysée s’attelant à envoyer là « un signal très fort ». Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, prend lui aussi la parole, pour dénoncer « une volonté d’attiser la haine » contre la France et son président Emmanuel Macron.

Le 1er novembre 2020, le président turc attaque de nouveau Emmanuel Macron, réaffirmant ses doutes sur sa santé mentale. Lors d’un discours télévisé depuis la ville de Malatya, en Anatolie, il l’accuse d’être « obsédé par Erdoğan jour et nuit », avant d’ajouter : « C’est un cas, et en conséquence, il a vraiment besoin de subir des examens mentaux. » Cette fois, c’en est visiblement trop pour notre président, qui diffuse le même jour plusieurs tweets en réponse à son homologue. Il parle de « discours de haine », écrit : « La liberté, nous la chérissons ; l’égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Rien ne nous fera reculer, jamais. » Afin que ces messages aillent au but, les tweets sont traduits en anglais et en arabe.

« Notre histoire est celle de la lutte contre les tyrannies et les fanatismes. Nous continuerons, nous continuerons. Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n’acceptons jamais les discours de haine et défendons le débat raisonnable. Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles », finit enfin le président de la République.

La réaction d’Erdoğan ne se fait pas attendre. Le lendemain, il scande : « Les responsables européens doivent dire stop à la campagne de haine qui est dirigée par Macron » dans un discours des plus haineux à Ankara. Il appelle de nouveau, toujours lors de cette allocution, les Turcs à boycotter les produits français  : « Tout comme en France certains disent de ne pas acheter les marques turques, je m’adresse d’ici à ma nation : surtout, ne prêtez pas attention aux marques françaises, ne les achetez pas. »

Extrait du livre de Franck Papazian, « Le Régime Erdogan. Une menace pour la France », publié aux éditions Robert Laffont/Versilio

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