Quitte à pratiquer les blocages énergétiques, faudrait-il empêcher Emmanuel Macron d’envoyer du gaz à l’Allemagne pour sauver son industrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, à l'Elysée.
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, à l'Elysée.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Solidarité européenne

La France a commencé, ce jeudi, à acheminer directement du gaz vers l'Allemagne. Cette mesure doit permettre d'aider nos voisins allemands à surmonter le tarissement des flux venant de la Russie pour cet hiver.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : La France a commencé aujourd’hui à envoyer du gaz à l’Allemagne au nom de la solidarité énergétique européenne. Est-ce vraiment raisonnable alors que nous sommes dans un contexte de pénurie et que le pire est sans-doute à venir ? Notre situation nous permet-elle d’aider notre voisin sans mettre en péril les activités du pays ?

Philippe Charlez : « La Cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvue quand la bise fit venue » écrivait Jean de La Fontaine. Résultat d’une politique européenne catastrophique engagée en 2010 avec l’Energiewende Allemand puis poursuivie après la COP21 par la plupart des pays européens, l’Europe s’est naïvement engouffrée dans le piège gazier Russe. Un piège qui risque de se refermer dans la douleur cet hiver…pour nombre de cigales européennes. Car la situation actuelle ne peut s’analyser qu’à l’échelle européenne tant les réseaux gaziers et électriques européens sont interdépendants.

Les dessous de cette catastrophe énergétique se lisent en filigrane de décisions absurdes prises par les autorités européennes au cours des vingt dernières années. Volonté certes légitime de sortir du charbon ; mais croyance aveugle en un utopique 100% renouvelable déconnecté de toute source d’électricité pilotable ; sortie idéologique du nucléaire sous la pression de Verts irresponsables pour l’Allemagne, dégradation insidieuse des filières nucléaires Belge et Française également sous la pression des Verts avec l’arrêt de Superphénix et d’Astrid, la mise sous cocon des deux réacteurs de Fessenheim associée à la volonté de réduire à 50% au plus la part de l’électricité nucléaire française. 

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Il n’y a pas de miracle ! Cette stratégie s’est certes traduite par une réduction de 60% de l’électricité charbonnière mais en parallèle par un accroissement de 54% de l’électricité gazière, cette dernière devenant malgré elle « meilleur ami des renouvelables ». Depuis 2014, la consommation de gaz en Europe s’est accrue de 14% alors que parallèlement sa consommation domestique s’est effondréé. En 2010, l’Europe produisait toujours 50% de sa consommation. Ce chiffre est aujourd’hui tombé à 10%. Car parallèlement à sa volonté de mettre à bas le nucléaire, l’Europe s’est aussi refusée de développer tout nouveau champ gazier sur son territoire.Qui se souvient de l’instrumentalisation du débat gaz de schiste entretenu par José Bové à l’époque député européen écolo ? Qui se souvient de la position de Ségolène Royal alors Ministre de l’environnement qui voulait « examiner juridiquement la façon d’interdire l’importation de gaz de schiste américain » ? Qui se souvient de la déclaration solennelle de François Hollande « tant que je serai président, il n'y aura pas d'exploration de gaz de schiste » ; exploration et non exploitation…nous n’étions même pas autorisés à regarder ! L’ancien Président qui a« solennellement appelé à arrêter d’acheter du gaz russe » ferait bien de balayer sous sa porte ! 

Le résultat se lit à travers les importations européennes de gaz Russe passées de 26% en 2010 à 42% en 2021 : elles représentent aujourd’hui 160 milliards de mètres cubes par an. Un volume impossible à substituer. Les volumes supplémentaires fournis par l’Algérie, la Norvège ou les Etats-Unis sous forme de GNL ne couvriront qu’une partie chétive de ces 160 bcm. Aussi, les Européens sont-ils sommés de se serrer la ceinture et de limiter leur consommation de gaz pour compense le manque russe. Mais, sur ce point tous les Etats membres ne sont pas sur un pied d’égalité. 

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En France, la consommation de gaz compte pour 18% du mix énergétique dont 17% de gaz Russe. En d’autres termes, le gaz russe compte pour 3% de la consommation énergétique française. En revanche, outre Rhin ce chiffre monte à 16%. Si réduire « en un clic » sa consommation énergétique de 3% est significatif c’est économiquement et socialement possible (la consommation d’énergie s’est réduite de 1% en moyenne au cours des 20 dernières années). En revanche réduire de 15% n’est pas possible sans entrer en récession économique. A titre d’exemple, durant le confinement pandémique de 2020, la consommation d’énergie en France s’était réduite de 10%. Parallèlement le PIB s’était contracté de 7%. 

Préserver les ressources du pays sans s’afficher comme le «radin» de l’Europe, quels choix pouvait faire Emmanuel Macron pour maintenir un équilibre entre solidarité européenne et intérêts nationaux ?

Avec 3% de dépendance gazière, la France se trouvait dans une situation très favorable par rapport à l’Allemagne. Une situation qui lui permettait de décider seule de l’ampleur de l’aide gazière qu’elle pouvait fournir à son voisin tout en préservant ses intérêts nationaux. 

Malheureusement à la situation gazière est venue se greffer une situation électrique franco-française imprévue. 32 réacteurs nucléaires français étant actuellement à l’arrêt pour différents problèmes de maintenance et de panne, la France est obligée d’importer massivement de l’électricité. « Electricité contre gaz » la France n’a plus son destin en main et devra accepter une sobriété énergétique bien supérieure aux 3% initialement nécessaires pour se passer du gaz Russe. Les chiffres les plus fous ont circulé : 15% pour l’Allemagne, 10% pour la France ! Dans son discours, la Première Ministre Elisabeth Borne semble avoir révisé ses ambitions à la baisse avec 10% sur deux ans. Ce n’est pas en réglant son chauffage à 19° ni en télétravaillant qu’on réduira la consommation du pays de 5 à 10 points. Comme l’a justement fait remarquer dans l’Opinion Agnés Verdier Molinié directrice de l’iFRAP: « pour arriver à -10% de consommation d’énergie, il faudra arrêter la production de nombre de nos usines…Lorsque les entreprises produisent moins, que les Français consomment moins d’énergie et se déplacent moins, cela a un effet sur la croissance ». Ce que Madame Borne nous présente comme un plan de sobriété choisi est en réalité un plan de rationnement dans la douleur ! 

Contrairement à ce que ressasse chaque jour la première ministre, il ne s’agit pas d’un effort partagé au nom d’une noble cause : « défendre la démocratie en supportant l’Ukraine contre la Russie et combattre le réchauffement climatique ». Derrière le discours de la Première Ministre se cachent 20 ans d’errements énergétiques et géopolitiques sous la houlette de Verts impénitents continuant de nous ressasser que le futur est dans le 100% renouvelable. 20 années au cours desquelles les exécutifs successifs n’ont jamais amorcé l’ombre d’un mea-culpa. 

En termes de sécurité industrielle, les progrès reposent d’abord et avant tout sur une reconnaissance et une analyse des erreurs passées. Sans un minimum de repentance aucun progrès ne sera possible et les mêmes accidents se reproduiront. N’en déplaise à Madame Borne, la politique n’échappe pas à la règle.

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