Quand le système explose de l'intérieur : qui pourrait être tenté d'être un Boris Johnson français ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Quand le système explose de l'intérieur : qui pourrait être tenté d'être un Boris Johnson français ?
©Darren Staples / Reuters

Et en France, ça donnerait quoi ?

Aussi bien sur le fond que sur la forme, l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, incarne la nouvelle figure de la transgression en politique. Des caractéristiques que peu de personnalités politiques en France présentent totalement à l'heure actuelle.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : La campagne britannique en faveur du Brexit a été portée par la personnalité très populaire de l'ancien maire de Londres, Boris Johnson. En quoi cet homme politique a-t-il joué un rôle décisif, en s'opposant au leader de son parti tout en évitant les écueils de la position dite "droitière" de personnalités telles que Nigel Farage, du parti UKIP ? Quel serait le portrait-robot, en France, d'une telle personnalité, ancrée dans un parti de gouvernement tout en affichant un discours transgressif ?

Jean Petaux : Boris Johnson a été doublement transgressif : dans la forme et sur le fond. C’est cette double transgression qui lui a permis de rallier à lui un large électorat populaire totalement en rupture avec l’establishment londonien. Au plan formel, tout le monde connaît son style, son franc-parler et son côté iconoclaste. C’est une forme de "hooligan" au sein d’un personnel politique extrêmement policé et répondant à des règles strictes. Ses outrances et ses entorses (toujours d’ailleurs très contrôlées) au protocole britannique ont fait son succès comme maire de Londres dans une mégapole plutôt travailliste (comme l’a montré la dernière élection municipale à laquelle il ne participait plus). Boris Johnson n’a reculé par ailleurs devant aucun argument "trash" et faux. D’une certaine manière, il en a tellement fait dans ce registre (seconde transgression portant sur le discours cette fois) qu’il a "saturé" Nigel Farage et l’a contourné sur sa droite en en rajoutant dans l’outrance et la mauvaise foi. Même la presse tabloïd (le Sun, le Mirrorou le Telegrapha parfois été "shocked" par les outrances de Boris Johnson.

Le plus cocasse dans tout cela (à moins que ce ne soit le pire), c’est que Johnson est un pur produit de la upper class (élite) britannique. Il a été scolarisé à Eton (la plus select des écoles anglaises) puis a rejoint Oxford où il a même été élu président de l’union des étudiants de la prestigieuse université. Johnson s’est servi de son histoire et de son parcours pour montrer sa différence. C’est une configuration très classique chez les leaders politiques : Staline a été séminariste orthodoxe avant de rejoindre les rangs du "Parti Socialiste de Russie" ; Mussolini a été socialiste avant de fonder le fascisme en Italie, etc.

Le portrait-robot d’une telle personnalité en France devrait donc reprendre ce trait essentiel : apparaître comme un "repenti" ; quelqu’un qui "trahirait" ses origines et son parti. Cette trahison ne serait pas alors perçue comme telle mais plutôt comme une "prise de conscience" de la part de quelqu’un qui serait d’autant plus dur et violent contre ses anciens "camarades" ou "compagnons" qu’il saurait tout sur eux, qu’il dénoncerait tous leurs travers, leurs grands et petits secrets. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’électorat ne voit pas dans ce type de personnalité politique la figure d’un "Judas" ou d’un "Ganelon" (ce qui saute aux yeux de toute personne ayant un tant soit peu de sens critique) mais, au contraire, lui voue une sorte d’admiration sans limite comme si le leader en question avait su triompher de son "alcoolisme idéologique" et devenait le principal contempteur de ceux qui furent ses amis hier. Saint-Paul, "chasseur  de chrétiens" pour les Romains se convertit et devient l’un des pères de l’Eglise à peine née. Jacques Doriot, député-maire de Saint-Denis, l’un des leaders du Parti communiste jusqu’en 1934, fonde le PPF en 1936 et devient l’un des grands chefs de la Collaboration avec les nazis, fonde la Légion des Volontaires français contre le bolchevisme (LVF), meurt en Allemagne le 22 février 1945…

Ce succès que les traîtres à leur cause originelle rencontre auprès de ceux qui sont particulièrement sensibles à la démagogie, et qui seront d’ailleurs les prochaines victimes de l’action de ces démagogues, est une des manifestations du fait que les "peuples ne sont pas aimables" comme l’écrit fort bien Yves Harté dans son éditorial de "Sud Ouest" ce samedi.

Quelles sont les chances de réussite politique d'une personnalité "transgressive" issue d'un parti de gouvernement en France ? L'électorat pourrait-il répondre favorablement à une telle offre ? En quoi un discours plus direct, tenu par une personnalité considérée comme modérée, pourrait-il changer la donne ? La France souffre-t-elle d'un manque de personnalités susceptibles de tenir un tel discours ?

La difficulté est réelle pour opérer une sorte de transposition de la situation britannique au contexte français. La première cause de cette difficulté tient peut-être à la particularité du référendum. Ce type de consultation (très rare au Royaume-Uni) est peut-être plus propice à l’émergence d’une personnalité "transgressive" au sein d’une grande formation de gouvernement. En 1992 par exemple, pour le référendum sur le Traité de Maastricht, on a ainsi pu voir "éclater" la personnalité de Philippe Seguin qui a défendu la ligne du "non" en opposition à la majorité de son parti et à la position défendue par Jacques Chirac. La transgression était bien réelle et elle a failli l’emporter. De la même manière, en 2005, Laurent Fabius, défendant le "non" au TCE a occupé cette "place" (ou cette "posture") au sein du Parti socialiste. Il n’y a pas de référendum prévu d’ici 2017 en France (selon toute vraisemblance) et cela rend plus compliquée encore l’émergence d’une personnalité de type transgressif dans un des deux grands "blocs de gouvernement".

Si l'on regarde les différents profils à droite (du côté de LR) ou au centre-droit (MODEM) on trouve quelques personnalités qui pourraient répondre au "casting", mais elles ne sont qu’incomplètement dans la transgression, jamais dans le transgressif de contenant et de contenu. Bruno Le Maire par exemple. Bien que pur produit des élites françaises (Normal Sup’, ENA, haut-fonctionnaire, etc.), il "cogne" sur les hauts fonctionnaires, exige d’eux qu’ils démissionnent (comme il l’a fait) de la fonction publique s’ils veulent faire de la politique, il demande même un référendum sur l’Europe, autrement dit il instrumentalise l’Europe pour faire un "coup" politique intérieur par rapport à ses camarades de la primaire (ce qui montre, au passage, qu’il ne manque ni de cynisme ni d’ambition, c’est donc un vrai "politique"). Mais à côté de cette "transgression de contenu", l’homme affiche le profil du parfait gendre idéal, propre sur lui, érudit de musique et pas du tout "popu" pour deux sous. S’il lui prenait l’envie de jouer au "bad boy" (à la Boris Johnson) tout le monde croirait que le "petit fayot premier de la classe" a voulu voir ce que ça faisait, une seule fois dans sa vie, d’aller au coin en lançant un avion en papier dans le dos du prof.

Nicolas Sarkozy, aussi étrange que cela puisse paraître alors qu’il a été président de la République cinq ans, pourrait être un vrai  "transgressif" de forme et de fond. Pour la forme : on a déjà vu. Un président en exercice qui dit à un type qu’il croise dans les allées du Salon de l’Agriculture "Alors casse toi pov’ con !", c’est tout à fait transgressif eu égard à la fonction présidentielle. Un président de la République qui mesure moins d’1,70 m et qui propose à un marin-pêcheur qui le dépasse de deux têtes et fait deux fois son poids, de venir se battre avec lui ("Allez descends ici me le dire !...Viens voir un peu en bas… Descends !") alors qu’il est entouré de six "gorilles", c’est aussi assez transgressif. Donc, sur ce plan, Nicolas Sarkozy n’a de leçon à prendre de personne. Reste le fond du propos. Il peut être réellement transgressif ici aussi s’il ose prendre des positions très différentes de celles de son parti. Un peu comme il l’a fait en 2007 en invoquant les mânes de Jaures. Sur un autre registre (celui de la "France d’abord"), on pourrait concevoir qu’en septembre 2016, au moment du lancement officiel de la campagne des primaires de la droite, Nicolas Sarkozy annonce une possible sortie de l’UE, un refus des injonctions de la Commission européenne ou alors une sortie de la zone euro, pourquoi pas… Ce côté "je renverse la table" qu’on a déjà connu chez Nicolas Sarkozy (dans les discours, rarement dans les actes) pourrait redevenir la ligne de conduite de l’ancien président de la République dans sa campagne de la primaire pour "bordurer" ses concurrents directs comme Alain Juppé, empêtré dans sa position de favori des sondages.

Au PS, Arnaud Montebourg semble, sur le fond, être proche de la transgression. Comme il est capable de dire tout et son contraire et qu’il multiplie les discours "à l’emporte-pièce" faits de formules "chics et chocs", son propos peut facilement apparaître comme en rupture ou, à tout le moins, "borderline" par rapport à la doctrine officielle du PS… Et comme il n’y a pratiquement plus de doctrine officielle rue de Solférino, le moindre écart de langage peut vite apparaître comme une "dissidence courageuse" voire une "fronde porteuse d’espérance !". Mais, là encore, comme pour Bruno Le Maire, le style et la forme chez Montebourg sont tout sauf transgressifs. Montebourg est tellement "précieux" voire "ridicule" (au sens du film éponyme de Patrice Leconte) dans son expression qu’il a même laissé penser, jadis, qu’il s’appelait "de Montebourg"… C’est dire le côté "bon chic bon genre", voire snob de l'homme.

A tout prendre, c’est peut-être François Hollande qui s’est montré le plus transgressif au PS depuis longtemps, en se déclarant depuis au moins trois années comme clairement "social-démocrate" voire "social-libéral". Le premier item cité était un tabou fondateur jusqu’alors pour un parti qui regardait le congrès de "Bad Godesberg" du SPD allemand (1959) avec un dégoût profond. Le second item ("social-libéral") est de nature à vous faire exclure du même Parti socialiste (qui n’est pourtant même plus capable de virer de ses rangs ses candidats non-investis officiellement, c’est dire l’importance du "crime" !). Eh bien Hollande a transgressé ces interdits, il a foulé aux pieds les vieilles lunes branlantes de l’aile gauche de son parti qui n’a pas (encore) explosé pour autant. Reste la "transgression de forme" chez Hollande. On a peine à la trouver. Sauf à imaginer qu’à cultiver à ce point l’impopularité et le rejet, tel un joueur de judo ou un sumotori cher à son "ami Chirac", il s’en serve et renverse la table et la tendance en même temps.

Certains commencent déjà à affirmer que Boris Johnson pourrait être nommé Premier ministre en octobre prochain et succéder à David Cameron. Boris Johnson pourrait-il faire des émules dans les autres pays européens ? Est-il l'initiateur d'une nouvelle forme de pratique politique en Europe ?

L’avenir le dira bien évidemment. Les exemples récents auraient tendance à amener une réponse négative à votre question. On a vu ainsi des personnalités "transgressives" comme Beppe Grillo en Italie ne pas résister à la pression et perdre de leur superbe. Les récents succès des candidates "Cinq étoiles" à Rome et à Turin montrent au contraire deux personnalités tout à fait "dans la norme" et pas du tout "en rupture" formelle. Certes, la nouvelle maire de Turin, Chiara Appendino, économiste de 31 ans, est peut-être en rupture avec son milieu d’origine (la haute bourgeoisie turinoise), mais elle n’est absolument pas dans la transgression de la forme de l’expression politique. Pablo Iglesias avec Podemos en Espagne cultive à grand renfort de com’ sa différence formelle, mais à l’égard de l’indépendance de la Catalogne, c’est un "bon castillan" et madrilène qui ne souhaite pas que la Catalogne quitte le royaume. Royaume dont Iglesias, d’ailleurs, ne demande pas l’abolition. On a vu, en Grèce, comment Tsipras, pour "transgressif" qu’il ait pu apparaître, est rentré dans le rang sans trop de résistance. Quant à la transgression du professeur d’économie Varoufakis, éphémère ministre de l’Economie d’Athènes, elle s’arrête évidemment à la porte des conférences internationales qu’il "donne"… En d’autres termes, peut-être faut-il voir dans la victoire d’un Boris Johnson au Royaume-Uni, dans le Brexit, une de ces spécialités dont les Anglais ont le secret. Peut-être faut-il aussi redoubler de prudence sur la réalité-même du Brexit avec un Johnson Premier ministre en charge de négocier avec Bruxelles la "sortie" du Royaume-Uni de l’Europe. Après tout, ce ne serait pas la première fois que croyant voter pour une politique, un peuple voit se mettre en place une autre orientation. Ce ne serait pas la première fois non plus qu’un dirigeant britannique parviendrait à "rouler dans la farine" le Vieux Continent tout entier et à tromper son monde. "In and out"...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !