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Quand l'extrême-droite liait "l'arrivée des Nord-Africains" à l'homosexualité en France
©Reuters

Bonnes feuilles

En 1962, l’indépendance algérienne transforme le rapport des Français aux « Arabes ». L’extrême droite, qui veut contrer tout effort de penser le passé colonial, développe aussitôt un discours non plus centré sur l’empire et sur l’Algérie, mais sur la France elle-même : l’homme arabe, violent, violeur, vorace, vient « envahir » la France par le biais de l’immigration. À partir de Mai 68, un autre discours, arabophile celui-là, tenu par une large partie de la nouvelle gauche, défend un homme révolutionnaire arabe viril, vaillant. Extrait de "Mâle décolonisation" de Todd Shepard aux Editions Payot (1/2).

Todd Shepard

Todd Shepard

Todd Shepard, historien, enseigne à l'université Johns Hopkins (Etats-Unis).

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L’homosexualité masculine, à leurs yeux, expliquait beaucoup de choses. Plus loin dans son article, Brigneau faisait une digression et suggérait : « Nouveau sujet [de livre] pour M. Aron : de l’importance du pénis dans la propagande du FLN. » L’éditorialiste, caustique, faisait le lien entre cette explication de l’humiliation française de 1962 et son insinuation que la vie sexuelle d’Aron impliquait, à l’époque, des Arabes. Il sous-entendait lourdement que les pratiques et les désirs homosexuels masculins avaient permis à la sexualité arabe d’attaquer la France. Quelques mois plus tard, un militant d’extrême droite, jugé à Toulouse pour une agression à main armée contre plusieurs hommes dans un parc, établit un parallèle un peu différent. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il se baladait avec un poing américain, il répondit : « Parce que je me suis déjà fait agresser par des Arabes et des gauchistes. » Néanmoins il s’était servi de cette arme pour se livrer à ce que le journal appelait « la chasse aux pédés ». Ce lien entre l’extrême gauche, les « Arabes » et les homosexuels était révélateur.

On le verra dans les chapitres suivants, l’extrême droite continua de tenir régulièrement des propos contradictoires sur la déviance sexuelle des Arabes. Toutefois, les efforts constants, de plus en plus nombreux après 1968, pour associer la supposée sexualité dangereuse des Arabes à l’homosexualité furent particulièrement efficaces. Ces idées s’inspiraient directement de théories qui s’étaient forgées au fil des discussions de l’extrême droite tout au long des années 1960. Par exemple, en 1965, un article de Rivarol prévenait les lecteurs : « S’il est vrai que le nombre des homosexuels va croissant, ils vont devenir un “phénomène social”, un “fait social”, et à ce titre, ils auront droit à toutes les sollicitudes… Tout comme les lecteurs de Mme [Françoise] Sagan, les séides de “Môssieu” [Ahmed] Ben Bella et les fans de Jonny [sic] Halliday. » L’article accusait les responsables de la lutte contre l’oppression des homosexuels d’être proches de l’Algérie et de l’extrême gauche, tel cet « universitaire à la fois distingué, progressiste chrétien et pro-fellagha », et les homosexuels d’avoir aidé à la destruction de l’Algérie française, au motif « que les étreintes de saint Genet ont contribué à la libération de l’Algérie (le FLN prélevant sa dîme sur les résultats financiers de ses “amours”) ». Cette lutte, disait l’auteur, était soutenue par le gouvernement gaulliste, notamment l’ancien Premier ministre « Michel Debré dit Fidèle Castré », et leur objectif commun était, comble de l’horreur, « la progressive indifférenciation des sexes », rien de moins. « Plus de sexe du tout ! Liquidés, enfin, les complexes !… Nous sommes en pleine extravagance nauséeuse. » Ces arguments trouveront d’ailleurs une nouvelle vigueur quelques décennies plus tard, surtout entre 2012 et 2014, avec la Manif pour tous.

En 1970, cherchant à expliquer la place croissante prise par le débat sur l’homosexualité en France, un journal sulfureux de droite rappelait comment, « à la Libération, l’arrivée des Nord-Africains… encourage[a] cette vague d’homosexualité ». Cette interprétation ne repose sur aucun élément.

Il serait tout aussi erroné de croire que la rhétorique et les manipulations de l’extrême droite permirent à elles seules à ces théories de faire mouche dans les débats français. Car ce succès tenait en grande partie au nouveau contexte politique de l’après-68, façonné par la révolution sexuelle.

Les arguments antiracistes de l’après-décolonisation (et de l’après-Shoah) avaient plus de force que jamais, surtout si l’on pense à l’entre-deux-guerres. Les antiracistes dénonçaient avec férocité l’extrême droite marginalisée et ses discours sur « les Arabes », notamment ceux liés à la sexualité. Ce débat était nouveau. Le chapitre suivant étudie justement « cette vague », en particulier le mouvement radical de libération homosexuelle qui agita la scène française, déjà bouillonnante, au début de 1971. Parmi ses militants, et d’une manière qui semble faire écho aux arguments de l’extrême droite, beaucoup se référèrent aux liens entre les Arabes et les homosexuels.

Mais ils le firent au nom de ce que ce nouveau mouvement estimait être une lutte révolutionnaire, afin de rappeler aux Français l’importance du passé impérial de leur pays et de célébrer la résistance anticoloniale des Maghrébins, toujours à l’œuvre.

©Editions Payot & Rivages, Paris, 2017.

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