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Un site de production de médicaments du laboratoire Merck.
Un site de production de médicaments du laboratoire Merck.
©PHILIPPE MERLE / AFP

Industrie

La crise sanitaire a révélé les tensions qui pèsent sur tous les secteurs de notre industrie. La pandémie de Covid-19 a permis de prendre conscience de la nécessité de transformer la production de médicaments sur notre territoire. Notre dépendance aux marchés étrangers est-elle réversible ?

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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La prise de conscience de notre fragilité dans le domaine de la santé et plus particulièrement dans celui des produits pharmaceutiques s’est généralisée à l’occasion de la crise du Covid. Cela faisait des années qu’aussi bien à propos des vaccins que des médicaments, biologistes, médecins, industriels alertaient de nos insuffisances et de nos pertes de compétences et de souveraineté, mais ils n’étaient ni écoutés ni entendus. Aussi le réveil a été difficile car il s’accompagnait d’un émoi sur le manque de masques, de respirateurs, et surtout de lits dans les hôpitaux et de personnel soignant. La fierté dans notre système de santé disparut alors en quelques semaines, mais le fossé s’est encore plus ouvert lorsque des médicaments comme le « doliprane » ont été rationnés et lorsquenotre appareil industriel s’est avéré dépendant à 80 % des principes actifs venant de Chine et d’Inde tandis que notre entreprise « vedette » Sanofi se montrait incapable de mettre au point un vaccin contre la pandémie.

Depuis cette débandade, les décideurs nationaux nous disent qu’ils redressent la barre, qu’ils ont compris notre situation déplorable et qu’ils mettent de l’argent sur la table pour y trouver remède rapidement pour que nous retrouvions confiance. Les annonces se multiplient, les visites officielles aussi, avec pêlemêle la création d’une société Euroapi, spin-off de Sanofi, dédiée aux principes actifs, et des financements publics pour des investissements dans des installations modernes permettant de « rapatrier » en France des fabrications jugées impératives comme le paracétamol (pour le doliprane), ou le propofol (anesthésiste) ou l’adrénaline (réanimation)… mais pouvons-nous dire, pour autant, que le problème est traité et que la population peut dormir tranquille ?

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Après l’observation de l’existence de 4000 principes actifs chimiques utilisés dans nos médicaments en Europe, de plus de 90% provenant d’Asie et de pénuries occasionnelles pour environ le quart d’entre eux, on aurait attendu une analyse, un diagnostic, de la raison de leur délocalisation accélérée (et dangereuse) durant ces vingt dernières années. Un argumentaire vague, celui du moindre cout, vient rassurer tous les ennemis de ces sociétés pharmaceutiques âpres au gain et ne vivant que pour gagner de l’argent en payant le moins possible son personnel. S’il est incontestable que la rentabilité a été le maitre mot de ces départs orchestrés vers l’Inde et la Chine, il ne faudrait pas en conclure que le cout du travail en est la cause principale. En fait puisqu’il s’agit de chimie, c’est le programme européen REACH qui a poursuivi les industriels sur les conditions de fabrication des produits chimiques qui a été la cause principale de bien des déménagements, c’est-à-dire que les investissements de « précaution » et les contrôles étaient tels qu’un déménagement dans des pays moins regardants étaient la meilleure solution pour préserver les entreprises chimiques d’une issue fatale. L’érosion de l’industrie chimique européenne, sa spécialisation sur des niches peu nombreuses ont été programmées, voulues, par les gouvernements européens et finalement acceptées par les industriels eux-mêmes puisque cela apparaissait la volonté du peuple, des peuples. Et c’est toute l’ambiguïté , (l’hypocrisie ?) de la pureté voulue par les protecteurs de l’environnement dogmatiques de vouloir protéger leurs populations électorales au détriment de toutes les autres en se fermant les yeux sur le fonctionnement réel de l’industrie à travers les continents. Il fallait éradiquer les produits sales ou dangereux chez nous et se fournir « ailleurs » , c’est-à-dire « nulle part ». La dépendance et les pénuries qui en ont découlé, nous les avons créées, voulues elles n’étaient ni souhaitables ni inéluctables, il fallait simplement accepter de regarder les choses en face, les normes et règlements qui conduisaient à des dépenses trop importantes ont fait déménager une partie de notre industrie chimique !

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L’introduction « généreuse » des génériques a été le deuxième étage de la fusée « délocalisation » au milieu des années 1990. Le passage dans le domaine public de certains médicaments a conduit à la perte de 80% du chiffre d’affaires du produit d’origine. Il fallait donc précipiter la mise en place de structures allant chercher le principe actif là où il était le moins cher, c’est-à-dire dans des pays à faible règlementation environnementale. Cette politique a conduit à une grande phase de concentration de l’industrie pharmaceutique, à une délocalisation des usines chimiques de base en Chine et en Inde, et à des prix des nouveaux médicaments « pointus » très élevés pour amortir en très peu d’années les frais de recherche-développement et essais cliniques. Les incertitudes de rentabilité à moyen terme se paient donc chez le consommateur lors de la mise sur le marché des nouveaux médicaments.

Entre la politique environnementale qui éloigne les usines de France (et d’Europe) et celle des génériques qui a conduit à la chasse au moindre cout, on a les deux causes essentielles des pénuries éventuelles au bout de vingt ans.

Et maintenant ? Des progrès significatifs ont été réalisés qui permettent sans doute dans bien des cas un rapatriement possible de certains produits chimiques en Europe, mais à un cout encore supérieur et surtout à beaucoup d’ennuis et de contrôles qui font encore hésiter, surtout l’industrie chimique française qui a beaucoup souffert d’une surrèglementation par rapport à ses concurrents européens et d’un surcroit de bureaucratie tatillonne et malveillante. Nous sommes dans un pays qui n’aime pas la chimie, qui a entretenu les peurs à ce sujet et qui en a pris ombrage aussi pour les plastiques, un pays qui a mal digéré le « principe de précaution » introduit dans la Constitution. On peut donc se gargariser de quelques avancées ici ou là à grands renforts de subventions, mais ce sont des fonds et des sociétés étrangères qui en bénéficient aujourd’hui, nos pépites comme Seqens ou Novasep se vendent pour se protéger et ce sont le plus souvent des filiales de sociétés pharmaceutiques internationales qui se mettent à croire en la pérennité de la chimie nationale… un comble mais il est vrai qu’un des slogans actuels est que nous devenons « attractifs » avec « Choose France » !

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En attaquant le déficit de la Sécurité sociale en pointant du doigt le prix des médicaments et les honteux bénéfices des sociétés pharmaceutiques on a certainement cru bien faire mais les conséquences des mesures prises auraient du inclure celles sur le secteur industriel. La disparition d’une grande partie des entreprises petites et moyennes familiales, absorbées soit par Sanofi soit par des grandes entreprises étrangères a été l’effet le plus immédiat, mais la disparition d’une grande partie des sites industriels a été encore plus dévastateur. Pour revenir à une réindustrialisation réelle du secteur il faudrait sans doute une réelle réflexion sur la capacité de notre pays à accepter, de nouveau, une industrie chimique respectueuse de l’environnement et néanmoins compétitive. On peut considérer que les conditions de fabrication des produits de base nécessitent des investissements dont le prix est plus du double chez nous par rapport à l’Asie. Rapatrier ces fabrications c’est accepter un renchérissement des produits pour le consommateur : le pouvons-nous, le voulons-nous ? Souhaitons-nous un secteur industriel concentré, c’est-à-dire la disparition automatique des start-ups après les premières phases d’essais cliniques ou voulons-nous voir éclore et murir des entreprises innovantes et dynamiques ? C’est la deuxième question à laquelle il faut aussi répondre, avec un Fonds d’intervention en Fonds propres dédié comme aux USA ? Une nouvelle politique de santé en quelque sorte !

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