Politique pénale : le Syndicat de la magistrature a-t-il fait plier Nicolas Sarkozy lorsqu’il était président ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Justice
Hervé Lehman publie « Soyez partiaux ! Itinéraire de la gauche judiciaire » aux éditions du Cerf.
Hervé Lehman publie « Soyez partiaux ! Itinéraire de la gauche judiciaire » aux éditions du Cerf.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Bonnes feuilles

Hervé Lehman publie « Soyez partiaux ! Itinéraire de la gauche judiciaire » aux éditions du Cerf. Des salles des prétoires aux cabinets ministériels, des projets de loi aux coups médiatiques, Hervé Lehman dévoile la face cachée du Syndicat de la magistrature. Extrait 2/2.

Hervé Lehman

Hervé Lehman

Ancien juge d’instruction, avocat au barreau de Paris, Hervé Lehman est l’auteur de Justice, une lenteur coupable (2002). Il a participé à la rédaction du rapport de l’Institut Montaigne sur la réforme de la Justice (Pour la Justice). Il est l'auteur du livre "Le procès Fillon" (Cerf, mars 2018) et vient de publier "L’air de la calomnie- une histoire de la diffamation" aux Editions du Cerf (2020). 

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Nicolas Sarkozy a-t-il mené une politique judiciaire de gauche ? La question peut paraître relever de la provo‑ cation tant l’homme a fait l’objet d’une hostilité absolue de la part du Syndicat. On trouvera en places d’honneur sur le fameux « Mur des cons » l’ancien président de la République et plusieurs de ses ministres : Brice Hortefeux (qualifié d’homme de Vichy), Éric Woerth, François Baroin, Nadine Morano, Éric Besson, Michèle Alliot-Marie, Luc Chatel, ou des proches comme Patrick Balkany ou Philippe Courroye. La détestation affichée par le Syndicat à l’égard de Nicolas Sarkozy a commencé lors de l’affaire Human bomb, et elle a éclaté lorsque le maire de Neuilly est devenu ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac. Les différends entre les syndicats de  magistrats et les ministres en charge de la police sont choses banales, mais pas à ce niveau d’acrimonie.

Ainsi par exemple, dans un communiqué du 8 juin 2006, le Syndicat titrait  : « Le délinquant Sarkozy récidive. » Et on lisait  : « Le Syndicat de la magistrature a déjà eu l’occasion d’adresser au ministre de l’Intérieur un rappel à la loi envers ses dérapages verbaux de l’an passé. Face à un nouveau passage à l’acte et devant la menace de récidive, le Syndicat de la magistrature se réserve la possibilité de saisir la Cour de Justice de la République de cette infraction. […] Faute d’amendement, cet avertissement sera le dernier avant poursuites. »

En mars  2007, lorsque Nicolas Sarkozy a quitté le ministère de l’Intérieur, le Syndicat a indiqué que cela était « une bonne nouvelle pour l’État de droit. Le Syndicat de la magistrature se réjouit du départ annoncé de Nicolas Sarkozy du gouvernement. […] Au mépris du principe de séparation des pouvoirs, Nicolas Sarkozy a aussi multiplié les attaques démagogiques à l’égard des magistrats considérés comme laxistes. Il a sans cesse confondu ses responsabilités ministérielles et celles de chef du parti majoritaire, n’hésitant pas à donner à l’opinion publique des informations tronquées ou fallacieuses sur l’activité judiciaire. Nicolas Sarkozy a ainsi profondément déstabilisé le fonctionnement normal des institutions, donc de l’État de droit. Ce bilan est particulièrement inquiétant pour un candidat à la présidence de la République, qui aspire à devenir le garant de l’indépendance de la magistrature. »

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Dans un communiqué du 5  mars 2012, le Syndicat affirmait : « Nicolas Sarkozy propose de continuer à saccager la justice pendant cinq ans, au nom d’une lutte contre la délinquance qu’il a été incapable de mener pendant dix ans. […] Ce président-là, ce candidat en mal de popularité, s’accroche au pouvoir en raclant les fonds de tiroir de la droite la plus rance, se moque éperdument de la réalité judiciaire. […] Les choses sont claires en effet : Nicolas Sarkozy ne sert pas la République, il s’en sert. »

Lors de l’élection présidentielle de 2012, le Syndicat a adressé à celui qui était alors président de la République en exercice une « lettre ouverte à Nico‑ las Sarkozy sur l’état de la justice après Nicolas Sarkozy », commençant par « Monsieur le candidat », et dans laquelle on peut lire une litanie de reproches tels que : « Décembre 2002 : ministre de l’Intérieur, vous contestez la remise en liberté, par des magistrats de Créteil, d’étrangers pourtant retenus illégalement. Octobre 2003 : vous réclamez la punition de magistrats de Bobigny contraints d’interrompre une audience faute d’escortes policières pour les prévenus détenus. […] Septembre 2010 : votre ministre de l’Intérieur fait part de sa “vive indignation” et vousmême de votre “incompréhension” après la décision d’un juge de Grenoble de placer sous contrôle judiciaire le suspect d’un braquage, décision confirmée ensuite par la cour d’appel. »

Après cette longue liste de critiques, le président du Syndicat concluait : « C’est pour l’ensemble de ces raisons, Monsieur le candidat, et tant d’autres qu’il serait trop long de détailler ici, que nous avons décidé en conscience d’appeler à voter contre vous au second tour de l’élection présidentielle. Ce n’est pas anodin, nous en sommes parfaitement conscients. […] Cela fait dix ans que nous dénonçons la particulière nocivité de votre politique pour la justice et les libertés dans ce pays, nous n’avons pas l’habitude d’avancer masqués, nous avions déjà appelé à voter contre vous en 2007 et nous avons davantage encore de raisons de le faire en 2012, votre bilan s’étant considérablement alourdi. »

Et c’est vrai que le programme de 2007 de l’ancien ministre de l’Intérieur prévoit une mesure qui heurte de front le Syndicat  : les peines planchers. Pour le candidat de la droite à l’élection présidentielle, la lutte contre la délinquance passe par une automaticité de la peine de prison pour un récidiviste. La notion d’automaticité heurte les syndicats de magistrats dans leur ensemble, parce qu’elle porte atteinte à la liberté de choix du juge dans l’individualisation de la peine. À cette critique, le Syndicat ajoute celle de favoriser les peines d’emprisonnement ferme en rendant impossible l’application du sursis ou de peines de substitution.

Dans un communiqué du 8  juin 2007, le Syndicat écrit  : « Peu importe la réelle gravité des faits comme la personnalité de l’auteur, le texte foule aux pieds le principe d’individualisation de la peine qu’il relègue au rang de simple exception. La justice pénale devient alors une simple machine à punir indifférente aux réalités des personnes qu’elle est amenée à juger. […]  L’objectif que [le projet de loi] poursuit nous paraît totalement illusoire et même contre-productif. Les prisons françaises, nous le savons, ne sont pas le lieu où l’on réinsère mais un lieu où l’exclusion et la violence aggravent souvent les problématiques des plus fragiles. […] La peine de mort n’a jamais dissuadé du crime et les systèmes étrangers qui ont choisi de recourir aux peines planchers n’ont jamais démontré leur capacité à lutter contre la délinquance. »

Dans un climat de ferme opposition des syndicats de magistrats, des avocats et de l’opposition, le Parlement adopte la loi du 10  août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, dite « loi Dati ». Elle instaure donc des peines planchers, telle que celle d’un an pour le récidiviste qui a commis un délit punissable de trois ans d’emprisonnement, ce qui est le cas du vol simple, ou de quatre ans pour un délit punissable de dix ans d’emprisonnement comme par exemple le trafic de stupéfiants.

Mais l’hostilité marquée par les syndicats de magistrats, et la crainte de la censure du Conseil constitutionnel en raison de l’atteinte à l’individualisation de la peine, amène le législateur à introduire la possibilité pour le juge de déroger à l’application de la peine plan‑ cher par une décision motivée en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties de réinsertion. Les juges vont s’engouffrer dans la brèche, et les peines planchers ne seront dans la pratique appliquées que dans 38 % des cas éligibles ; rien ne permet d’ailleurs de dire que ces peines n’auraient pas été prononcées en l’absence d’adoption de la loi Dati. De fait, si François Hollande et Christiane Taubira feront abolir le texte, ce ne sera que deux ans après leur accession au pouvoir, par la loi du 15  août 2014, car l’utilisation de la dérogation par les juges dans la majorité des cas vidait de facto cette réforme d’un effet réel. Mais il est certain que le projet de peines planchers, le terme même employé par Nicolas Sarkozy rappelant celui de tolérance zéro, a permis au Syndicat d’être conforté dans sa conviction que « le délinquant Sarkozy récidivait » dans ses errements répressifs.

Et pourtant, au-delà de ce texte, Nicolas Sarkozy a fait adopter trois réformes majeures qui allaient dans le sens souhaité par la gauche judiciaire.

La première de ces réformes est la limitation de la « double peine ». On appelait ainsi la possibilité, pour un étranger condamné par une juridiction pénale de faire l’objet d’un arrêté d’expulsion. Au début des années 2000, les associations d’aide aux étrangers, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et les forces de gauche en général, luttent contre ce mécanisme. Le terme de « double peine » entre dans le langage commun ; il contient en lui-même une critique implicite, comme s’il était injuste d’être condamné deux fois pour les mêmes faits. Le terme joue sur l’ambiguïté entre la notion de double condamnation, qui est interdite par la règle traditionnelle « non bis in idem », et celle de peines multiples. En réalité, le droit pénal pratique couramment les peines multiples : on peut être condamné à une peine d’emprisonnement et à une peine d’amende, et à une confiscation, à une inéligibilité, et ainsi de suite. De même, une condamnation pénale peut s’accompagner d’une sanction disciplinaire, par exemple pour un fonctionnaire ou un avocat.

Toutefois, le travail de persuasion menée par les défenseurs des étrangers va se révéler très efficace. Sont mis en avant des cas dans lesquels sont expulsées des personnes nées en France, y ont grandi et ne connaissent pas leur pays d’origine. L’idée que la sanction prononcée par la juridiction pénale est nécessairement suffisante progresse au point que le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy va y adhérer en 2003. Il fait voter une réforme qui rend impossible l’expulsion d’étrangers arrivés en France avant l’âge de treize ans ou résidant en France depuis plus de vingt ans. La réforme entraîne la division par deux du nombre de décisions d’interdiction du territoire français.

Une fois à l’Élysée, Nicolas Sarkozy fait adopter une réforme constitutionnelle d’une importance considérable  : l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, dite QPC. Jusqu’alors, le contrôle de constitutionnalité des lois ne se fait par le Conseil constitutionnel que lors de l’adoption du texte par le Parlement, et si le Conseil est saisi, généralement par des parlementaires d’opposition. Une fois que la loi est promulguée, il n’est plus possible de remettre en cause sa constitutionnalité. La révision constitutionnelle du 23  juillet 2008 et la loi organique du 10  décembre 2009 créent la procédure de question prioritaire de constitutionnalité.

Dès lors, dans tout procès, une partie peut soulever le caractère non conforme à la Constitution de la loi applicable au litige. Si la juridiction estime que la question est sérieuse et nouvelle, elle la transmet à la Cour de cassation ou au Conseil d’État qui peuvent en saisir le Conseil constitutionnel. Celui-ci va alors procéder à un contrôle de constitutionnalité de la loi, aussi ancienne soit-elle. Par exemple, c’est par ce procédé que le Conseil constitutionnel va imposer la présence de l’avocat lors de la garde à vue alors que le Code de procédure pénale ne le prévoyait pas.

La QPC était un projet de Robert Badinter. En 1989, l’ancien garde des Sceaux nommé par François Mitterrand président du Conseil constitutionnel déclarait que « le moment [était] venu de reconnaître aux citoyens eux-mêmes la possibilité d’en appeler au Conseil constitutionnel, à travers un filtre juridictionnel, s’ils estiment que leurs droits fondamentaux ont été méconnus par une loi1 ». Le 30 mars 1990, le gouvernement de Michel Rocard déposait un projet de loi constitutionnelle instituant un contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception. En l’absence d’accord de l’opposition de droite, la majorité requise pour la réforme constitutionnelle en a empêché l’adoption. C’est donc près de vingt ans plus tard Nicolas Sarkozy qui fera adopter cette réforme de gauche, qui accroît considérablement le pouvoir des juges sur le législateur.

Le Conseil constitutionnel parle lui-même de « bouleversement de la répartition des rôles dans la protection des droits fondamentaux ». L’actuel président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, utilise l’expression de « révolution de velours ». « Il nous aura fallu plus de deux siècles pour admettre qu’une loi puisse être imparfaite et que les représentants du peuple soient peu inspirés. Qu’un gouvernement et sa majorité agissent en étant souvent trop pressés et que la Constitution s’en trouve malmenée », écrivent Guy Carcassonne et Olivier Duhamel.

En dix ans, le Conseil constitutionnel a examiné 740 questions prioritaires de constitutionnalité ; ce sont donc des centaines de dispositions législatives qui ont été remises en cause, et près d’un tiers ont été déclarées non conformes à la Constitution et donc abrogées de fait. On le verra, cette réforme est, comme celle qui a permis les recours individuels devant la Cour européenne des droits de l’homme, un accélérateur essentiel de la progression de la théorie de l’État de droit, c’est-à-dire de l’application, s’il le faut contre le législateur, des principes relevant des déclarations française et européenne des droits de l’homme.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy aura commencé par les peines planchers, il continuera par l’aménagement des peines de prison. On cherchera en vain la cohérence entre les deux réformes, celle qui veut imposer des peines d’emprisonnement et celle qui dispense d’exécuter ces peines lorsqu’elles sont d’une durée inférieure à deux ans. Est-ce simplement la nécessité, c’est-à-dire le manque de places de prison, qui a entraîné cette réforme, ou bien Nicolas Sarkozy a-t-il été convaincu par les arguments de la gauche judiciaire qui considère que les courtes peines de prison sont criminogènes ?

Quoi qu’il en soit, la loi du 24 novembre 2009, dite « loi pénitentiaire », installe le principe selon lequel un condamné à une peine d’emprisonnement ferme ne va pas en prison.

Extrait du livre d’Hervé Lehman, « Soyez partiaux ! Itinéraire de la gauche judiciaire », publié aux éditions du Cerf

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