Obama est-il vraiment nul en politique étrangère ou a-t-il fait le choix délibéré de rendre l'Amérique isolationniste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Barack Obama.
Barack Obama.
©Reuters

Dans la tête de Barack

L'intervention en Syrie serait "conçue pour dissuader le gouvernement syrien de gazer à nouveau son propre peuple et pour entamer sa capacité à le faire", a déclaré Barack Obama. Alors qu'il s'efforce de convaincre les membres du Congrès que l'opération sera de courte durée, le président américain donne surtout l'impression de ne pas avoir de stratégie en tête.

Guy Millière

Guy Millière

Guy Millière est un géopolitologue et écrivain français. Il est "senior advisor" pour le think tank  Gatestone Institute à  New York, et auteur du livre Le désastre Obama  (édition Tatamis).

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Atlantico : Barack Obama s’efforce comme il peut d’obtenir l’aval des parlementaires américains pour intervenir en Syrie en leur assurant que les opérations se cantonneront à des attaques aériennes ciblées et limitées dans le temps. Sa stratégie vous semble-t-elle cohérente sur le long terme, ou bien est-elle plutôt dictée par l’urgence de la situation ?

Guy Millière : Il existe une doctrine Obama, que j'ai exposée dans mon livre Le désastre Obama, et donc il y a une stratégie d'Obama, qui a, au Proche-Orient, consisté à renforcer les Frères musulmans dans le monde sunnite et à pratiquer l'apaisement vis-à-vis de l'Iran. Dans le dossier syrien, cette stratégie a rencontré ses limites. Obama a d'abord courtisé Assad, jusqu'à 2011, dans le cadre de sa politique d'apaisement, puis il a demandé son départ, de manière feutrée. Il a soutenu les "rebelles" syriens lorsque ceux-ci ont été largement pris en main par les Frères musulmans, mais sans les soutenir jusqu'au bout, pour ne pas heurter frontalement la Russie et l'Iran. Le recours à des armes chimiques le 21 août lui a permis d'envisager une intervention plus nette contre Assad, mais cette intervention n'a été ni préparée sérieusement, comme le montre l'absence d'alliés, hors de la France, et la faiblesse des forces américaines sur place, ni conçue comme destinée à avoir une efficacité réelle, puisqu'il s'agit juste, officiellement, de donner une "leçon" à Assad. Craignant que les choses se passent mal, Obama a décidé à la dernière minute de passer par le Congrès. Mais l'opinion américaine ne suit pas du tout Obama, comme le montrent les sondages, car elle nourrit des doutes sur la pertinence de l'intervention envisagée. Les membres du Congrès sont très largement réticents, d'autant plus que des élections de mi-mandat vont avoir lieu dans un an. L'état-major des armées américaines est lui-même très réservé. Le comportement d'Obama présentement n'a aucune cohérence, et ressemble à de la navigation à vue avec, aux commandes, un navigateur myope et qui semble avoir dépassé son seuil d'incompétence.

L’attentisme dont fait preuve Barack Obama est-il l’émanation d’un affaiblissement de l’interventionnisme américain ? Le pays revient-il à un certain isolationnisme ?

Obama s'est fait élire en faisant campagne contre l'interventionnisme américain. Il a gouverné ensuite en menant à bien un retrait américain des affaires du monde. Il n'a cessé de déclarer que le seul pays que les Etats-Unis avaient à reconstruire était les Etats-Unis eux-mêmes. Et il n'a cessé de s'appuyer sur la gauche pacifiste et isolationniste. Il a affaibli les Etats-Unis et choisi de diminuer leur influence internationale. Il a abandonné l'Irak, qui est maintenant passé très largement sous influence iranienne, et qui connait un retour à des éléments de guerre civile, et s'apprête à abandonner l'Afghanistan. Il a mené une intervention en Libye, qui s'est achevée par un fiasco et par l'abandon du pays aux mains de groupes djihadistes. La gauche pacifiste et isolationniste ne comprend pas l'attitude d'Obama face à la Syrie, car Obama leur semble tourner le dos à tout ce qu'il a été. Le public américain ne comprend pas l'attitude actuelle d'Obama et comprend moins encore les objectifs qu'il poursuit en voulant intervenir en Syrie. Les néo-conservateurs disent vouloir soutenir l'idée d'une intervention en Syrie pour sauver ce qui reste de la crédibilité des Etats-Unis sur la scène internationale, mais ils peinent à convaincre, car le camp conservateur américain comprend aussi des gens qui disent qu'Obama est un Commandant en Chef sans la moindre crédibilité. Je pense qu'Obama a plongé les Etats-Unis dans le doute, l'incertitude et le désarroi. Mais je pense aussi que si un président parlait de manière déterminée, énonçait des objectifs clairs et crédibles, il pourrait rallier le peuple américain. Il y a un affaiblissement, voulu par Obama. Il y a une réticence face à toute intervention dès lors que le Commandant en Chef s'appelle Obama. Il existe quelques tendances isolationnistes. Mais celles-ci sont, surtout, aujourd'hui, l'effet du doute, de l'incertitude et du désarroi suscités par Obama.

On savait Barack Obama réticent à l’idée d’une intervention en Syrie. Sait-on qui est derrière la politique va-t-en guerre désormais prônée par le président américain ? Quelles sont leurs motivations ?

Il ne s'agit pas vraiment d'une politique va-t-en guerre, car, comme je l'ai dit, il s'agit d'une intervention qui ne repose pas sur des objectifs précis et définis nettement, qui ne s'appuie pas sur une vision stratégique, et qui a une dimension d'improvisation très marquée. Obama est passé d'une attitude attentiste vis-à-vis de la Syrie à une volonté d'intervention limitée après que les Frères musulmans ont connu une déroute en Égypte. Cette déroute a constitué un revers pour l'administration Obama, qui entend aujourd'hui favoriser l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Syrie. Les personnes les plus influentes autour d'Obama aujourd'hui sont Susan Rice, qui a beaucoup œuvré pour un rapprochement avec les Frères musulmans, et Samantha Power, ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, qui a eu un rôle déterminant dans l'intervention américaine en Libye, et qui a aujourd'hui un rôle déterminant dans la conception d'une intervention éventuelle en Syrie.

Les motivations ? Officiellement, la protection des populations civiles contre l'utilisation des armes chimiques. Officieusement, la déstabilisation du régime Assad, au profit des Frères musulmans et des autres factions islamistes sunnites. Obama vient de rajouter à cela dans ses discours la nécessité d'affaiblir l'Iran et de protéger Israël. Mais ce sont des ajouts de dernière minute, destinés à arracher un assentiment du Congrès.

Si les parlementaires ne donnent pas leur aval, Barack Obama se conformera-t-il à leur refus ? En se retenant d’intervenir, les Etats-Unis s’isoleraient-ils un peu plus, et qu'y perdraient-ils ?

Pour l'heure, un refus du Congrès reste très probable, et je donne une chance sur cent à Obama d'inverser la tendance, ce qui veut dire que c'est possible, mais pas très probable. Si le Congrès refuse, il existe de fortes chances qu'Obama renonce. Et la crédibilité internationale des Etats-Unis se trouvera plus profondément dégradée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Si Obama décide d'intervenir quand même, les conséquences au Proche-Orient sont imprévisibles, et une crise politique majeure s'ouvrira aux Etats-Unis.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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