"Barre toi Barack !" Quand la Une de Newsweek sur le bilan économique du Président déclenche une guerre féroce dans les médias américains <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le magazine Newsweek explique pourquoi Barack Obama ne doit pas être réélu, ce qui provoque une guerre de médias.
Le magazine Newsweek explique pourquoi Barack Obama ne doit pas être réélu, ce qui provoque une guerre de médias.
©Reuters

Tare ta Une

Prix Nobel d'économie et éditorialiste au New York Times, Paul Krugman accuse l'historien et économiste Niall Ferguson d'avoir travesti la vérité concernant une réforme du président américain afin de tromper les lecteurs de l'un des principaux hebdomadaires américains.

Ce n'était qu'une couverture un peu provocante de plus pour Newsweek, mais c'est devenu l'objet d'une bataille entre deux économistes de renom, Niall Ferguson et Paul Krugman.

Tout commence le 19 août avec la publication d'un article titré "Hit the road, Barack", que l'on pourrait traduire par "Barre toi, Barack", écrit par l'économiste et historien Niall Ferguson pour le magazine Newsweek.

Dans sa tribune, l'Américain explique pourquoi Barack Obama ne doit pas être réélu pour un second mandat. Selon lui, le président démocrate "n'a pas tenu ses promesses, et il est donc clair que le ticket républicain est le seul espoir de revenir à la prospérité". L'une des promesses auxquelles Ferguson fait référence : la non-augmentation du déficit américain par la réforme de santé du président. Pour argumenter son propos, l'économiste cite un rapport du bureau du Budget du Congrès américain (CBO). C'est bien-là que le bât blesse…

Le Prix Nobel Paul Krugman répond à la tribune de Ferguson sur son blog hébergé par le New York Times. Le titre de son article :  "Unethical Commentary", ou "Commentaire pas très éthique". Krugman estime en effet que ce qu'écrit Ferguson est loin d'être la vérité, qu'il travestit même.

"Quiconque a lu le rapport du CBO, ou même seulement feuilleté rapidement, sait qu'il indique que la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act ACA) diminuera, et n'augmentera donc pas le déficit – les subventions à l'assurance étant complètement payées", écrit Paul Krugman, ajoutant que Niall Ferguson "trompe délibérément les lecteurs en leur donnant l'impression que le CBO a rejeté les déclarations d'Obama affirmant que la réforme de santé ne creusera pas le déficit, alors qu'au contraire, il les confirme".

Le rapport indique en effet clairement que la réforme de santé d'Obama n'augmentera pas le déficit.

Mais le mal est déjà fait, et Ferguson ne peut s'empêcher de répondre sur Newsweek à son meilleur ennemi. Passé les petites mesquineries – "Vous savez que vous avez atteint votre cible quand Paul Krugman fait une pause dans ses vacances pour vous reprocher de multiples erreurs" – Ferguson explique qu'il a bien pris connaissance du rapport en détail, et qu'il ne s'est pas trompé puisque son article précisait bien que "les provisions de la couverture-assurance", une petite partie de la loi, augmenteraient le déficit.  

C'est en effet bien ce que dit le rapport du CBO. Mais comme l'explique Paul Krugman, l'article publié originellement dans Newsweek "oublie" de parler de la réforme comme un tout, et donc des bénéfices que le gouvernement peut en tirer, pour se focaliser sur une seule partie de la réforme, et les dépenses entrainées.

Volontairement, Ferguson cherche donc à piéger son lecteur et à lui faire croire quelque chose de fallacieux. Ou quand un journaliste laisse de côté son éthique, ce que n'ont pas manqué de relever beaucoup d'autres reporters.

Comme l'explique un article du New York Times, l'économiste Brad DeLong a déclaré au sujet de Ferguson : "virez-le. Virez-le de Newsweek et du Daily Beast. Qu'un comité à Harvard examine son cas pour voir s'il a assez de moralité pour enseigner à l'université. Il y a une limite, et Ferguson l'a franchie".

Dans un article publié dans The Atlantic.com, Matthew O'Brien sur la critique de l'Obamacare faite par l'historien. "Tous les reproches qui sont fait à l'Obamacare sont ce que ne fait pas ce système", précise-t-il. Il permet notamment de réduire l'inflation des soins ou la nécessité d'avoir un travail pour avoir une assurance. Pour conclure ce long fact-checking, O'Brien affirme qu' "Il aurait été intéressant que Ferguson explique pourquoi Obama ne mérite pas d'être réélu dans le monde réel que nous vivons. Au lieu de cela, nous avons eu un exercice qui est une spécialité de Ferguson : l'histoire contrefactuelle."

Même ses  collègues de Newsweek n'ont pas épargné l'économiste. Andrew Sullivan dénonce notamment "les omissions flagrantes" et "tour de passe-passe" de son "vieil ami".

Mais comment cet article a pu passer les relectures de Newsweek ? Tout simplement parce que le magazine n'a pas de département de vérifications d'informations comme l'explique Dylan Byers, reporter chez Politico.

Après un tel acharnement, Niall Ferguson a de nouveau répondu à tous ses détracteurs. Il reprend point par point toutes les critiques, et  faits qu'il cite dans son article et qui lui sont reprochés. Dans cette nouvelle tribune publiée sur The Daily Beast mardi, l'économiste s'en prend à ceux qui l'ont critiqué ; il n'y a pas de petites vengeances. A Brad DeLong, il répond qu'un comité de Berkeley devrait examiner son propre cas pour comprendre pourquoi il n'a toujours pas publié le livre qu'il promet depuis six ans sur l'économie américaine. A Paul Krugman, il répond que lui même ne fait pas toujours preuve de beaucoup d'éthique. 

Cet article signe-t-il la fin d'une bataille qui semble sans fin ? Niall Ferguson l'espère, avant de s'interroger sur "la sphère publique américaine, tellement dégénérée, qu'il est désormais impossible de présenter des arguments pour un changement de président sans être attaqué sur Internet par un gang très organisé composé des plus gros supporters de l'actuel titulaire du poste". 

Alors que la bataille et les coups-bas entre les politiques se sont intensifiés depuis l'annonce du colistier de Mitt Romney, Paul Ryan, il semble que les économistes ne seront pas épargnés par cette campagne présidentielle, et que le match Obama/Romney se jouera sur tous les terrains.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !