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Un site de production de médicaments du laboratoire Merck.
Un site de production de médicaments du laboratoire Merck.
©PHILIPPE MERLE / AFP

Matières premières

Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 89 signalements de ruptures de stock étaient recensés en 2010. Ce chiffre a grimpé à 2.446 en 2020. Comment expliquer ce phénomène ? La France a-t-elle les moyens de s’affranchir de la Chine ou de l'Inde pour éviter que ces situations de pénuries ne se reproduisent ?

Catherine Simonin

Catherine Simonin

Catherine Simonin est administratrice de France Assos Santé et Vice-présidente de la ligue nationale contre le cancer.

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Atlantico : Selon les données présentées par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), seulement 89 signalements de ruptures de stock ont été recensés en 2010, puis 600 en 2017, et enfin 2446 en 2020. Que s’est il passé depuis 2010 pour expliquer un tel phénomène ? Où en est-on aujourd’hui et quels sont les médicaments concernés ? 

Catherine Simonin : Les signalements sont devenus obligatoires pour les Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM) en 2016. Il y a une augmentation des signalements qui amène l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) et les sociétés savantes à essayer de trouver des solutions en amont. Les plans de gestion des pénuries (PGP) sont obligatoires dès l’instant où les industriels supposent une rupture de stock ou une tension d’approvisionnement. S’ils ne respectent pas ces protocoles, les industriels risquent des sanctions. France Assos Santé demande à ce que ces sanctions soient publiques et restent visibles pendant 12 mois. À l’heure actuelle, elles ne le sont que pendant 1 mois. 

Où en sommes-nous ? Ces obligations déclaratives des PGP ne concernent que les industriels qui détiennent des Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur. La situation devrait s’améliorer grâce au décret sur les stocks, qui est en cours de mise en place et d’application. Il y a une obligation pour les industriels qui ont des MITM de constituer des stocks tournants de 2 mois. Il y aura des dérogations pour certains médicaments, notamment pour ceux qui ne se conservent pas, mais ces stocks tournants ont pour objectif de neutraliser les risques de rupture d’approvisionnement, quelle qu’en soit l’origine. Au niveau associatif, nous avons demandé à ce que ces stocks soient élevés à 4 mois. Le problème que nous rencontrons est que seuls les médicaments faisant l’objet d’un stock aussi long font face à des anomalies d’approvisionnement. On agit donc en aval plus qu’en amont, ce n’est donc pas de la prévention des pénuries.

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La transparence n’est vraiment pas au rendez-vous. Quand vous allez à la pharmacie pour demander un médicament et qu’il n’est pas en stock, on vous informe de la situation. Mais à l’hôpital, ce n’est pas le cas. Certains patients sont donc confrontés à un changement de traitement sans en être informés. Le problème est que ces changements ne sont pas sans risques. Il peut y avoir des effets secondaires différents ou une moindre efficacité de traitement. Bien sur en cas d’une rupture sèche le patient est averti. 

Les médicaments les plus concernés par ces pénuries sont des traitements contre l’épilepsie ou encore des anti-parkinsoniens. Quand vous remplacez ces médicaments à marge thérapeutique étroite, le patient peut être déséquilibré par le médicament de substitution avec plus de crises d’épilepsie impactant sa vie professionnelle ou sociale et familiale. Des vies entières peuvent donc être perturbées par ces pénuries.  Il y a également le Zophren, utilisé comme antiémétique pendant les chimiothérapies, qui n’est pas un MITM. Et pourtant ce médicament est indispensable pour améliorer la qualité de vie des personnes malades.

Le BCG intravésical est également sujet à des pénuries de manière assez récurrente, avec de graves conséquences pour les patients. Ce médicament fait l’objet d’un contingentement qui soumet le patient à plus de chirurgie avant d’être prioritaire dans le traitement du cancer de la vessie, c’est un rationnement. Si l’administration n’est pas exercée à temps, c’est l’ablation de la vessie car le cancer s’est trop diffusé. C’est donc de véritables pertes de chances pour les patients, mais aussi des chirurgies supplémentaires et invalidantes. 

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Certains médicaments, notamment les "Médicaments d'Intérêt Thérapeutique Majeur" (MITM), font l’objet de contrôles stricts. Les entreprises pharmaceutiques ont pour obligation de prévenir sans délai l'ANSM en cas de rupture d’approvisionnement. Quelles peuvent être les mesures pour éviter que cette situation se reproduise ? 

Il y a plusieurs modalités car les pénuries sont dues à plusieurs causes. Les matières premières sont délocalisées en Asie, mais les américains (FDA) contrôlent la chaîne de production. Quand ils réalisent que la qualité de production n’est pas suffisante, ils peuvent la suspendre. 

Il peut également y avoir un pic de demande, et la production n’arrive tout simplement pas à suivre. Ce fut le cas lors de la pandémie de Covid-19 avec le Midazolam. La demande a augmenté de 2000% ! Il y a eu des vies en jeu car ce médicament est utilisé pour des comas artificiels en réanimation.

Je pense que la situation va s’améliorer parce que la feuille de route de lutte contre les pénuries lancée par Agnès Buzyn commence à porter ses fruits. Même pendant la Covid, les acteurs ne sont pas restés les bras croisés, ils ont fait des travaux pratiques. Il y a eu de l’importation de matières premières et de la fabrication dans certains centres hospitaliers de médicaments en rupture et absolument nécessaires pour sauver des vies. Ce projet de production français va être développé. Le but est de faire en sorte d’avoir une production de médicaments délaissés et peut-être faire un pôle public ou un partenariat public / privé du médicament pour en produire en France.. Les anciens médicaments servent à de nombreux patients. C’est un enjeu majeur de les conserver. Avec l’émergence d’anciennes maladies et de bactéries multi-résistantes, l’Europe doit s’armer contre ces maladies et rappeler que la vaccination n’est pas une option.  

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Il faudrait remplacer les Plans de Gestion des Pénuries par des Plans de Prévention en Gestion des Pénuries. Si ces plans et les déclarations sont réalisés suffisamment tôt, des solutions pourraient éviter les ruptures sèches. Les médicaments de remplacements doivent être proposés  par les sociétés savantes et les associations concernées pour trouver les meilleures solutions pour traiter les personnes avec le moins de pertes de chances. 

La France dépend en grande majorité de pays comme la Chine et l’Inde en matière d’approvisionnement de principes actifs nécessaires à la fabrication de médicaments. A-t-on les moyens de s’affranchir de ces pays pour éviter que cette situation ne se reproduise ? 

Il y a de nombreux projets en ce sens. Il est possible de produire en France mais nous faisons face  à un problème de compétitivité. Les industriels ont délocalisé la production en Asie notamment pour réduire les coûts avec moins de contraintes sociales et environnementales. Ces pays ne sont pas très regardants sur la question. En France ou en Europe, les normes sont extrêmement strictes et les coûts de production augmenteraient significativement. 

Si la production est relocalisée les industriels devront se mettre aux normes sociales et environnementales. Il faudra financer de nouvelles usines pour qu’elles soient compétitives et ce financement se fera grâce à de l’argent public. Les associations demandent que soient demandées  aux industriels des contreparties  telles que la continuité de la production. 

Pendant la première vague de Covid, il y a eu une pénurie de corticoïdes dont le principe de base est produit en Italie. Mais le pays étant fortement touché par la pandémie, la production s’est arrêtée. Relocaliser oui, financer pourquoi pas, mais en contrepartie, qu’est ce qu’on demande ? La position de France Assos Santé est claire, nous préférerions opter pour une diversification de la production. Dans un médicament, il y a le principe actif, les adjuvants, la mise en gélule … C’est toute une chaîne industrielles, il faut donc agir sur toute la chaîne de fabrication en anticipant tous les points qui présentent un risque. C’est faire une analyse qualitative de plans de production pour faire des gardes fous et diversifier les approvisionnements dans tous les domaines. 

Il y a l'engagement sur la plan France 2030 de mettre en place des budgets alloués sur la production pour être plus autonomes, même dans la production de biomédicaments, qui est un enjeux majeur à venir pour éviter les guerres commerciales que se livrent les grandes puissances. L’Europe doit être une puissance majeure pour garantir un accès à la santé de ces citoyens et des personnes qui vivent sur le sol européen. 

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