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Les dirigeants d'Eurotunnel redoutent les complications d'un Brexit sans accord
©Thomas SAMSON / AFP

Atlantico Business

Le président de la société Getlink (ex-Eurotunnel) vient d’écrire une lettre ouverte dans laquelle il exprime sa vision du Brexit.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Dans une lettre très détaillée publiée par la fondation Robert Schuman, Jacques Gounon, le président directeur général de Getlink (ex-Eurotunnel), met en garde les Européens sur les conséquences catastrophiques qu‘aurait le choix contraint d’un « hard Brexit », c’est à dire une double frontière à l’entrée comme à la sortie du tunnel sous la Manche avec contrôles douaniers. Compte tenu du temps que prendraient les contrôles avec le trafic actuel, il faudrait s’attendre à plus de 50 kilomètres de queue de chaque côté du Channel, avec des heures, voire des jours d’attente. L‘encombrement probable serait ingérable et il aboutirait rapidement à une diminution du trafic dans des proportions importantes. 

Ce qui est étonnant dans cette affaire du Brexit, c’est que ses promoteurs n’ont jamais imaginé avant ce qui se passerait en Irlande entre le Sud et le Nord en cas d’installation d’une frontière et tous les risques de violence qu’on a connu dans le passé entre les catholiques du Sud et les protestants du Nord. 
Mais de façon encore plus imprudente encore, les « Brexiters » n‘ont jamais pensé à ce qui pourrait se passer en cas de blocage du tunnel. 
Jacques Gounon rappelle que le tunnel sous la Manche a été créé il y a 25 ans et a permis de relier l’île de Grande Bretagne au continent par une voie souterraine construite 100 mètres sous la mer, mais l‘Angleterre n’en est pas moins restée une île. 
On a simplement remplacé une frontière maritime par une frontière terrestre. Et ce tunnel a évidemment tout changé dans le développement des échanges.
Les chiffres du trafic sont hallucinants :
- 21 millions de passagers passent cette frontière chaque année. Il n’y a pas d’autre exemple au monde de frontière avec un trafic aussi important ; 
- 2,5 millions de voitures ;
- 1,6 millions de camions ;
- des milliers de TGV et de trains de marchandises ; 
- 115 milliards d’euros de marchandises échangées, soit 25% du commerce réalisé entre la Grande Bretagne et le continent européen ; 
- Eurotunnel, c’est 250 000 emplois soutenus (directs en indirects) de chaque côté de la Manche. 
Tous les secteurs sont concernés, mais quand on fait les comptes, la Grande Bretagne utilise plus le tunnel que les Européens du continent. Ce qui veut dire qu’une paralysie durable de l’infrastructure serait plus douloureuse pour les Anglais que pour les Européens. 
En d’autres termes, en cas de blocus du trafic, les Anglais seront les premiers pénalisés. 
Ce qui est extraordinaire dans cette affaire, c’est que les avocats du Brexit n’ont jamais cherché à connaitre ces chiffres et par conséquent, n’ont jamais étudié de solutions alternatives. 
Enfin dernier point, sait-on que ce tunnel a permis d’économiser plus d’un milliard de tonnes d’émissions de CO2 ? C’est sans doute l’infrastructure de transports la plus propre au monde, pour la performance la plus efficace. Tous les écologistes du monde devraient saluer cette construction de l’intelligence humaine, qui prouve une fois de plus que l’écologie n’est pas antinomique de la croissance et de l’activité.  
Dans ce rapport très technique, Jacques Gounon nous informe que les flux d’échanges se répartissent en trois grandes catégories.
Il y a d’abord les flux de pièces qui approvisionnent les usines britanniques 24 heures sur 24. Sans rupture avec un départ de navette toutes les 8 minutes. Toute l’industrie automobile dépend de ce lien vital qui achemine des composants venant d’Allemagne, de France, de Hongrie, d’Espagne etc. 
Le second type de flux est celui des livraisons express. Ces flux sont alimentés par le commerce en ligne et Amazon en est le premier utilisateur. Ce flux permet de réduire le délai de livraison à un jour. Chaque jour, le tunnel voit passer plus d’un million de colis express dans les deux sens. 
Le troisième type de flux est celui des produits frais. Fruits et légumes, principalement. Depuis 1994, année d’ouverture du tunnel, l‘alimentation des Anglais en produits alimentaires transite par le tunnel et a changé de nature et gagné en fraicheur. Depuis Eurotunnel, les Anglais sont devenus de très gros consommateurs de fruits et légumes en provenance de France, d’Espagne ou d’Italie. 
Au-delà des montagnes de chiffres, l’enjeu pour tout le monde est bien évidemment de maintenir ces flux d’échange. Faire en sorte que les différents contrôles frontaliers ne freinent le moins possible les passages de camions ou de passagers. 
Les dirigeants d’Eurotunnel acceptent les engagements de Theresa May, pour que ces flux passent sans friction et ce, malgré le Brexit. Cela dit, encore faut-il que l’accord soit signé. 
L'utilisation accrue du digital, qui a permis de s’exonérer d’un arrêt aux péages, devrait permettre d’accélérer les procédures de contrôles douaniers si, par malheur, on voulait les réintroduire. Sauf qu’ils ne règleront pas tous les problèmes. 
Pour Jacques Gounon, le diable risque de se loger dans les détails dès qu’on voudra remettre en place des droits de douane. Il donne l’exemple suivant : « Un camion qui fait du transport express peut transporter jusqu’à 8 000 petits colis dans son camion. Chaque petit colis peut contenir 2 à 3 marchandises différentes, cela fait potentiellement 10 à 20 000 objets différents dans un seul camion. Chacun de ces objets a eté vendu par le commerçant avec un engagement de livraison express (le lendemain) et parfois sur un créneau horaire d’une précision d’une demi-heure. Pour ce flux, qui pèse 12 milliards € par an, il serait irréaliste d’effectuer des contrôles de tarifs douaniers non dématérialisés. Il est indispensable que les contrôles ne soient pas bloquants pour la marchandise en camion, puisque ce sont d’autres marchandises qui le subiraient, et derrière, toute une industrie. Je suis confiant sur le fait que collectivement l’industrie du transport, dont nous faisons partie, et les autorités arriveront à construire un système intelligent de contrôles douaniers dématérialisés, grâce aux technologies de l’information. Il y faudra la détermination de tous. Je suis heureux d’entendre les représentants du gouvernement britannique affirmer qu’ils ne mettront aucune contrainte qui risque de bloquer d’une façon ou d’une autre le principe désormais sacré du « sans friction ». Je souhaite vivement que le même principe soit affirmé coté européen qui a autant - si ce n’est plus - à gagner de la compétitivité́ de cette route commerciale unique. »
Un blocage du tunnel sous la Manche ou même un alourdissement des procédures aurait donc des effets catastrophiques. Jacques Gounon, comme beaucoup d’Européens du continent comme des iles britanniques, sont convaincus qu’on trouvera les solutions. C’est la raison pour laquelle beaucoup plaident pour un allongement des délais de mise en place. 
Le risque sur l’Eurotunnel, comme sur la frontière irlandaise, c’est que quelques « Hard-Brexiters-radicaux » en fassent des symboles et arrêtent le processus de compromis ; ce qui est le cas actuellement. C’est d’autant plus grave qu’il n’y a pas de solution politique. Du moins dans l’immédiat. Il va falloir laisser au temps, le temps de faire son œuvre.  

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