Les affaires d’Etat se cachent pour mourir... Et si la vraie grosse escroquerie en bande organisée actuelle était celle de l’alliance entre gouvernements, banques centrales et banques de spéculation sur le dos des peuples ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La dérégulation avait pour objectif de doper le taux de croissance et de profit d’économies languissantes par le développement accéléré du crédit.
La dérégulation avait pour objectif de doper le taux de croissance et de profit d’économies languissantes par le développement accéléré du crédit.
©Reuters

Dépouillage

La "moralisation" des marchés a entraîné une extension de ce qui est aujourd'hui illégal, voir immoral. Une manière surtout pour les vrais initiés d'être les seuls à pouvoir jouir du système, pendant que les acteurs plus modestes évoluent dans l'opacité la plus totale.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Nous sommes d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Nous dirions même d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent imaginer : nous sommes entrés en Bourse en 1966, un an, avant notre sortie de HEC. A cette époque, le marché de Paris était au plus bas des plus bas, victime de ce que l’on appelait l’amendement Vallon. 

On traitait des volumes ridicules, mais il y avait encore une Bourse, lieu d’échanges d’actions et non pas de simples billets de loterie, passion du jeu. La Bourse reflétait autre chose que la politique des Banques Centrales. C’était encore autre chose qu’une courroie de transmission. 

C’était le temps où les opérateurs et investisseurs n’avaient pas été dépossédés de leur pouvoir et de leur capacité de choisir. Il y avait une répartition statistique des ordres, le mot " marché " voulait encore dire quelque chose, malgré l’étroitesse des échanges, malgré les opérations des initiés. Malgré  les opérations un peu biaisés des chefs de Bourse des grands établissements,  privilégiés du système. Malgré les difficultés à accéder à l’information. 

Notre expérience nous conduit à penser que les marchés étaient efficaces. Ils traduisaient un stade de développement du capitalisme, pas encore devenu financier, qui n’était pas déplaisant. Surtout pas scandaleux, comme celui que l’on voit maintenant, celui que l’on voit maintenant soi-disant moralisé, mais au seul profit des plus forts. Pas comme celui que l’on voit maintenant qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. 

Une action, c’était au sens propre, un actif, pas un ticket de Loto dont la valeur est fixée par la Banque Centrale par le biais des taux et de l’arrimage du risque. Il n’y a plus d’actions, il n’y a que des actifs financiers, dans un champ unifié, contrôlé, dominé par les Banques Centrales. C’est pour cela que les marchés sont moutonniers, suivistes. Comme le dit l’expression "don’t fight the Fed", ils ont renoncé à faire valoir leur jugement. 

Ces actifs financiers sont des instruments, non pas de reconnaissance ou de découverte de la valeur des entreprises et de leur mérite, mais des instruments de transmission de la politique des nouveaux dirigistes globaux, les banquiers centraux. D’où, pour nous, l’utilisation du mot " passion " pour bien marquer la passivité, perte de contrôle et, en même temps, la montée du phénomène de jeu,  jeu biaisé.La montée du concept de risque est significative de ce glissement, car il suffit de traduire et de marcher sur les pieds ; le risque, c’est "la chance". La performance ne dépend plus de l’intelligence ou du savoir, mais du choix d’un degré de risque ou d’un autre !

Le jeu actuel est structurellement biaisé, volontairement, c’est un choix délibéré de ce que l’on appelle la dérégulation. La dérégulation avait pour objectif de doper le taux de croissance et de profit d’économies languissantes par le développement accéléré du crédit. Le développement accéléré du crédit n’étant possible que si les banques gagnent beaucoup d’argent et sont capables d’accumuler des fonds propres gigantesques, tout a été fait et mis en place pour que le système bancaire puisse piller à la fois l’économie productive, les citoyens, les  consommateurs et les  travailleurs. 

On a organisé un énorme système d’initiés et de privilégiés, une collusion Banques Centrales, Gouvernements, Banques de spéculation, une association de malfaiteurs, escrocs en bande organisées, sur le dos des peuples. 

Les vrais initiés, les initiés structurels du système, ce sont les banquiers, ils participent à l’élaboration de la politique de taux, donc à la politique de valorisation des assets, ils participent à l’arrimage du risque, etc. Même le langage des Banques Centrales est leur langage, pour être sûrs que le public ne comprend pas. Et pour qu’ils en profitent plus, on leur donne la possibilité de démultiplier leur puissance d’intervention, leur pouvoir d’achat par le crédit gratuit, le leverage. 

En même temps, on a moralisé. Moralisé, cela veut dire, interdire aux individus de rechercher l’information privilégiée, d’être initiés. Un comble, on organise la prédation privilégiée par  toute une classe sociale, les banquiers, par son statut privilégié et on serre le cou des individus, des personnes individuelles. Bien entendu,  au passage, les personnes physiques de la classe privilégiée se "goinfrent". Excusez l’expression, mais elle s’impose. Ils se goinfrent par les opérations d’initiés discrètes aux Caraïbes, au travers de sociétés opaques. Ils se goinfrent par des écarts minuscules,  mais sur des sommes colossales sur les changes,  ils se goinfrent au travers de rémunérations non transparentes au Delaware et autres. Ils se goinfrent par le front-running des ordres des vraies institutions d’épargne. Et bien entendu, quand il le faut, ils savent partager avec les politiques, avec les fonctionnaires internationaux… et même avec les entourages des banquiers centraux.

Nous avons connu le temps où les lois sur les initiés n’existaient pas. D’un seul coup, du jour au lendemain, beaucoup de choses courantes, normales, autorisées, sont devenus passibles de poursuites. Nous avons vu beaucoup de poursuites dirigées contre des individus, aucune contre des institutions. Le système est "rigged", conçu pour que les institutions conniventes puissent tondre les citoyens et leurs organismes de prévoyance. Est-ce plus moral ? Bien sûr que non; car les sommes sont plus grosses, les enrichissements personnels plus scandaleux. Le jeu actuel est gagnant à coup sûr, ce qui n’était pas le cas dans les temps anciens. 

La classe politique a toujours bénéficié des dérives, aussi bien dans le passé que maintenant. Les opérations financières ont toujours été un moyen de verser des pots de vin, de rémunérer des services rendus, d’alimenter des campagnes électorales. Qui ne se souvient des opérations de Patrice Pelat en France, financier de Mitterrand. Plus loin, nous avons connu, personnellement, les prête-noms de grandes vedettes de la classe politique, de droite, de gauche et surtout chez les radicaux. Ces prête-noms vivaient sur des pieds royaux, jamais inquiétés pénalement ou fiscalement. Les anciens grands résistants, Compagnons de la Libération ou autres, n’étaient pas les derniers à profiter de leurs positions et de leurs amitiés. Nous avons connu le pillage organisé des SICAV, des gestions particulières, les opérations sans risque dépouillées en "Dès.le" comme on dit en Bourse, au profit du monde politique ou des maîtresses des sommités du monde politique. 

Était-ce bien, était-ce mal ? Était-ce pire ou mieux que ce qui se passe maintenant ? Notre expérience passée et présente nous conduit à dire que c’était mieux, moins condamnable. Pourquoi ? Parce que comme cela était plus facile, il fallait déployer moins de turpitude, faire moins de détours, compromettre moins de gens. Les frais de convoyage et de blanchiment étaient moins élevés, donc on limitait finalement le coût pour la collectivité. 

Le fait de déplacer, de placer plus bas, la barre  du condamnable a eu l’effet inverse de la moralisation, le vice a touché plus de gens, il s’est enraciné. Il est "embedded" dans le système.

On le voit quand il émerge : on a l’impression que tout est pourri. La réalité est qu’il n’est pas possible de travailler dans une multitude d’activités et de systèmes dans une grande partie de l’Europe, sans participer nolens volens au monde de la turpitude. Beaucoup se défendent lorsqu’ils se regardent dans le miroir en se disant, c’est le jeu, il n’est pas possible de faire autrement. 

Notre idée est que le monde moderne, derrière ses revendications moralisantes, ne lave pas plus blanc. Au contraire. Les leaders politiques qui prétendent prendre la tête de croisades morales feraient bien de se méfier : le boomerang peut être terrible. Les gouvernements précédents, et ce depuis fort longtemps, ont hésité à se lancer dans de telles croisades, pour plusieurs raisons : 

- La première est que lorsque l’on ouvre la boite de Pandore, on ne sait jamais ce qui va en sortir. 

- La seconde est que, dans tout système, il faut des soupapes, l’homme n’est pas de bois. Il n’est pas parfait. Qui réglemente doit toujours avoir conscience du fait que le bien est inséparable du mal. 

- La troisième est que la taxation du travail, les contrôles, les impôts, tout cela produit inéluctablement des comportements d’évitement et des tricheries. 

Un gouvernement qui va trop loin transforme son peuple en criminels. Un gouvernement devrait chercher à élever le niveau de vertu de ses citoyens, pas à les transformer en parangons du vice. C’est lui qui donc, est criminel, en déplaçant sans cesse les limites de la faute et des crimes. Un gouvernement qui aime son peuple et le respecte cherche à éviter que ce peuple s’enfonce dans une immoralité à géométrie variable, fluctuante. Vérité ici, erreur au-delà. Les terroristes d’hier sont les chefs de gouvernement d’aujourd’hui. Ce qui était bien du temps de Pétain, n’était plus tout à fait aussi bien du temps de la Libération. Déclarer la guerre morale à son peuple est une décision grave. 

On fait les gorges chaudes en ce moment des comptes à l’étranger non déclarés. C’est une vieille tradition française (et italienne) dont les gouvernements sans morale ou compétence sont responsables. Il n’y aurait pas de paradis pour l’argent s’il n’y avait pas des enfers. 

- La France a une tradition d’inflation solidement enracinée. Le Franc était une bien triste monnaie.

- La France a une tradition de contrôle des changes.

- La France a une tradition de sur-taxation perçue comme non légitime. 

Tout cela pourrit la moralité et rend, sinon légitimes, du moins excusables, recherches de parades. Il n’est pas inutile de réfléchir et de se demander qui est le plus condamnable, le Pouvoir qui triche sur la monnaie, qui achète les voix électorales ou le citoyen qui essaie de préserver le fruit de son travail et de son industrie ? L’évasion est souvent fondée sur le vécu d’une révolte, d’un sentiment d’injustice. 

De tous temps donc, il  y a eu une tradition d’évasion. Laquelle évasion a été très largement pratiquée dans le milieu politique et par le milieu politique. Quelle est l’origine du fleuron français Lagardère, si ce ne sont les turpitudes de Floirat associé aux politiciens d’alors? 

A l’époque où nous étions dans le business financier, le réseau de ce que l’on appelait "le Trans", abréviation du transfert soi-disant non autorisé vers la Suisse, avait pignon sur rue : on cotait le cours du "trans" sur le parvis de la Bourse, accessoirement chez Gallopin ou chez Françoise. 

Le cours était, tenez-vous bien, régulé par… la Banque de France, elle-même. Elle veillait à ce que le cours du "trans" ne s’envole pas trop, car c’était un signe de défiance, cela accroissait la difficulté à soutenir le franc. En alimentant le marché, la Banque était donc complice des trafiquants, elle collaborait avec le STN, Syndicat des Trafiquants Notoires, et facilitait l’évasion fiscale. Tenez-vous bien, pour qui savait lire, le cours du "trans" était publié dans la presse. 

Toute la classe politique d’alors utilisait les facilités ainsi offertes. Même au plus, plus haut niveau. Au niveau suprême. Une très grande partie des avoirs français à l’étranger a été constituée à cette époque. Était-ce bien, était-ce mal? 

Tout dépend. Tolérance encouragée et facilitée, hier, crime maintenant. C’est à voir, cela mérite réflexion. Si le capital français n’a pas totalement périclité pendant les périodes où la gestion du pays a été défaillante, c’est grâce à l’évasion, grâce au " trans ". 

Il y a quelquefois ce que l’on peut appeler un mal pour un bien et celui qui sert le mieux le pays n’est pas forcément celui que l’on croit. Dans les pays structurellement mal gérés, pillés par les  prédateurs, minés par la lutte des classes larvée, s’il y a encore de fleurons d’entreprises françaises, c’est certainement grâce à ces entorses, à ces tolérances.  Hélas, dans le cas présent, la haine, l’ignorance et le désir de revanche sociale ne favorisent guère une lucide compréhension. 

La France est sur la pente, la mauvaise pente. Les gouvernants acculés par les scandales, leurs scandales rappelons-le,  veulent, à chaud, se blanchir et jouer aux justiciers. Ils ne prennent ni la peine de réfléchir sur la justice, ni sur l’articulation qu’il y a dans le système français entre les excès et les incuries du politique et les réactions de défense des citoyens. 

D’une certaine façon,  les Français résistent à ce qu’ils considèrent comme des politiques iniques. Cela va de l’épicier arabe qui dissimule une partie de sa recette pour réussir à gagner le SMIC  pour 15 heures d’ouverture, au créateur d’entreprise qui a pris tous les risques et qui voit se profiler le croc à phynances des prédateurs. Cela va du politicien corrompu qui touche sur les travaux de sa Mairie ou sur ceux de son Conseil Général, au prorata de la représentation politique, au collecteur de fonds qui alimente les caisses des candidats aux présidentielles. 

Tous pourris ? Peut-être, mais alors, il faut oser s’interroger sur les causes, sur le pourquoi. En attendant, ne conviendrait-il pas de prendre conscience que l’on ne peut gouverner proprement en salissant ses citoyens ?

Ce texte a été initialement publié sur le Blog a Lupus

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