Le lait de croissance, inutile et ruineux : comment l'industrie agro-alimentaire exploite les peurs des jeunes parents<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / Bébé buvant au biberon.
Photo d'illustration / Bébé buvant au biberon.
©Reuters

Riche en fer

Le lait de croissance (pour les enfants de 1 à 3 ans) fait de plus en plus consensus parmi les pédiatres nutritionnistes du monde entier. Néanmoins, certains restent sceptiques quant à ses bienfaits. Débat.

Atlantico : Les ventes de lait de croissance pour le troisième âge sont très fortes en France, et en constante progression ces dernières années, surtout sur les marchés nord-américains et asiatiques. Quelles sont les vertus affichées par les fabricants, et celles-ci sont-elles vérifiées ?

Olivier Saint-Lary : Le lait de croissance est supposé répondre aux besoins nutritionnels des enfants, en particulier en fer et en acides gras essentiels, et diminuer les apports protéiques. Aucune vertu clinique à proprement parler n’est affichée à ma connaissance pour le moment. Le lien n’est pas encore démontré aujourd’hui entre la modification d’apports via le lait de croissance et une amélioration d’ordre clinique pour les enfants.

Patrick Tounian : Les pédiatres ne sont pas d’accord sur tout, mais sur ce point les avis sont quasi unanimes : on ne peut pas assurer les besoins en fer d’un jeune enfant au-delà d’un an s’il arrête les laits infantiles. En pratique, il faudrait l’équivalent de 100 grammes de viande par jour, or un enfant de 3, voire 5 ans, n’est pas capable d’ingurgiter une telle quantité. Récemment le Comité de nutrition de la société européenne de nutrition pédiatrique a rendu les conclusions suivantes : pour assurer les besoins en fer des enfants après un an, il faut soit utiliser un aliment enrichi en fer – des céréales dans le nord de l’Europe, ou du lait en France -, soit une alimentation riche en viande. En pratique, je recommande le lait de croissance à l’enfant jusqu’à ce qu’il soit capable  d’ingurgiter l’équivalent de 100 grammes par jour.

Les vertus affichées sont multiples, mais la seule qui soit indiscutablement intéressante est l’enrichissement en fer. Autrement, le lait de croissance est enrichi en acides gras essentiels, ce qui peut être intéressant chez des enfants à l’alimentation très déséquilibrée, ainsi qu'en vitamines D, et il est appauvri en protéines par rapport au lait de vache. Mais c’est là un intérêt vraiment secondaire.

Quelle est la composition du lait de croissance ? Un lait de vache normal ne suffit-il pas à des enfants entre 1 et 3 ans ?

Patrick Tounian : Le fer absorbé dans un biberon rempli de lait de croissance équivaut à la quantité que l’on trouverait dans vingt litres de lait standard. Tous les autres éléments étant facultatifs, et donc principalement commerciaux, on pourrait privilégier un lait exclusivement enrichi en fer, à l’exception des arômes, qui servent à masquer le goût métallique.

Olivier Saint-Lary : Le lait de croissance est l’équivalent du lait de vache reconstitué, dont la composition est modifiée pour se rapprocher du lait maternel et de ce qui est recommandé dans les apports journaliers. Dans le lait de vache standard on trouve plus de protéines que dans le lait maternel, c’est pourquoi le lait de croissance cherche à se rapprocher du premier ; des vitamines D et des acides gras dits polyinsaturés sont ajoutés, dont on suppose qu’ils présentent des intérêts dans le développement de l’enfant.

On pourrait établir un parallèle avec les suppléments vitaminés chez les adultes. Les études menées jusqu’ici sur cette supplémentation montrent que les résultats cliniques sont très décevants. Cette démarche de vérification n’a pas encore été effectuée avec le lait de croissance. Souvent, les enfants mangent moins de fer que ce qui est recommandé dans les apports journaliers, cependant les quelques études qui s’intéressent spécifiquement à l’adjonction de fer, n’arrivent pas à mettre en évidence l’intérêt systématique d’une telle supplémentation. Le manque de fer peut par exemple être lié à un plus grand risque infectieux chez les enfants, cependant il n’est pas prouvé que le fait de supplémenter toute une population enfantine en fer fait diminuer ce risque.

Sur le principe, donc, l’idée du lait de croissance est intéressante, mais on ne sait pas si le fait d’en donner à la place diminue le risque infectieux, augmente les performances intellectuelles, fait grandir plus… Rien n’est démontré à l’heure actuelle.

Ce lait peut-il avoir des conséquences néfastes ?

Olivier Saint-Lary : Lorsque l’on veut supplémenter du lait en fer, et qu’on le pasteurise ensuite, on majore une réaction dit "de Maillard", qui entraîne une libération de radicaux libres et une modification de certains acides aminés. Des données semblent en effet montrer qu’à haute dose, ces radicaux sont cancérigènes. Cela ne veut pas dire que le lait de croissance est cancérigène, mais que tout n’a pas été vérifié. Il faudrait pour cela mener une étude sur des groupes d’enfants sur plusieurs années, comme on le fait avec les médicaments.

Le sucre et les arômes utilisés dans le lait de croissance peuvent-ils avoir un effet négatif sur les capacités gustatives de l’enfant ?

Patrick Tounian : Si le lait enrichi est toujours aromatisé, et certains, sucrés, c’est parce que le goût métallique ne plaît pas. Ces arômes et le sucre ne présentent aucun risque. Seul point noir observé : les enfants qui ont l’habitude de ces arômes ou du sucre ont du mal à passer à un lait classique. Il faut savoir qu'on n’habitue pas les enfants – ni les adultes – au sucré, mais à des aliments : par exemple, on peut ne pas supporter un yaourt non sucré, et en même temps ne pas aimer les produits sucrés.

Olivier Saint-Lary : On peut effectivement supposer que ce goût souvent trop vanillé puisse entraîner une modification de la sensorialité et donc développer une appétence pour les aliments sucrés, tout comme on peut supposer que l’apport d’acides gras essentiels est bénéfique pour l’enfant. Ceci pour dire que rien n’est totalement certain sur cette question.

Le lait de croissance est-il recommandé pour tous les enfants ? Les prix sont-ils adaptés ?

Olivier Saint-Lary : Le fer est principalement apporté par la viande, et on sait que ceux qui en mangent le moins sont ceux qui grandissent dans un milieu socio-économique défavorisé. Paradoxalement, les enfants qui auraient le plus besoin d’un apport supplémentaire en fer sont ceux dont les parents ont le plus de mal à acheter ce lait, qui est plus cher que le lait de vache standard.

Patrick tounian : Le prix est souvent mis en avant. Effectivement, le lait de croissance est plus cher. Mais la différence est très faible : sur le site internet d’un même grand magasin, les écarts vont de 6 à 40 centimes d’euros le litre. De plus le lait de croissance reste le moyen le moins onéreux de donner à manger aux enfants du fer absorbable. La viande, on le sait, est bien plus chère.

L’industrie, dont les ventes de lait premier âge ont fortement baissé en raison du retour en force de l’allaitement ces dernières décennies, essaye-t-elle de compenser cette perte avec le lait de croissance ? Faut-il y voir un pur coup marketing qui joue sur la culpabilisation des parents ?

Olivier Saint-Lary : Cela est probable, on l’a vu avec certains aliments pour enfants. La fibre affective est tellement forte chez les parents qu’ils sont prêts, naturellement, à tout donner pour la santé de leurs enfants. Les bienfaits pour l’intelligence ou la croissance ne sont pas affirmés par les marques, mais forcément suggérés, présents dans l’inconscient. Mais l’évaluation scientifique doit se faire de manière indépendante de cette donnée marketing. La rédaction de « Prescrire », qui avait parlé du Médiator avant tout le monde, est très claire sur le fait qu’aucun bénéfice clinique n’est démontré. D’un autre côté, la société française de pédiatrie est plutôt favorable. Les positions sont donc variées, et rien n’est figé.

Patrick Tounian : Le lait de croissance a au départ été inventé par l’industrie pour compenser la consommation de lait infantile, qui se tarissait après l’âge d’un an. Comme toujours lorsqu’on invente un nouveau produit, on utilise des arguments scientifiques, mais en l’occurrence on ne voit pas comment on pourrait s’en passer. La France a longtemps été seule à en consommer, et ces dernières années nos collègues américains ont été de plus en plus conquis.

L’allaitement maternel n’assure plus les besoins en fer au-delà de six mois, par conséquent tous les enfants exclusivement allaités au-delà de cet âge doivent avoir une supplémentation médicamenteuse. Cette recommandation a été faite par l’académie américaine de pédiatrie. Le lait de croissance a beau être commercial au départ, on observe une coïncidence avec les besoins scientifiques. A ne pas confondre avec les plats préparés, qui ne sont pas toujours aussi bénéfiques qu’on le dit.

Qu’en est-il dans les autres pays ? Le lait de croissance est-il beaucoup utilisé ?

Olivier Saint-Lary : L’équivalent suisse de la société française de pédiatrie a dit en 2008 ne pas recommander l’utilisation de lait de croissance, et il en va de même au Canada. Les points de vue sont différents, nous nous trouvons encore dans une situation d’incertitude. L’évaluation des apports journaliers est complexe, et prétendre que la modification d’un aliment pour les compléter est forcément positive, cela reste à démontrer.

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