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Les travaux d'isolation ne sont pas assez contrôlés.
Les travaux d'isolation ne sont pas assez contrôlés.
©M. Rakusen /Cultura Creative / AFP

MaPrimeRenov

Contre l’avis du gouvernement, l’Assemblée a adopté plusieurs amendements au budget 2023 pour accroître de 12 milliards d’euros les crédits consacrés à MaPrimeRenov, le dispositif qui aide les particuliers à la rénovation thermique de leur habitation.

Bertrand Cassoret

Bertrand Cassoret

Ingénieur physique (Polytech-Lille), Docteur en génie électrique, Bertrand Cassoret est Directeur du département Génie Electrique de la Faculté des Sciences Appliquées de l’Université d'Artois. Bertrand Cassoret a publié "Transition énergétique ces vérités qui dérangent" (éditions Deboeck).

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Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Contre l’avis du gouvernement, l’Assemblée a adopté plusieurs amendements au budget 2023 pour accroître de 12 milliards d’euros les crédits consacrés à MaPrimeRenov, le dispositif qui aide les particuliers à la rénovation thermique de leur habitation. Que savons de l’efficacité réelle de la rénovation énergétique ?

Damien Ernst : L’exemple qui nous en apprend beaucoup est celui de l’Allemagne. Berlin a beaucoup investi pour la rénovation énergétique avec pour ambition de réduire considérablement l'empreinte énergétique. Dans un premier temps, cela a marché. Mais on a rapidement observé un phénomène de rebond. On pensait diminuer la charge thermique des bâtiments de moitié, mais les gens ont augmenté leur consommation énergétique. Ce n’est pas parce que les investissements sont faits et que l’on gagne 30% sur le toit qu’on va avoir un gain total de 30% en raison des effets de rebond. Puisque les factures énergétiques sont moindres, les gens consomment plus.  Evidemment, cela améliore le confort des bâtiments mais on peut avoir une mauvaise surprise si on imagine faire des économies importantes grâce à cela.

Est-ce qu’allouer de l’argent à des primes de rénovation énergétique est efficace économiquement et environnementalement ?

Damien Ernst : Ce n’est pas inutile, mais il faut faire attention aux effets de rebond. Quand le prix de l’énergie est très élevé comme à l’heure actuelle, cela permettrait aux gens d’avoir chaud sans avoir une facture qui explose. Mais il faut savoir qui sont les bénéficiaires de ces crédits. Il y a souvent une injustice sociale qui se crée à ce niveau-là. En effet, ces crédits sont majoritairement faits à des propriétaires, les locations en bénéficient nettement moins. De la même manière, quand on a subventionné les panneaux photovoltaïques, c’est la classe moyenne supérieure qui en a profité. Les très mauvais logements échoient souvent aux personnes les plus précaires et ne bénéficient pas des crédits. Et les propriétaires n’ont pas beaucoup intérêt à mener les travaux de rénovation. Les travaux sont à leur charge et la seule manière de gagner de l’argent suite à ces travaux, c’est l’augmentation des loyers. Et souvent la législation empêche en partie cela. Donc les propriétaires ne touchent pas forcément les bénéfices d’une rénovation profonde de leurs locations.

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Dans quelle mesure se pose aussi la question de travaux mal faits ?

Damien Ernst : L’allocation de ces crédits est en général soumise à une obligation d’augmenter le PEB du logement. Il y a normalement, derrière, des contrôles afin de vérifier que les travaux ont bien été faits. 12 milliards c’est une somme, mais il faut que les contrôles administratifs puissent suivre derrière pour encadrer l’octroi et le contrôle de ces crédits. Il faut aussi que les primes soient attractives et que cela ne soit pas trop lourd administrativement, sans quoi les gens ne le font pas. Et on sait que la France à un problème de lourdeur administrative. Et là encore la lourdeur des procédures nuit aux plus défavorisés.

Une étude d’UFC que choisir avait montré que 23 % des répondants interrogés après une rénovation énergétique constataient des malfaçons. Y a-t-il aussi un problème d’artisanat ?

Damien Ernst : La rénovation demeure un domaine assez jeune. Il est difficile de trouver un bon équilibre permettant une isolation l’hiver qui ne se traduise pas par une surchauffe en été qui demanderait l’installation d’un système d’air conditionné.

La rénovation thermique est-elle une solution illusoire ?

Damien Ernst : C’est un élément de solution parmi d’autres. Il ne faut pas surestimer son importance. Et pour avoir un impact, il faut que cela soit bien fait au niveau de l’artisanat mais aussi dans la répartition des aides pour y accéder.

Réunie en octobre 2019, la Convention citoyenne pour le Climat a délivré ses pistes au gouvernement pour accélérer la transition écologique et l’une d’elle conseillait de renforcer la rénovation énergétique des bâtiments. Dans les faits, les rénovations énergétiques ont-elles un rapport bénéfice-coût intéressant ?

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Bertrand Cassoret : D'un point de vue environnemental, il ne fait aucun doute qu'il faille améliorer l'isolation des logements pour qu'ils consomment moins d'énergie. En France environ un tiers de l'énergie finale consommée provient du chauffage, c'est le premier secteur de dépense énergétique français, et le 2ème poste d'émissions de gaz à effet de serre (après les transports). Environ 80% de l'énergie consommée par un bâtiment est due au chauffage et à la production d'eau chaude.

La source d'énergie la plus utilisée pour le chauffage est le gaz, émetteur de CO2 et dont l'approvisionnement devient problématique. Remplacer le gaz par l'électricité, moins émettrice de gaz à effet de serre grâce aux renouvelables et au nucléaire, est une bonne option mais n'est envisageable que si l'on améliore l'isolation pour une consommation globale moindre.

D'un point de vue financier, il est très intéressant d'améliorer les performances de vieux logements très mal isolés : isoler les combles, par exemple, est une opération simple et peu chère qui sera vite amortie. Mais plus on progresse, plus il est difficile de progresser, plus la rentabilité est aléatoire. Pour parvenir au niveau "Basse consommation" il faut isoler par l'extérieur, utiliser une ventilation double-flux, étanchéifier le logement..  Ces travaux ne sont pas toujours possibles techniquement, et nécessitent beaucoup de main d'œuvre.

Le journal de 20h sur France 2 du 4 avril dernier faisait état de 60 000 à 120 000 € par logement .

Des propriétaires d'un petit logement en copropriété en banlieue parisienne  m'ont parlé de  50 000€ pour leur quote-part  dans un immeuble de 1981.

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J'ai visité l'an dernier une maison de 1969 en rénovation: isolation extérieure, VMC double flux, étanchéité.. Le propriétaire espérait 3000€ d'économie annuelle en passant de plus de 300 à 80kWh/m²/an. Le montant des travaux est de... 80 000€! Il n'a engagé les travaux que parce qu'il a réussi à obtenir des aides conséquentes.

Y a-t-il des écarts entre les promesses tenues par les rénovations énergétiques et la réalité finale ? Des rénovations sur les bâtiments anciens et neufs sont-ils les mêmes ? Devons-nous appréhender ces rénovations par rapport à ces deux réalités ?

Bertrand Cassoret : On ne peut pas parler de rénovation dans le neuf. La réglementation dans les logements neufs impose aujourd'hui de grandes performances énergétiques et elle incite enfin maintenant à l'utilisation de pompes à chaleur électrique  ce qui est la meilleure solution pour limiter les rejets de gaz à effet de serre. Mais le coût des logements neufs augmente forcément.

Il est donc plus compliqué (donc, en clair, plus cher) de se loger dans un monde où l’énergie est rare que dans un monde où l’énergie est abondante et où l’on pouvait se permettre une construction simple sans se soucier de la consommation. Il est donc important de ne pas baser la politique que sur l'isolation, mais également de veiller à être capable de produire suffisamment d'énergie peu polluante, sous forme électrique, dans le futur.

Concernant le neuf, n'oublions pas que chaque nouveau logement, même bien isolé, représente une consommation d'énergie supplémentaire. Il faut agir dans l'ancien !

Quelle est la réalité des rénovations énergétiques des bâtiments en France ? Les rénovations se font-elles toutes entièrement ?

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Bertrand Cassoret : Les scénarios de transition énergétique français nécessitent aujourd'hui au moins 700 000 rénovations par an (cet objectif a été annoncé par Emmanuel Macron dans sa campagne électorale 2022).

En 2012, l’État français avait fixé l’objectif de rénover 500 000 logements chaque année, un objectif qualifié dans le journal Le Monde du 4 juin 2014 de « définitivement hors d’atteinte ». La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée en 2015 prévoyait également, sans préciser d’objectif de consommation, 500 000 rénovations par an, objectif non atteint puisqu'on en rénove moins de 300 000 chaque année. Le plan Hulot de 2018 en prévoyait lui aussi 500 000, un objectif bien inférieur aux 780 000 de Négawatt. Et rénover un logement ne signifie pas que sa consommation atteigne un niveau suffisamment bas : on peut gagner beaucoup sur des logements mal isolés, passer par exemple de 300 à 150 kWh/m² par an, mais il est très difficile dans l’ancien de descendre en dessous de 50. D’après le CLER (Comité de liaison pour les énergies renouvelables, devenu Réseau pour la transition énergétique), sur les 300 000 rénovations de logements effectuées en 2018, seules 40 000 ont permis d’atteindre le niveau « basse consommation ».    A ce rythme, il nous faudra au moins 100 ans sans être trop exigeant sur le niveau d’isolation, et 750 ans pour que tout le parc français soit basse consommation !

Le journal Le monde expliquait en avril 2020 " malgré les milliards investis dans la rénovation énergétique des bâtiments depuis une décennie en Allemagne, la consommation énergétique du logement est restée stable. Pis : non seulement la baisse des dépenses de chauffage ne compense pas le coût des travaux, mais les rénovations agissent souvent comme un facteur d’augmentation des loyers, souvent disproportionné."

La consommation résidentielle d'énergie a baissé seulement de 2.6% entre 2010 et 2019, elle e rebondi de 3% en 2020.

Les objectifs de l’Etat sont-ils suffisants en la matière ? Sont-ils atteignables ?

Bertrand Cassoret : La stratégie Nationale Bas Carbone consiste à électrifier, remplacer pétrole et gaz par de l'électricité dont la consommation va alors augmenter. C'est une bonne politique à condition de produire l'électricité sans énergies fossiles (donc avec essentiellement du nucléaire et des renouvelables). Le scénario de référence de RTE, permettant de n'augmenter que de 35% la consommation d'électricité française en 2050,  nécessite un doublement du rythme actuel de rénovation des logements.

Personnellement je ne crois pas que les objectifs seront atteints, on est trop optimiste ce qui est dangereux : on doit prévoir davantage de production d'électricité dans le futur. C'est un point difficile car cela signifie davantage de réacteurs nucléaires car il est clair que les renouvelables ne suffiront pas. Le débat sur le nucléaire étant très clivant, certains préfèrent croire ou laisser croire qu'on sera capable de maitriser nos consommations énergétiques sans problème. Le gros risque est de devoir continuer à recourir aux énergies fossiles. Des organismes de pointe  comme "France Stratégie" alertent également sur l'optimisme des scénarios.

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