La gratuité des transports en Île-de-France, une fausse bonne idée pour les usagers <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'illustration prise le 6 mars 2020 montre un pass Navigo utilisable en Ile-de-France.
Une photo d'illustration prise le 6 mars 2020 montre un pass Navigo utilisable en Ile-de-France.
©Philippe LOPEZ / AFP

Tribune

La gratuité des transports en Île-de-France est devenue ces dernières années un véritable serpent de mer qui ressurgit à chaque élection. Si l’idée, défendue au cours de ces élections régionales par la candidate du PS Audrey Pulvar, peut paraître avantageuse pour les usagers, celle-ci fait cependant l’impasse sur une réalité très prosaïque : les transports ne sont pas gratuits, la modernisation du réseau non plus. Pour les contribuables franciliens et pour les entreprises, la facture de cette mesure démagogique pourrait devenir très salée.

Yann  Wehrling

Yann Wehrling

Yann Wehrling est conseiller régional IDF, Fondateur du Parti de la Nature et ancien Secrétaire national des Verts. 

 

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Olivier Blond

Olivier Blond

Olivier Blond est conseiller régional, délégué spécial à la santé environnementale et à la lutte contre la pollution de l'air et Président de Bruitparif.

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Mathieu Cuip

Mathieu Cuip

Mathieu Cuip est Secrétaire général de l'UCE (Union des Centristes et des Écologistes).

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Marie-Eve Perru

Marie-Eve Perru

Marie-Eve Perru est Secrétaire générale du MEI IDF (Mouvement Écologiste Indépendant).

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La gratuité des transports en commun pour les usagers est-elle plus sociale, plus écologique et plus économique comme l’affirme Audrey Pulvar, candidate du PS aux élections régionales en Île-de-France ? Pas si sûr ! En région parisienne, la mesure menace surtout la pérennité du réseau en asséchant une grande partie de ses financements et de ses investissements. Car si demain le titre de transport ne coûtait plus rien pour les voyageurs, le coût que représente l’entretien des stations et des rames, mais aussi les salaires des agents, ne deviendrait pas gratuit pour autant. Et c’est en tant que contribuables, salariés ou indépendants que les usagers pourraient se retrouver à financer, malgré eux, la mise en place de la mesure.

4 milliards d’euros en moins par an, à répercuter en hausses d’impôts

Si les voyageurs ne paient plus leur titre de transport, le manque à gagner pour les transports publics sera de 4 milliards d’euros, soit pas moins de 40% du budget des transports franciliens. Un trou qui devrait être nécessairement compensé par de nouveaux impôts locaux auprès des Franciliens à hauteur de 500 euros par an et par ménage, même ceux qui n’utilisent pas les transports.

30 000 emplois perdus, -0,7 point de PIB régional

Par rapport à la situation actuelle, la facture pourrait être d’autant plus salée que les habitants de l’Île-de-France ne sont aujourd’hui pas les seuls à contribuer au budget d’IDFM. Les usagers des transports franciliens sont en effet loin de se limiter aux seuls habitants de la région. Les dizaines de millions de visiteurs qui empruntent chaque année dans la région un bus, un tram, un métro ou un RER participent eux aussi au financement du réseau en achetant leurs titres de transports. C’est notamment le cas des 50 millions de touristes qui transitent chaque année par les aéroports d’Orly ou de Roissy-Charles de Gaulle et par les gares parisiennes, ou qui séjournent dans la région, l’une des plus visitées au monde. Autant d’usages pour lesquels les Franciliens seraient amenés à payer à la place de la contribution des touristes, sauf à augmenter la taxe (encore une !) de séjour pour couvrir ces postes de dépense.

Reste la solution de faire payer davantage les entreprises comme le propose Audrey Pulvar. Qui peut raisonnablement envisager d’alourdir la pression fiscale sur nos entreprises de 4 milliards d’euros de taxes supplémentaires alors qu’elles sont déjà très durement fragilisées par la crise de la Covid-19 et que certaines sont à l’agonie ? Les effets macroéconomiques seraient catastrophiques, notamment pour les TPE, qui verraient leur Versement Transports augmenter. Une telle hausse des taxes serait inévitablement répercutée sur les salaires et sur l’emploi. D’aprèsune évaluation de la direction générale du Trésor, cette charge supplémentaire pourrait causer la destruction de 30 000 emplois et la perte de 0,7 points de PIB régional. Pas de quoi, là non plus, améliorer le pouvoir d’achat des Franciliens.

Une mesure qui n’avantage pas les plus fragiles

Si la gratuité des transports n’est pas vraiment avantageuse pour le portefeuille des Franciliens, celle-ci peut-elle être considérée comme une mesure solidaire ? Rien n’est moins sûr en y regardant de plus près. Tout d’abord, parce que de nombreuses mesures ont déjà été mises en place pour ceux qui en ont le plus besoin. Une réduction de 75% du prix du passe Navigo (18,80 euros par mois) s’applique ainsi déjà aux bénéficiaires de la CMU et aux chômeurs. Les scolaires, les étudiants et les seniors disposent par ailleurs de leurs propres tarifs préférentiels (carte Imagine R et Navigo Senior). Quant aux salariés, ceux-ci voient le coût de leur passe Navigo pris en charge à 50% par leur employeur. La mise en place de la gratuité totale bénéficierait ainsi essentiellement aux usagers pour qui le tarif du passe Navigo ne représente pas véritablement un obstacle pour se déplacer.

Même lorsqu’il est à plein tarif, le prix du passe Navigo se veut le plus abordable possible. Le prix réel d’un voyage est quatre fois supérieur en moyenne à celui dont s’acquitte un usager disposant d’un abonnement. En comparant ce tarif avec celui d’autres réseaux de grandes villes, comme celui de Londres par exemple, le prix du titre de transport parisien apparaît dès lors comme le moins cher du monde, eu égard à l’étendue et au maillage du réseau. Preuve que le prix du passe Navigo n’est aujourd’hui pas un critère déterminant : selon un rapport commandé par la maire de Paris Anne Hidalgo en 2019, la gratuité n’entraînerait qu’une baisse de 2% de la circulation automobile, avec un effet dérisoire sur la qualité de l’air et l’encombrement routier.

Faute d’investissements, une révolution des transports qui risque la panne sèche

D’autres facteurs que le prix entrent en ligne de compte et se trouvent négligés par une approche qui ne met l’accent que sur le tarif du titre de transport. Qu’il s’agisse de participer à la révolution des transports en adoptant des modes de transport plus respectueux de l’environnement, ou de se déplacer plus facilement en Île-de-France, chacun a ses propres raisons de souhaiter des moyens de transport plus fiables, plus sûrs, plus propres, plus confortables et plus ponctuels. C’est particulièrement le cas des Franciliens qui habitent en Grande Couronne et sont parfois amenés à effectuer de longs trajets entre leurs domiciles et leurs lieux de travail. Faute d’accès à des transports efficaces, ceux-ci sont davantage incités à se servir de leur voiture pour leurs trajets quotidiens.

L’absence de gares ou d’arrêts de bus à proximité ou la circulation exclusive de moyens de transports inconfortables (saturés aux heures de pointe, non-climatisés en été et non-chauffés en hiver par exemple) et peu ponctuels sont autant de facteurs qui freinent le report modal. En se privant de ressources financières, la Région perd ainsi des capacités d’investissement nécessaires pour étendre le réseau et moderniser les rames et les bus en circulation.

Une mesure contre-productive d’un point de vue écologique

La voiture individuelle, les embouteillages et la pollution de l’air, seraient les seuls à profiter d’un coup d’arrêt à l’effort d’investissement consenti ces dernières années. Les seuls à croître dans un contexte d’inévitable dégradation du service dans une région dont la population continue de s’accroître, en particulier en grande couronne.

La taille du réseau tout comme la nécessité d’investir massivement pour moderniser le réseau et rendre les transports publics attractifs sont les raisons qui rendent contre-productive et inapplicable la gratuité dans les métropoles. Les villes de Portland et de Seattle (2,5 et 4 millions d’habitants dans leurs aires urbaines respectives) qui l’ont expérimentée sont revenues sur cette mesure, tout comme la ville de Hasselt en Belgique. Celle-ci a vu exploser ses coûts de d’exploitation d’un million d’euros après la mise en place de la mesure face à l’afflux des piétons et des cyclistes dans les transports publics, sans pour autant convaincre les automobilistes de renoncer à leur voiture dans le même temps.

Même à gauche, la gratuité ne fait pas l’unanimité : les candidats EELV et LFI ont déjà fait savoir leur hostilité à la mesure. Pourtant, Audrey Pulvar a fait de la gratuité des transports le prérequis non-négociable à toute alliance des listes de gauche pour le second tour. Qu’on se le dise : voter dimanche pour l’une des trois listes de gauche, c’est l’assurance de voir cette proposition dangereuse pour l’Île-de-France et ruineuse pour nos transports et les Franciliens figurer au programme commun de la gauche et de l’extrême-gauche.

YANN WEHRLING, conseiller régional IDF, Fondateur du Parti de la Nature et ancien Secrétaire national des Verts

OLIVIER BLOND, Président de l’association Respire et professeur de santé environnementale

MATHIEU CUIP, Secrétaire général de l'UCE (Union des Centristes et des Écologistes)

MARIE-ÈVE PERRU Secrétaire générale du MEI IDF (Mouvement Écologiste Indépendant)

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