La France "va mieux" : les réformes de "modernisation" que revendique François Hollande passées au crible de la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La France "va mieux" : les réformes de "modernisation" que revendique François Hollande passées au crible de la réalité
©Présidence de la République (site Internet)

Entrée en campagne

François Hollande a lancé ce mardi au Théâtre du Rond-Point la première étape de sa campagne. Dans un discours qui ressemblait beaucoup à un bilan quinquennal, il s'est auto-congratulé et félicité de plusieurs réformes emblématiques qu'il a menées depuis 2012... mais dont on peut douter du bien-fondé.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »
Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

Voir la bio »
Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »
Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »
Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

Voir la bio »
Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

Voir la bio »

Atlantico : A l'occasion d'un discours aux accents d'entrée en campagne présidentielle, François Hollande a fait l'inventaire de ce qu'il présente comme les réussites de son quinquennat, sur différents grands thèmes :

1) Sur la modernisation du pays via l'action économique, tant en matière de préservation du système social français que de soutien à nos acteurs économiques. Quels sont les éléments pouvant être mis au crédit de François Hollande parmi ceux qu'il a évoqués : la banque publique d'investissement, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le pacte de responsabilité, le dispositif embauche PME, le déficit public français attendu à 3% en 2017, le modèle unique pour les taxes relatives au revenu du travail ou du capital, les nouvelles tranches d'impositions pour les hauts revenus, le plafonnement des niches fiscales, le prélèvement à la source, les baisses d'impôts depuis 2014, un demi-million de travailleurs partis à la retraite à 60 ans, le tiers payant, le compte pénibilité… ?

Philippe Crevel : La longue liste à la Prévert témoigne de l’absence de lignes directrices dans la politique économique de François Hollande. Ce dernier, brillant maître de conférence et professeur d’économie à Sciences Po a éprouvé les pires difficultés pour passer de la théorie à la pratique. Entre ses promesses de campagne idéologiques et démagogiques et le principe de réalité, il a dû en permanence faire le grand écart.

En arrivant au pouvoir en 2012, il considère que la reprise économique se profile. Il décide ainsi d’augmenter fortement les prélèvements obligatoires tant sur les entreprises que sur les ménages afin de financer en partie ses promesses : création de 60 000 postes dans l’Education nationale, contrats d’avenir, remise en cause partielle des 60 ans… En quelques mois, il augmente les cotisations sociales, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les plus-values, les prélèvements sur l’épargne, l’ISF… Ce choc fiscal ralentira l’économie et retardera d’autant la reprise. Face à l’effondrement du taux de marge des sociétés, face à la montée de la grogne anti-impôt ("pigeons" et "bonnets rouges") et face à l’impasse économique dans laquelle se trouve l’économie française, le président de la République fait un virage à 180 degrés fin 2013. Sans coup férir, il décide de remettre l’entreprise au cœur de ses priorités. La finance honnie redevient fréquentable...

Il crée le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi qui équivaut à un transfert de 6% de la masse salariale des entreprises, hors salaires de plus de 2,5 fois le SMIC. Il est difficile, deux ans et demi après son adoption, d’apprécier le réel impact de ce dispositif. Début 2016, plus de 23 milliards d’euros avaient été redistribués par ce mécanisme, 12 milliards d’euros ont profité aux TPE-PME. L’Observatoire Français des Conjonctures Economiques estime que 120 000 emplois auraient été créés avec le CICE. Il est toujours très difficile d’évaluer les créations car il y a toujours des effets d’aubaine. Ce qui est certain, c’est que le pouvoir reconnaît à demi-mots le caractère complexe de ce dispositif. Il avance l’idée depuis de nombreux mois de le remplacer par de réelles baisses de charges sociales. Le CICE rend le système de cotisations sociales un peu plus illisible.

Par ailleurs, il s’intègre au pacte de compétitivité, également appelé de responsabilité, qui doit aboutir à terme à un allègement de 41 milliards d’euros pour les entreprises. A l’heure actuelle, 31 milliards d’euros ont été ainsi accordés. Après avoir pris d’une main, François Hollande a décidé de redonner de l’autre. Le pouvoir a mis en place un véritable jeu de bonneteau où il y est difficile de retrouver ses chats. Le caractère étalé dans le temps, la multitude de dispositions, rendent leur évaluation délicate. Les charges sociales ont été en grande partie éliminées pour les salariés travaillant au SMIC et depuis le 1er janvier 2016, les allègements visent les salariés rémunérés jusqu’à 3 SMIC. Les seuils se multiplient. Il aurait été plus facile de redessiner la grille des cotisations sociales. Par ailleurs, François Hollande tente toujours de concilier un message de gauche avec une action de droite, lier les baisses de charges à des créations d’emploi. Or, et il le sait, la création d’emplois obéit à des considérations économiques et non à des subventions.

La Banque Publique d’Investissement devait être l’outil du redressement productif cher à Arnaud Montebourg. Trois années plus tard, elle a permis de simplifier les dispositifs d’aides de l’Etat aux entreprises sans révolutionner le paysage. L’idée d’une banque publique était assez désuète au temps du crowdfunding. Mais au moment de sa création, il fallait encore sauver Florange, Aulnay… In fine, ni l’un, ni l’autre ne furent sauvés. General Electrics a racheté Alstom et les Chinois ont pris une participation dans PSA. La BPI ne fait plus la Une. François Hollande et Emmanuel Macron ont opté depuis pour le réalisme en faisant la promotion des fonds de pension à la française. 

François Hollande peut s’enorgueillir d’avoir augmenté le plus l’impôt sur le revenu et d’avoir exonéré le plus grand nombre de contribuables. Tout à la fois l’impôt sur le revenu a franchi la barre des 70 milliards d’euros et le nombre d’assujettis est repassé sous la barre des 50%. L’assiette a été étirée vers le haut et réduite en bas. Logiquement, un bon impôt, c’est un impôt avec une assiette large et des taux faibles. Nous n’en avons pas pris le chemin. 12 millions de contribuables ont, depuis 2014, obtenu un allégement au titre de l’impôt sur le revenu. Près de deux millions ont été exonérés avec la suppression de la tranche de 5,5% et les mesures complémentaires décidées en 2015.

En matière de simplification fiscale, François Hollande a promis une réforme de grande envergure. Il s’est contenté de plafonner les niches fiscales et de réduire le quotient familial. Ce sont les familles de la classe moyenne qui ont été mises à contribution. Certes, il promet la retenue à la source mais après 2017… Et en plus, il modifie simplement la collecte de l’impôt sans toucher l’architecture. Nous aurons ainsi droit à une nouvelle usine à gaz.

La communication du Gouvernement sur la fiscalité laisse à désirer. La création de nouvelles tranches d’imposition, même si celle de 75% ne fut que temporaire, la taxation des plus-values professionnelles… ont été autant de signaux négatifs adressés aux créateurs d’entreprise, aux investisseurs français et internationaux. L’attractivité économique passe par l’image fiscale que l’on donne. Même si l’impôt sur les bénéfices est plus élevé au Royaume-Uni qu’en France, François Hollande a par sa politique permis de faire croire l’inverse.

En 2016, les prélèvements obligatoires devraient s’élever à 991 milliards d’euros contre 915 milliards d’euros en 2012. L’année prochaine, la barre symbolique des 1000 milliards d’euros de prélèvements sera franchie. 

Au niveau de la retraite, François Hollande a dansé sur un fil. Ne voulant en aucun cas remettre en cause la retraite à 62 ans de son prédécesseur, il a opté pour un élargissement du dispositif de carrière longue qu’il a financé par des augmentations de cotisations sociales. Il a dû en 2014, par ailleurs, à son corps défendant, accepter une nouvelle réforme des retraites du fait de l’amplification des déficits. Il a surtout tenté de gagner du temps en faisant peser les charges sur les générations futures. Il a une fois de plus décidé d’augmenter les cotisations sociales. Les retraités ont été également mis à contribution avec l’instauration de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie et par le gel des pensions. Afin de faire passer cette réforme, François Hollande a décidé la création du compte de pénibilité permettant d’accumuler, entre autres, des droits supplémentaires pour la retraite en cas d’assujettissement à des travaux pénibles. Si l’objectif est louable, la mise en œuvre s’est révélée toute autre. Le caractère kafkaïen a eu raison en partie de ce dispositif qui une fois de plus s’accompagnait de la création de nouvelles taxes. Devant l’impossibilité de transformer les employeurs en comptables de la pénibilité au quotidien de leurs salariés, le pouvoir a dû accepter de différer l’application d’une partie du compte de pénibilité. 

Christophe de Voogd : C'est évidemment le domaine où le bilan officiel ne tient pas une seconde. "Redressement par rapport à quand" ? La question n'est jamais posée. Or, tous les indicateurs montrent que cela va plus mal qu'en 2012 sauf pour le déficit budgétaire (et pour combien de temps, au rythme actuel des nouvelles dépenses ?). Un seul exemple : à ce jour, le Pacte de responsabilité n'a toujours pas restitué aux entreprises la totalité des prélèvements supplémentaires collectées sur elles depuis 2012. Un mot sur la retraite à 60 ans pour les carrières longues : il faudrait faire le bilan précis de cette mesure prise dès le début du quinquennat. A qui a-t-elle profité ? Sans doute à beaucoup de fonctionnaires dont la période de formation est comptée dans les droits à la retraite (anciennes écoles normales et autres) et qui bénéficient, à la différence de beaucoup de salariés du privé, d'une carrière complète. Bref, à la clientèle électorale du Parti socialiste.

2) Sur la modernisation du pays par la création de nouveaux droits sociaux liés à l'évolution des mœurs. Les éléments évoqués par François Hollande sont le mariage pour tous, l'IVG anonyme et gratuit, la fin de vie apaisée, le droit à l'oubli, la protection des données sur Internet. Comment évaluer l'action du chef de l'Etat sur ce point ?

Christophe de Voogd : La création de nouveaux droits est le leitmotiv dans tous les domaines de François Hollande et parle au coeur de la gauche, mais selon les secteurs, son action a été très diverse voire contradictoire.

De fait, la gauche est aussi libérale en matière de moeurs qu'elle est anti-libérale (très majoritairement) en économie et divisée en matière de libertés publiques. Ces dernières ont en partie à cause du terrorisme régressé sous ce quinquennat. La loi Renseignement pose à cet égard de vrais problèmes tant les pouvoirs d'investigation administrative ont été renforcés bien au-delà de la lutte contre le terrorisme. De même, en matière de liberté de manifestation, on a vu la grande sélectivité du pouvoir entre la Manif pour tous et Nuit Debout. Enfin, le pluralisme, sans lequel il n'est pas de liberté, est toujours ausi problématique dans les médias comme dans l'éducation. Autrement dit, phénomène bien connu, les "nouveaux droits" ont été préférés aux "vieilles libertés", celles de 1789.

Eric Verhaeghe : On peut l'évaluer en soulignant sa marginalité. François Hollande a fait des réformes à la marge pour des populations minoritaires. Le mariage pour tous en est la meilleure illustration. Cette mesure très emblématique n'a même pas profité à 60 000 personnes. Ce chiffre souligne le caractère très fragmenté et le manque profond d'ambition dans les choix de François Hollande. D'une certaine façon, le Président a pratiqué des réformes très élitistes. Il s'est adressé aux homosexuels militants qui souhaitaient obtenir un droit au mariage. Il s'est occupé des jeunes filles enceintes dont la famille ne veut pas accepter la grossesse. Là encore, la mesure concerne un nombre infime de personnes : probablement moins de 10 000. Il devrait en être de même pour la sédation profonde, qui concernera très peu de Français. Bref, les mesures qui sont énoncées ici sont importantes pour les personnes qui en font usage, mais elles demeurent très marginales et ne concernent qu'une élite.

Quant au droit à l'oubli et à la protection des données sur Internet, on a bien entendu envie de paraphraser Léa Salamé en disant "C'est une plaisanterie !". La loi sur le renseignement adoptée à l'issue des attentats de janvier 2015 a permis aux services de renseignement de dévaliser en quantité industrielle les données privées des Français, sans distinction de genre. Les protections dont les libertés bénéficient depuis l'arrivée au pouvoir de François Hollande sont réduites à peau de chagrin. 

D'une certaine façon, le mandat de François Hollande s'est surtout caractérisé par des créations de droits nouveaux pour quelques élites, et par une réduction massive des libertés publiques pour la majorité. L'action présidentielle relève donc surtout de la posture et de l'occultation des réalités.

3) Sur la modernisation du pays grâce à la refonte du modèle de l'Education nationale : les éléments évoqués sont de permettre la réussite de notre modèle éducatif, notamment au travers de la création de 60 000 postes dans l'éducation.

Pierre Duriot : L'autosatisfaction du Président et des trois Ministres de l'éducation successifs des gouvernements a quelque chose de déplacé en fait, y compris sur le chapitre des 60 000 postes promis : tous les commentateurs avertis sont relativement critiques sur le sujet. On est encore loin du total annoncé et il est très probable que le chiffre sera difficilement tenu avant la fin du quinquennat : il en manque 13 000 au compteur. Sébastien Sihr du SNUipp a mis en avant des comptes bancals, pointant le non-renouvellement des postes spécialisés en primaire ou la stagnation du nombre de scolarisations des moins de 3 ans en maternelle. Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat National des Lycées et Collèges, explique même que "les 60 000 postes serviraient à absorber la pression démographique", celle du baby-boom des années 2000. Effectivement, sur le terrain, l'arrivée des 47 000 postes (dont certains ne sont pas directement face aux élèves) n'est pas particulièrement visible et les effectifs des classes n'ont pas baissé. Une petite bonne note pour une amélioration de la formation des professeurs, même si les gens de terrain reprochent encore un manque de professionnalisation dû à l'accent mis sur les savoirs plutôt que les savoir-faire. La réforme des rythmes engagée par Vincent Peillon est loin d'avoir satisfait tout le monde et l'on se perd encore en conjectures, à la fois sur sa praticité pour les parents et ses effets sur l'amélioration des résultats scolaires des élèves.

Côté contenus, le compte n'y est pas non plus. Les tentatives en direction de la citoyenneté, de la laïcité et des programmes paraissent bien minces et surtout inadaptées. La réforme du collège finit de corroborer ce que beaucoup d'observateurs appellent un nivellement par le bas. Abandon de l'excellence, du mérite, avec la suppression de classes bi-langues ou des notes, laissent un goût amer aux professeurs. On retiendra les minutes de silence chahutées dans les écoles et collèges lors des attentats, le meurtre de l'une de nos collègues le dernier jour de l'année scolaire passée, les campagnes contre le harcèlement scolaire, le taux impressionnant d'agressions envers les responsables d'établissements, qui montrent s'il en était encore besoin le climat délétère et tendu qui règne fréquemment dans de trop nombreux établissements, le tout sur fond de descente graduelle des résultats des élèves dans les enquêtes internationales.

Le leurre informatique suit, avec l'équipement inégal et à grands frais de certains élèves, en tablettes, ordinateurs et logiciels, avec cette illusion que cela va améliorer le travail et le niveau. Il n'en est rien, c'est bien le "frottement" des personnalités réunies des professeurs et des élèves, dans l'échange, qui génère non seulement le processus d'apprentissage mais aussi la motivation (hélas, aussi, la démotivation quelquefois), mais pas l'outil informatique désincarné. Seuls les très bons élèves apprennent bien avec l'informatique et ceux-là ont en général, déjà leur équipement.

Enfin, en matière de laïcité, la cacophonie règne et les enseignants attendaient plus de clarté par rapport au prosélytisme islamique. Madeleine Bazin de Jessey, des Républicains, agrégée de Lettres Classiques, a écrit à ce propos dans le Figaro : "Nos repères communs seront donc extraits des cultures venues d'ailleurs et des tragédies de notre histoire. Plutôt que d'amener l'élève à puiser à la source du christianisme, de l'humanisme et des Lumières, le Conseil Supérieur des Programmes préfère écouler ses stocks de repentance amère et éculée". Elle témoigne ainsi d'un certain agacement devant ce que d'autres osent appeler "une réécriture de l'Histoire la présentant sous un jour favorable aux habitants d'une autre culture". Les percées en direction de l'enseignement de l'arabe, l'autorisation de l'accompagnement scolaire par des femmes voilées, le refus de prendre position contre le voile à l'université et la suspension des professeurs refusant des étudiantes voilées dans leurs cours, ont contribué à installer le flou par rapport à cette laïcité à laquelle tient l'ensemble des professeurs. Ils attendaient des prises de positions plus fermes face au prosélytisme.

En réalité, les trois ministres successifs n'ont pas vraiment séduit et l'opération amorcée de reconquête électorale des professeurs risque d'être assez difficile.

Christophe de Voogd : Un seul mot sur ce sujet : a-t-il jamais été démontré que le recrutement de 60 000 enseignants de plus, à structures inchangées, était un facteur de réussite éducative ?

4) Sur le rayonnement international de la France à travers la lutte contre la fraude ou encore son placement en "pole position" écologique et énergétique. Les éléments avancés par François Hollande sont l'écologie, l'engagement pour la COP21, la transition énergétique votée au Parlement, ou encore, sur la fraude fiscale : l' union bancaire européenne, la loi de séparation dans les établissements financiers, le recul du secret bancaire, la lutte contre la fraude, la protection des lanceurs d'alertes. Comment évaluer l'action du chef de l'Etat sur ces points ?

Philippe Crevel : La France fut écornée sur le plan de son rayonnement international au début du quinquennat de François Hollande. Il commença par vouloir remettre en cause le traité de stabilité budgétaire européen. Il renonça assez vite. Il s’opposa à Angela Merkel avant de renouer les liens franco-allemands au point de jouer un numéro de duettistes.

Le président de la République n’a été guère heureux avec ses relations avec les Etats-Unis. Entre les écoutes et le refus d’Obama de s’engager contre Bachar El Assad en passant par le traité euro-atlantique, François Hollande éprouve les pires difficultés à s’imposer face à un allié qui regarde de plus en plus du côté du Pacifique. Il pourra toujours mettre en avant la COP21 mais que restera-t-il de cet accord dans quelques années ? Il s’agit avant tout d’une pétition de principe plus que d’un traité de protection constructive de notre environnement. Le quinquennat de François Hollande sera celui de la gestion au fil de l’eau de l’environnement. Il n’aura pas osé remettre en cause le principe de précaution qui stérilise plusieurs pans de notre économie. Il aura surfé en permanence sur sa promesse de fermer Fessenheim sans prendre réellement le tournant des énergies renouvelables. Il aura assisté à la banqueroute de la filière électro-nucléaire…

Sur le plan international, la France a survécu non pas par son économie car cette dernière disparait des écrans radars. Si l’on excepte la présence à l’international de nos grands groupes, nos parts de marché déclinent. En 20 ans, le poids des exportations françaises a été divisé par deux.

François Hollande a sauvé l’essentiel au niveau européen mais il n’a pas créé de nouveau souffle. Il a contribué au maintien de la Grèce dans la zone euro, et le départ de ce pays aurait certainement signifié à terme la fin de la monnaie unique. Il a participé à la création de la supervision bancaire européenne. Mais en la matière, c’est plutôt une avancée collective qu’une fulgurance hollandaise. Sur la séparation des activités au sein des établissements financiers, la loi de 2013 est en retrait par rapport aux promesses de campagne. Elle se limite à un cantonnement des activités et à des règles de rémunération des traders. Rien de révolutionnaire. Au niveau monétaire et financier, Paris est également en retrait. Le Président a peu joué avec Christine Lagarde, Présidente du FMI pour obtenir une meilleure régulation de la finance internationale. Mais le poids de Paris est contraint par la situation financière de l’Etat.

En revanche, François Hollande n’a pas initié un nouvel élan européen. Il n’a pas pu ou su convaincre les représentants des Etats membres de surmonter l’échec du référendum de 2005, qui fut aussi son échec en tant que Premier Secrétaire du PS. Sur la question des travailleurs détachés, sur l’harmonisation sociale et fiscale, peu d’avancées. Certes, il peut se réjouir des progrès accomplis en matière de lutte contre la fraude fiscale, mais en la matière le dossier était ouvert bien avant son arrivée au pouvoir. C’est avant tout l’OCDE qui était à la manœuvre plus que Bercy, l’Elysée voire même la Commission de Bruxelles.

Sur le statut européen de lanceur d’alerte, le flou demeure la règle. Les pouvoirs publics français ont pris position mais dans les faits, c’est toujours au point mort. Les lanceurs d’alerte français qui ont fait gagné des centaines de millions d’euros à l’Etat ne sont guère épaulés en cas de perte d’emploi et de leurs revenus. 

Stephan Silvestre : Pour des raisons politiques bien connues, François Hollande avait porté bien haut l’étendard environnemental, affichant des ambitions très emblématiques. L’épisode de la COP21 est très symptomatique de cette posture : dans un contexte politique exécrable, celui-ci avait fait de la conférence de Paris le grand rendez-vous mondial de la lutte contre le réchauffement climatique. La conférence devait - enfin - aboutir à un accord international contraignant, de nature à inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Après coup, force est de constater qu’aucune mesure juridiquement contraignante n’a été adoptée. Bien sûr, tout le monde est sorti de l’événement avec le sourire et en se tapant dans le dos, mais l’accord ne pourra pas entrer en vigueur avant 2020 et sous conditions. De fait, chaque pays continuera de mener la politique environnementale qu’il souhaite, au rythme où il le souhaite.

Sur le volet de la transition énergétique, là aussi François Hollande avait totemisé le chiffre de 50% de la production d’électricité d’origine nucléaire. Au-delà du fait que cet objectif est pour le moins contestable, la France produisant actuellement de l’électricité décarbonée et bon marché, il n’est absolument pas atteignable. En effet, pour y parvenir sans augmenter fortement la consommation d’électricité, il faudrait fermer 15 à 20 réacteurs nucléaires, ce qui n’est réaliste ni industriellement, ni économiquement, et n’a fait l’objet d’aucune étude concrète. Là encore, beaucoup de bruit pour rien. Faute de pouvoir atteindre cet objectif, le Gouvernement s’est contenté d’alourdir la taxe sur la consommation d’électricité (TCFE), renchérissant les factures pour les particuliers et les entreprises. Les autres mesures qui ont été prises concernent surtout l’efficacité énergétique dans le domaine du bâtiment. Cela s’est traduit pas un déferlement normatif qui a à la fois renchéri et ralenti la construction immobilière. D’un point de vue de l’efficacité environnementale, le bilan est déplorable : le coût de ces mesures est pharaonique, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, et le gain en émissions de gaz à effet de serre très marginal. C’est pourtant connu, ce genre de mesures arrivent très loin dans l’ordre du rapport gain en émissions/coût. Au final, l’action du Gouvernement dans ce domaine s’est traduite par un alourdissement réglementaire, un ralentissement économique (donc du chômage), une baisse du pouvoir d’achat et aucun résultat tangible sur le plan environnemental.

5) Enfin, sur la modernisation du pays au travers de la restructuration du territoire, François Hollande évoque la réforme territoriale, la création de métropoles européennes ou la relance de la politique de la ville. Quel bilan dresser de son action sur ces points ?

Jean-Luc Bœuf : Derrière l'effet d'annonce, le résultat ne sont pas du tout là. La réforme territoriale n'avait que trois objectifs : clarifier, simplifier et économiser. Dans les faits, on constate qu'elle a plutôt brouillé, complexifié et dépensé.

Le brouillage vient essentiellement de l'intercommunalité : le système intercommunal précédent était simple (communauté de communes, communautés d'agglomérations, communautés urbaines). On a rajouté l'échelon des métropoles. Cet échelon divise lui-même en plusieurs autres échelons car désormais il existe différents statuts : la métropole de Lyon n'a pas le même que la métropole normale, lequel n'est pas non plus le même que celui de la métropole de Paris. Ensuite, le danger de cette configuration, c'est qu'on a plus affaire à des métropoles qui siphonnent qu'à des métropoles qui rayonnent. Dans les prochaines années, les politiques territoriales de l'Etat pourraient être redistribuées uniquement via les régions et les métropoles avec un risque de délaissement des territoires. Rappelons que ce ne sont pas les territoires ruraux qui posent des difficultés : ce sont les agglomérations moyennes, les villes "moyennes". Une grande ville qui rencontre des problèmes sera rapidement prise en charge… La création d'un comité interministériel pour lui venir en aide sera rapidement validée. En revanche, les villes moyennes, qui comptent de 20 000 à 100 000 habitants sont laissées à leur propre sort. Cela se traduit régulièrement au quotidien : auparavant les politiques affichaient leurs volontés d'aménager les territoires de façon générale, aujourd'hui ils ne se concentrent plus que sur les régions et les métropoles.

La simplification était le but de la réforme régionale : la carte territoriale devait être plus "lisible". C'est là que la situation devient ubuesque, puisqu'on ne simplifie rien. Aujourd'hui, nous avons de nouvelles grosses régions, dont les anciennes préfectures doivent devenir des communautés urbaines. Ces "communautés urbaines" se conçoivent de deux façons : soit comme une sorte de sous-métropole, soit comme un lot de consolation pour qui n'a pas su gagner la capitale de région. Ajoutons à cela le fait que les budgets cumulés des régions n'ont pas bougé. Avant ou après la réforme, il n'y a pas eu le moindre changement… Avec un peu d'humour, on pourrait souligner qu'additionner de l'eau à 20 degrés et un peu plus d'eau à 20 degrés ne fait pas de l'eau à 40 degrés ! Ces régions sont effectivement plus grosses, mais elles n'ont pas plus de compétences, pas plus de moyens financiers, toujours pas de moyens fiscaux (puisque l'Etat les leur a enlevés). On leur a également diminués leurs dotations. Et on les présente comme les régions de demain… En bref, en fin de quinquennat Hollande, le poids total des régions est inférieur au poids de l'intercommunalité ! Cherchez l'erreur !

Le troisième point est celui des économies envisagées. C'était un avantage considérable : les économies que devraient, grâce à cette réforme, engranger les territoires. Là encore c'est faux, car les régions nouvelles moutures doivent refaire tous leurs schémas : schéma de l'aménagement du territoire, schéma économique, schéma des formations, schémas des transports, schéma des infrastructures, etc. Il faut tout refaire. Sans oublier que le moindre schéma nécessite d'associer tous les acteurs (le conseil régional et environnemental) et coûte donc environ 500 000 euros. Si on multiplie le nombre de schémas par le nombre de régions, par le coût du schéma, on en arrive évidemment à des dépenses folles. 

De plus, il faut reformater tout le fonctionnement des ressources humaines. Dans une entreprise, s'il faut fusionner deux services, l'un comptant 100 salariés, l'autre 80, on en arrive généralement à un total final de 160 salariés. Dans le cadre de cette réforme, avec les mêmes estimations, on finit plus proche des 200. Sans compter le doublonnement de tous les cadres de direction ! Ils ont tous été gardés et protégés, c'est dans la nature de leur emploi dit "fonctionnel". Concrètement, le coût de cette réforme peut être évalué à 3% des budgets cumulés des régions. Cela correspond à environ un milliard. Le secrétaire d'Etat à la réforme territoriale annonçait qu'il y avait 10 milliards d'économies. Dans les faits, cette réforme nous (sur)coûte un milliard. 

S'il fallait véritablement revenir sur l'idée de la "création de métropole européenne", la seule chose à dire c'est qu'en 1965 Olivier Guichard, premier directeur de la DATAR, avait mis en place les métropoles d'équilibre. Qu'est-ce que l'Etat a fait en cinquante ans ? Encore une fois on nous revend les mêmes idées, les mêmes chiffres… 

Pour ce qui est de cette fameuse relance de la politique de la Ville, un seul exemple suffit : là où la politique de la Ville version PNRU (Programme National pour la Rénovation Urbaine) avait généré d'importantes sommes (qu'on compte en dizaines de milliards) dans toute la France, les résultats observés durant le quinquennat Hollande sont autrement moins impressionnants. Les expectatives de ce mandat sont donc sans communes mesures avec les ambitions affichées. Pourquoi ? Parce que l'Etat n'a aucun moyen financier. 

En revanche, il est important de reconnaître que la baisse de la dotation des collectivités locales est une bonne chose puisqu'elle les incite à gérer l'argent public de façon plus avisée, plus économe.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !