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Christine Lagarde BCE Banque Centrale Européenne plan de relance dépenses
Christine Lagarde BCE Banque Centrale Européenne plan de relance dépenses
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Plan de relance

Face à l'impact de la pandémie de Covid-19, la BCE a rallongé son plan de soutien de 500 milliards d'euros. La Banque centrale européenne a renforcé son dispositif de soutien à l'économie de la zone euro en portant l'enveloppe à 1.850 milliards d'euros. Ces sommes vont-elles être utilisées intelligemment par les Etats ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : La Banque centrale européenne vient d’annoncer de nouvelles mesures d’assouplissement monétaire destinées à stimuler une reprise économique qui s’essouffle en accordant les 500 milliards supplémentaires prévus. Ces mesures seront-elles suffisantes pour soutenir les économies européennes les plus durement touchées par la pandémie ?

Michel Ruimy : L’enveloppe du programme de rachats de dette privée et publique, lancé en urgence face à la première vague de la Covid-19, a été portée à 1 850 milliards d’euros, en hausse de 500 milliards et disponible jusqu’en mars 2022, soit neuf mois de plus que prévu. La banque centrale a également étendu ses financements à taux négatifs destinés aux banques commerciales afin qu’elles continuent de soutenir l’économie. Toutes ces mesures étaient, en fait, attendues depuis la déclaration d’octobre de la Banque centrale européenne (BCE) affirmant son intention de « recalibrer » les instruments pour faire face à l’évolution de la situation sanitaire et la menace d’un nouveau plongeon des économies de la zone euro. Rarement la banque centrale avait autant prévenu les investisseurs qu’elle allait adopter de nouvelles mesures de soutien monétaire.

Sont-elles suffisantes ? Tout d’abord, le défi de la BCE est aujourd’hui de garantir aux Etats des coûts de financement faibles, ce qui leur permettra d’emprunter pour mettre en place leurs plans de relance budgétaire indispensables. Dès lors, la balle est dans le camp des Etats, qui devront mettre en œuvre rapidement leurs stratégies, une fois l’évolution sanitaire maîtrisée. Si celles-ci ne sont pas ciblées, si elles ne se perdent pas dans des dédales administratifs et si elles n’irriguent pas l’économie réelle pour orienter l’économie vers les secteurs numérique et environnemental (dépenses productives), alors tout cet argent distribué n’aura servi à rien et les dirigeants politiques auront raté une occasion historique de changer la donne.

Ce matelas de liquidités va-t-il être utilisé intelligemment par les États ?

Selon les prévisions, les premiers effets d’un retour à une situation économique proche de celle de fin 2019 ne sont pas envisagés avant mi-2022. D’ici là, espérons que l’Europe aura atteint le seuil d’immunité collective grâce notamment aux vaccins. Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, la BCE continuera vraisemblablement d’agir tant que les effets de la pandémie se feront sentir. Grâce à ce soutien, les économies de la zone seront ainsi en meilleure situation pour résister aux divers impacts (nouvelles vagues de la pandémie, reconfinements éventuels…).

Pour autant, les gouvernements doivent faire face à un choix impossible : la mort sanitaire ou la mort économique. Or, les fluctuations économiques sont actuellement guidées par les évolutions de la situation sanitaire. Face à une reprise inégale - l’industrie continue de résister tandis que les services paient le plus lourd tribut aux restrictions à la mobilité -, nos dirigeants sont appelés à poursuivre leur politique de soutien budgétaire tandis que les entreprises hésitent à investir et que la défiance des ménages s’accroît.

Dans ce contexte, j’ose croire que ce matelas de liquidités sera utilisé intelligemment car n’oublions pas qu’il s’agit de dettes à rembourser et il ne faudrait pas que l’« effet de levier » espéré ne se transforme en « effet de massue ».

Les instruments de l’institution européenne sont-ils tous utilisés pour faire face à la crise ? Des États bloquent-ils encore des outils ?

Depuis le début de la pandémie, la BCE a joué un rôle clé en rachetant massivement les dettes émises par les gouvernements de la zone euro pour permettre aux Etats de s’endetter à bas coût.

Les dernières mesures que l’institution a prises illustrent sa volonté d’étendre le périmètre de l’ensemble des instruments connus pour assurer que le niveau actuel de souplesse monétaire soit prolongé au moins jusqu’au printemps 2022, en espérant que le vaccin aura fait son travail d’ici là. La BCE est d’autant plus contrainte d’inscrire son action dans la durée car le risque de déflation continue de planer sur la zone euro, alimenté par la vigueur de l’euro.

Ainsi, elle n’a pas sorti de nouvel instrument. Elle a simplement choisi de laisser les gros « bazookas » aux gouvernements et de se concentrer sur une véritable ingénierie de banque centrale. C’est un signe que la BCE est bien consciente des limites de ses outils et de leur efficacité et qu’elle parie plutôt sur une réponse budgétaire énergique et ciblée.

Ces efforts sont-ils un coup d’épée dans l’eau face à l’ampleur de la crise économique ? L’anesthésie dans laquelle se trouve la zone euro est-elle condamnée à s’installer ?

Ceci revient à poser indirectement la question de la date de fin de la crise. Vaste question. Il semble que les scenarii envisagés à ce jour concluent que les premières améliorations - toutes choses égales - ne seront, au mieux, perceptibles que deux ans après le début de la pandémie ! Toutefois, devant le degré élevé d’incertitudes pesant sur ces scénarii, il se pourrait que la BCE revoie son calendrier de sortie de crise et réexamine sa politique exceptionnelle ultra-accommodante mise en place en mars dernier.

C’est pourquoi, il est crucial, pour le relèvement de l’économie de la zone euro, que le plan de relance européen, doté de 750 milliards d’euros, soit un succès et que le versement des montants à chaque pays ait lieu absolument début 2021. Il est capital aussi que ce plan exceptionnel, qui a levé d'importants tabous dans certains pays, soit un succès (Un des blocages de l’Union européenne a été aboli. La politique monétaire se devait d’être équitable pour tous les pays. Or, la BCE achète aujourd’hui davantage de dettes italiennes qu’allemandes, notre voisin transalpin en ayant plus besoin).

Par ailleurs, la force de l’euro complique la tâche de ramener l’inflation à un niveau proche de 2%, principal objectif derrière lequel la BCE court depuis 2013 - En novembre, l’inflation dans la zone euro est restée négative pour le quatrième mois consécutif (-0,3%).

Au final, compte tenu des fortes incertitudes qui pèsent sur l’économie européenne (persistance de la pandémie, retombées économiques, calendrier de déploiement des vaccins, disponibles en quantité limitée dans les mois à venir, Brexit…), ces nouvelles interventions sont nécessaires, le temps que l’Europe bénéficie d’une immunité collective face au Covid, et que l’économie retrouve une évolution normale.

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