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L’épidémiologiste qui savait comment protéger l’économie des virus (mais que personne n’a voulu écouter)
©JOEL SAGET / AFP

Anticipation

Le virologue américain Nathan Wolfe avait alerté d'une possible pandémie dès 2006. Il avait notamment prévu les conséquences économiques et financières dramatiques. Quelles leçons pouvons-nous tirer de ses travaux ?

Olivier Berruyer

Olivier Berruyer

Olivier Berruyer est actuaire, profession de référence en termes de gestion du risque dans la finance et l'assurance. Il est l'auteur de Stop ! Tirons les leçons de la crise, paru aux éditions Yves Michel, et animateur du blog www.les-crises.fr

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Le modèle de protection de l'économie face aux pandémies dessiné par Nathan Wolfe est-il viable ?

Stéphane Gayet : Nathan Wolfe est un virologue américain. Il s’intéresse depuis des années aux virus des animaux dans les pays où l’on consomme beaucoup de viande d’animal sauvage, tels que les pays d’Afrique subsaharienne et les pays d’Asie du Sud-Est. Il a notamment vécu plusieurs années à Yaoundé (capitale du Cameroun) pour y faire des recherches dans ce domaine. En février 2009, il donnait une conférence TED (technologie, divertissement, conception : conférences de haut niveau à destination du grand public, portant sur « tout ce qui mérite d’être présenté »). Cette conférence TED portait sur les virus des animaux sauvages susceptibles de franchir la barrière d’espèce qui sépare ces animaux de l’Homme, à la faveur de la consommation de leur chair et leurs abats. Les virus VIH-1 et VIH-2 du sida, le virus Ebola et les coronavirus SARS-CoV et MERS-CoV font partie des nombreux virus concernés. Toutes ces maladies virales sont des zoonoses qui ensuite s’autonomisent chez l’être humain pour devenir des infections virales de l’Homme.

Nathan Wolfe était convaincu depuis des années que le risque pandémique viral venait des animaux sauvages que l’on chassait et consommait. Il affirmait que la population mondiale était menacée par une nouvelle pandémie zoonotique (une zoonose est une maladie infectieuse qui passe de l’animal à l’homme). Et Bill Gates en mars 2015, donc 6 ans après la conférence de Nathan Wolfe, donnait à son tour une conférence TED au cours de laquelle il expliquait pourquoi le monde n’était pas prêt à faire face à la prochaine pandémie grave d’infection virale respiratoire. On ne peut s’empêcher de penser que Gates s’est inspiré de la conférence de Wolfe. Toujours est-il que le virologue et l’inventeur avaient prévu la pandémie CoVid-19.

Mais Nathan Wolfe n’est pas que virologue. Convaincu de ce risque pandémique majeur, il avait envisagé les conséquences économiques d’une pandémie dévastatrice. Il a créé une entreprise appelée Metabiota, spécialisée dans l’épidémiologie des maladies infectieuses virales et qui s’est également intéressée à l’aspect économique des pandémies.

Nathan Wolfe expliquait qu’une grande pandémie dévastatrice se produisait environ tous les 100 ans. Quand il s’exprimait ainsi, nous étions en 2006 et le monde restait marqué par la grande pandémie grippale meurtrière de 1918-1919. Bien que la survenue d’une telle pandémie parût vraiment stochastique – en grande partie liée au hasard -, il était persuadé qu’il y avait quelque chose à faire pour l’anticiper et même la prévoir. Son idée était la suivante : sachant que les pandémies virales dévastatrices provenaient toujours des animaux sauvages et résultaient d’échanges de virus entre ces animaux et l’Homme, il devait être possible, en étudiant intensément ces virus, de prévoir leur passage à l’homme.

Il travaillait donc à la fois dans le domaine infectieux viral et dans le domaine financier : il était préoccupé par les conséquences économiques et financières d’une pandémie grave.

En 2015, Metabiota s'était associée au géant allemand de la réassurance Munich Re et au courtier d'assurances américain Marsh, pour développer et vendre une police destinée spécifiquement à protéger les grandes entreprises contre les pandémies, afin de limiter les pertes financières et de les maintenir à flot. Ils l'avaient lancée à la mi 2018, un an et demi avant que les premiers cas de CoVid-19 n'apparaissent en Chine.

Munich Re n’est donc pas un assureur ordinaire, c’est en réalité un réassureur : il assure - plutôt réassure – les assureurs des entreprises contre des risques majeurs qui les dépassent. Car une pandémie ne correspond pas à un risque habituel, c’est un risque exceptionnel et seul un réassureur a une surface et une puissante suffisantes pour le prendre en charge.

Aujourd’hui, Nathan Wolfe est bouleversé et pour le moins déçu de constater que la pandémie dévastatrice qu’il avait prévue et annoncée s’est réalisée. Il savait que, sur le plan virologique, immunologique et infectiologique, on ne pourrait sans doute pas l’empêcher de se produire, eu égard à l’état de nos connaissances et de nos moyens. Mais il en avait prévu les conséquences économiques et financières dramatiques et il avait mis en place en 2018 une assurance et une réassurance spécifiques à destination des entreprises. Mais cette assurance contre un risque exceptionnel a été un échec, car personne ne veut s’assurer contre un risque exceptionnel. Il n’est déjà pas vraiment dans la nature de l’Homme de s’assurer contre un risque relativement fréquent, a fortiori quand il s’agit d’un risque exceptionnel. C’est pourquoi il y a tant de dispositions juridiques pour contraindre les particuliers et les entreprises à s’assurer. La notion de risque est une probabilité qui s’appuie sur des statistiques : cela ne parle pas à tout le monde et loin de là.

Nathan Wolfe dit que, dès que la pandémie a commencé, beaucoup d’entreprises ont couru vers lui pour souscrire un contrat d’assurance contre la pandémie. Mais une assurance ne couvre qu’un risque et ne peut couvrir un danger.

En somme, l’assurance et la réassurance proposées par Wolfe pour couvrir le risque de pandémie grave sont probablement un bon produit assurantiel. Mais il ne se vend pas, car il est assez surréaliste dans une économie déjà sous tension. Car comment accepter de payer une prime d’assurance onéreuse pour couvrir un risque qui se réalise tous les cent ans?

Olivier Berruyer : C’est un modèle assez simple que nous nommons la réassurance. Face à un risque catastrophe, un risque dont les dommages évalués vont être extrêmement élevés, extrêmement cher et qui se produit rarement, les assurances doivent débloquer des sommes importantes. Dans le cas d’une pandémie, ces sommes deviennent colossales. Ce que font les assureurs dans ces cas là, c’est de se réassurer auprès d'organismes internationaux.

Quels mécanismes ont empêché sa mise en place ?

Stéphane Gayet : Nathan Wolfe est vraiment l’un de ceux qui connaissent le mieux le risque pandémique viral. Virologue, il s’est spécialisé dans ce champ de la virologie qui associe l’immunologie et l’épidémiologie à l’étude proprement virologique ce ces agents infectieux redoutables. Il a rapidement compris que, dans l’état actuel de nos connaissances et malgré ses propres travaux sur les circonstances de franchissement d’une barrière d’espèce, il serait très difficile de juguler une pandémie même à un stade tout débutant.

Il a multiplié les informations et les avertissements au sujet d’une possible pandémie à venir, dès 2006. Aussi, comprenant l’impossibilité de maîtriser le risque pandémique en ce début du XXIe siècle, il s’est mis à travailler sur les dimensions économiques et financières des pandémies. Alors que ce n’était pas du tout son métier essentiel, il a, avec le concours d’un grand réassureur allemand et d’un courtier en assurance américain, créé et mis en place un produit assurantiel spécial contre les risques liés à une pandémie.

Il a échoué, car il est tout simplement difficile de vendre une assurance contre un risque qui ne se réalise que tous les 100 ans. Aujourd’hui plus que jamais, quand on achète un produit, on en veut pour son argent. C’est vrai des biens comme des services. Une assurance peut être assimilée à un service. Beaucoup de personnes payant une prime ou une cotisation annuelle pour assurer tel ou tel risque cherchent plus ou moins à récupérer cette dépense (mais si c’était le cas général, les assureurs n’auraient pas de revenus). Mais, avec une assurance pandémie, ce n’est pas possible (c’est pourquoi cette assurance-pandémie a peut-être tout de même de l’avenir).

En somme, Nathan Wolfe est trop en avance sur sa génération. Lorsqu’il y aura une pandémie tous les 10 ans au lieu de tous les 100 ans (1918-19 et 2019-20), ce risque sera plus concret et on s’assurera avec moins de réticence.

Olivier Berruyer : Si une tornade à lieu en France par exemple et n’a pas lieu ailleurs, l’organisme de réassurance pourra aider les assureurs à indemniser ses clients français car il n’aura pas d’autres catastrophes majeures à gérer ailleurs dans le monde. Une pandémie en revanche, c’est le risque catastrophique ultime : elle se produit partout dans le monde simultanément, sans aucune prévisibilité possible, avec un coût colossal à assumer. 

Quelques assureurs ont tenté de s’essayer au risque pandémie ces dernières années, sans succès. Vous prenez un risque énorme de faire faillite pour un bénéfice très incertain. C’est un risque dont on ne connait pas la probabilité, contrairement aux incendies. Pour ces raisons, le risque pandémie est généralement exclus des polices d’assurances.

Comment devrions-nous nous préparer à l'arrivée éventuelle d'une prochaine pandémie ?

Olivier Berruyer : Le problème de l’assureur c’est qu’il peut se retrouver en faillite très rapidement. À mes yeux la solution demeure publique. Il faut un système avec une énorme masse d’argent à disposition, capable d’encaisser une grosse perte et de s’endetter pour longtemps. Seul un État peut l’assumer. C’est d’ailleurs ce que l’État français est en train de faire. Espérons qu’il pourra le faire plus rapidement et plus efficacement lors d’une éventuelle prochaine pandémie.

Stéphane Gayet : Nous aurons tout de même beaucoup appris de cette pandémie, et sur tous les plans. Malgré le génie de Nathan Wolfe, la solution ne réside peut-être pas dans un produit assurantiel spécifique. Je pense que ce fléau incitera désormais davantage à l’épargne et à la prévoyance. La consommation va sûrement devenir plus responsable et rationnelle.

On peut aussi espérer que l’hygiène – la vraie, la prévention et non pas la propreté et la désinfection – interpelle et même intéresse un plus grand nombre de personnes.

On peut dire que cette pandémie laissera une empreinte épigénétique sur notre génome et que nous en serons à la fois plus prudents et plus observants des mesures préventives. Mais de toute façon, il faut se faire à l’idée qu’elle nous surprendra, quelle que soit la façon dont nous nous y préparerons.

Cependant, si la CoVid-19 avait fait de nous des citoyens responsables au lieu des consommateurs déraisonnables que nous étions, ce serait déjà énorme. Nos habitudes alimentaires elles aussi sont sûrement à revoir.

La préparation à la prochaine pandémie commence dès aujourd’hui.

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