L’effondrement économique, l’autre catastrophe vécue par les Ukrainiens<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime lors d'une visioconférence, le 20 octobre 2022.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime lors d'une visioconférence, le 20 octobre 2022.
©DANIEL ROLAND / AFP

Affaiblissement du pays

Alors que les sanctions contre Moscou fragilisent la Russie, la situation économique de l’Ukraine reste inquiétante. L’Ukraine est-elle dépendante de l’aide financière occidentale ?

Agathe Demarais

Agathe Demarais est la directrice des prévisions mondiales de l'Economist Intelligence Unit (EIU), le centre de recherche indépendant du magazine britannique The Economist. Ses travaux portent sur les sanctions, l'économie et la géopolitique, notamment en lien avec la Russie. Elle a travaillé durant six ans pour la Direction Générale du Trésor à Moscou et Beyrouth. Son livre, Backfire, porte sur les effets secondaires des sanctions américaines. Il a été publié le 15 novembre aux Presses Universitaires de Columbia (Etats-Unis).

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Atlantico : Après bientôt huit mois de guerre, on s’interroge beaucoup sur la manière dont l’économie russe résiste aux sanctions, mais moins sur la manière dont l’économie ukrainienne se porte, alors que le pays est en guerre. Quel est l’état économique général du pays ?

Agathe Demarais : La situation de l’économie ukrainienne est catastrophique. Environ un tiers de l’économie est à l’arrêt et le pays s’achemine vers une récession d’environ 40% cette année. Seul un arrêt des combats permettra à l’économie ukrainienne de rebondir mais compte-tenu de l’ampleur des dégâts, le retour à un niveau de PIB d’avant guerre devrait prendre au moins 15 ans.

Au-delà de la chute de la consommation et de l’investissement que le conflit a entraînée, l’invasion russe a également détruit une partie des capacités de production du pays. La Kyiv School of Economics estimait début septembre que la guerre a entraîné la destruction d’infrastructures et de capacités de production pour un montant de plus de cent milliards de dollars. Ce chiffre constitue probablement une sous-estimation compte tenu des récents bombardements russes sur des infrastructures ukrainiennes.

Dans ce contexte difficile le gouvernement ukrainien concentre ses efforts, dans le domaine économique, sur le financement de l’effort de guerre, le soutien au secteur financier et la négociation de programmes d’aide internationale. Cependant, au vu de l’intensité du conflit et de l’ampleur des besoins humanitaires, on peut comprendre que les questions économiques ne représentent pas une priorité absolue pour le gouvernement de Volodymyr Zelensky.

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Certains pans de l’économie ukrainienne fonctionnent-ils toujours ? Si oui, lesquels ? et dans quelle mesure ?

La situation de l’économie ukrainienne est hétéroclite en fonction des régions, de la période et des secteurs considérés. Il est difficile de faire des généralités mais, à gros trait, l’ouest du pays (qui est moins touché par le conflit) est dans une situation légèrement plus favorable que l’est et le sud de l’Ukraine où certaines villes, comme Marioupol, ont été rasées. Compte tenu du fait que le secteur industriel ukrainien est majoritairement concentré dans la partie orientale du pays, la destruction du tissu industriel va freiner la reprise économique du pays lorsque celle-ci pourra avoir lieu.

Pour ce qui concerne les variations temporelles, on constate depuis quelques semaines une légère amélioration de la situation économique, avec un taux d’entreprises qui ont fermé leurs portes en diminution depuis le mois d’août. De la même façon, le récent accord permettant les exportations de céréales a entraîné un regain d’activité des infrastructures portuaires et permis aux agriculteurs de recevoir des ressources financières. Celles-ci seront cruciales afin de financer l’achat de semis et d’engrais pour préparer la récolte de l’année prochaine. Cependant, ce récent rebond de l’activité pourrait n’être que temporaire en fonction de l’intensité des combats à venir.

Enfin, le dernier paramètre tient aux variations entre secteurs d’activité : malgré la forte inflation (environ 20% en moyenne cette année), les commerces de détail s’en tirent généralement un peu mieux (ou un peu moins mal) que le secteur industriel. Cela n’est pas étonnant : les Ukrainiens qui n’ont pas fui le pays ont toujours besoin d’acheter certains produits de base pour se nourrir ou se soigner. A l’inverse, le secteur industriel pâtit de la mobilisation militaire d’une partie de ses employés, de difficultés logistiques liées à la destruction d’une partie des infrastructures de transports et de la hausse vertigineuse des coûts des matières premières.

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L’Ukraine a demandé à l’UE un flux financier plus stable et prévisible pour que son gouvernement continue de fonctionner. A quel point la situation ukrainienne est-elle dépendante de l’argent occidental ? Dans un contexte économique morose, l’Europe et plus particulièrement la France ont-elles les moyens de répondre à ce besoin ?

La situation des finances publiques ukrainiennes est catastrophique car la guerre a entraîné à la fois une chute brutale des recettes fiscales et une hausse des dépenses afin de financer l’effort de guerre. Le déficit public devrait atteindre près de 30% du PIB cette année, ce qui va mécaniquement entraîner une forte hausse de la dette publique. Depuis fin février la banque centrale ukrainienne a financé environ la moitié du déficit budgétaire en faisant marcher la planche à billets. L’autre moitié est couverte par les achats, toujours par la banque centrale, de dette publique et par les plans d’aide internationaux. A ce stade les pays occidentaux ont versé plus de 70 milliards de dollars à l’Ukraine d’aide militaire, financière et humanitaire. Les Etats-Unis sont, de très loin, le principal donateur, avec plus de 52 milliards de dollars d’aide à ce jour.

A plus longue échéance, la dépendance de l’Ukraine vis-à-vis de l’aide internationale va probablement faire débat dans les pays européens dans un contexte où la zone euro devrait entrer en récession l’an prochain et où une partie de l’opinion publique estime, à tort, que les sanctions contre la Russie sont responsables de la hausse de l’inflation et de la crise énergétique. Il parait moins probable que de tels débats aient lieu aux Etats-Unis car le pays est plus isolé des conséquences économiques du conflit ukrainien et l’opinion publique américaine est globalement unie, par-delà les clivages politiques, dans son soutien à Kiev. Malgré ces débats à venir, il semble difficilement concevable que les pays occidentaux cessent de soutenir l’Ukraine : les chancelleries occidentales estimeraient probablement que ce serait envoyer un message dangereux de dissension et de faiblesse à Vladimir Poutine.

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Au-delà du soutien de court terme se pose aussi l’enjeu de l’aide à la reconstruction. Le président de la commission des affaires économiques du parlement ukrainien Dmytro Natalukha a déclaré  « Si nous ne l’obtenons pas, nous sommes fichus ».  Quelle est l’ampleur de la tâche ?

La reconstruction de l’Ukraine n’est pas à l’ordre du jour tant que les combats font rage. Même en Syrie, où le conflit dure depuis plus de dix ans, les opérations de reconstruction ne sont pas encore à l’ordre du jour. Lorsque de telles opérations commenceront en Ukraine, la tâche à accomplir sera gigantesque : selon la Banque Mondiale, la reconstruction du pays pourrait coûter au minimum 350 milliards de dollars, et probablement beaucoup plus. Sans le soutien des pays occidentaux par le biais de dons ou de prêts concessionnels, il est difficile d’imaginer comment l’Ukraine pourra financer de telles opérations : le pays est coupé des marchés financiers et il semble peu probable que des investisseurs feront montre d’appétit pour financer des opérations de reconstruction à la fois risquées et peu rentables.

Au-delà des enjeux financiers, les questions d’éducation et de santé seront également cruciales : les enfants qui ne sont pas scolarisés aujourd’hui subissent une perte de chance, laquelle aura un impact économique de long-terme. L’exode d’une partie de la population ukrainienne très qualifiée, par exemple dans le secteur de l’informatique, accroîtra ce phénomène en privant le pays d’une partie de sa main d’œuvre. De la même façon, la reconstruction du pays passera également par la fourniture de soins pour la partie de la population qui aura été blessée dans les combats ou conservera des séquelles psychologiques. Même si le conflit venait à prendre fin demain, ce qui parait malheureusement improbable, la tâche à accomplir pour reconstruire l’Ukraine et panser les plaies physiques et morales de ses habitants sera colossale.

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